Depuis un an, la Première guerre mondiale nourrit l’actualité éditoriale, à travers des essais, des témoignages, des fictions. Dans le dernier livre de Stéphanie Hochet, Un Roman anglais (Rivages, 170 pages, 17 €), la Grande guerre est aussi présente, mais en toile de fond, loin du front, des tranchées et des charniers. Elle délimite un espace temporel, cette fin de l’ère Edouardienne finalement assez peu connue en France, version plus sévère de notre Belle Epoque, dans laquelle se situe l’action.
L’auteure nous propose un beau portrait de femme, Anna Whig, dont les traits auraient pu être empruntés aux modèles des derniers peintres préraphaélites. Anna, traductrice pour une maison d’édition, et Edward, horloger, forment un couple de petits bourgeois sans histoire qui partagent leur temps entre Londres et leur cottage du Sussex. Ils ont un chien et deux domestiques. Ils ont aussi un fils, Jack, pour lequel ils cherchent une nounou. En réponse à une annonce du Times, une lettre de candidature signée « George » retient l’attention d’Anna. En lettrée, elle songe à George Eliot, la grande romancière victorienne. Mais George est un prénom épicène et c’est un jeune homme que l’héroïne découvre à la descente du train… Cet homme, charmant, fragile, longiligne, séduit l’enfant, émeut la mère et inquiète le mari qui sent l’un et l’autre lui échapper progressivement. Stéphanie Hochet ne nous entraîne cependant pas dans le trio classique femme-mari-amant auquel on aurait pu s’attendre – Anna n’est ni l’Emma de Flaubert, ni la Fanny d’Ernest Feydeau, mais une épouse bien insérée dans une société encore largement influencée par le puritanisme victorien. Son statut, son éducation, n’ont pas fait d’elle une femme libre, même si elle finira par choisir son destin. Ce Roman anglais est celui du trouble, de la culpabilité et de la mort.
L’auteure excelle dans la description des atmosphères et transporte son lecteur dans le décor feutré d’une famille britannique conventionnelle des années 1910, où rien n’est supposé déranger l’ordre de la vie, où l’on s’ennuie avec élégance, où le non-dit règne pour préserver une harmonie de façade, comme l’exprime Anna : « J’ai essayé de ne pas fixer la mine contrariée de mon mari, ce qui n’allait pas de soi, mais je viens d’un milieu bourgeois : je suis parfaitement capable d’ignorer la présence d’un éléphant dans un salon. »
Au contact du nouveau venu, la jeune mère voit émerger en elle des sentiments et des pulsions jusque là maintenus dans l’ombre, qui la surprennent et l’effraient. Stéphanie Hochet, dans son récit intimiste et sensible, rend habilement compte de cette métamorphose inattendue. Sa plume, non dénuée d’humour anglais, montre une belle connaissance d’un pays, d’une classe sociale et d’une époque. Elle ne cède pas à la mode agaçante des « Angolades », se tient éloignée des avatars narratifs de « Durassic Park » ; son style, personnel, ne manque pas de finesse.