Vendredi dernier, il y a un siècle, le premier ministre grec Alexis Tsipras parvenait à faire adopter par son Parlement un programme de réformes dont on peinait à voir la différence avec celui que les Grecs avaient rejeté par référendum le dimanche précédent. Il faut dire que la faillite menaçait et que les autorités grecques commençait à comprendre que le coût en serait élevé. Voici le papier que j’ai écrit pour mon journal daté du 11 juillet.
La saga grecque ressemble au poème de Victor Hugo sur la bataille de Waterloo : soudain, « l’espoir changea de camp, le combat changea d’âme ». Alors que la Grèce semblait avoir définitivement emprunté la voix menant vers la sortie de l’euro à la suite du référendum de dimanche rejetant le programme de réformes proposées par la zone euro et le Fonds monétaire international (FMI), elle vient d’effectuer un virage sur l’aile qui la replace au centre du jeu et place sur la défensive les pays qui, comme l’Allemagne ou les Baltes, se réjouissaient de se débarrasser de ce « fardeau ». « Rien n’est encore joué », met cependant en garde un responsable français : « il faut encore que l’Allemagne et le camp des durs acceptent le plan grec et surtout soient convaincus qu’Alexis Tsipras ne tente pas une nouvelle fois de les rouler dans la farine comme cela a été le cas depuis cinq mois ».
C’est mardi soir, à la suite du sommet extraordinaire de la zone euro, que le gouvernement dirigé par le jeune leader de gauche radicale a compris qu’il n’avait même plus une paire de deux en main : ses dix-huit partenaires lui ont signifié qu’ils se préparaient à gérer un « Grexit » jugé inéluctable sauf nouvelles propositions convaincantes déposées d’ici vendredi minuit. Pis, un sommet européen à 28 a même été convoqué dimanche afin de mettre au point le scénario de sortie et l’organisation d’une aide humanitaire sans doute nécessaire suite à l’effondrement prévisible de son PIB. « Si l’Eurogroupe fonctionnait comme une démocratie parlementaire, tu serais déjà dehors, car la quasi-totalité de tes partenaires le souhaite », aurait glissé Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, à Alexis Tsipras.
Même avec un référendum gagné avec plus de 60 % des voix, le chef du gouvernement grec savait qu’il n’a pas été élu pour sortir son pays de l’euro et qu’il serait vite lâché par une population qui verrait son niveau de vie s’effondrer brutalement. Mais comment renouer les liens ? Heureusement pour lui, la Commission, dont c’est le rôle institutionnel, et la France, qui se bat depuis 2010 pour maintenir l’intégrité de la zone euro, ont offert leurs services pour aider le nouveau ministre des Finances, Euclides Tsakalotos, à rédiger un programme de réformes destiné à équilibrer durablement le budget grec et à bâtir un État fonctionnel et impartial capable de lever l’impôt. « La présence de Tsakalotos a beaucoup aidé : il est aussi dur idéologiquement que Yanis Varoufakis, son prédécesseur, mais il est poli, il argumente, il écoute, il tient parole », se réjouit un négociateur européen. Au final, le document de 13 pages présenté par Athènes vendredi soir ressemble comme deux gouttes d’eau à la version à laquelle étaient parvenus la Grèce et ses créanciers le vendredi 26 juin, juste avant l’annonce surprise du référendum.
Celui-ci n’a d’ailleurs pas porté sur ce texte, mais sur celui, moins favorable, de la veille (notamment la TVA sur les hôtels était de 23 % alors qu’elle n’était plus que de 13 % le lendemain)…
Le plus étonnant est l’effort supplémentaire totalement inattendu consenti par Tsipras : alors que ses partenaires demandé des augmentations d’impôt et des coupes dans les dépenses de 8 milliards d’euros, il en consent 12, le tout sans toucher à l’Église orthodoxe et en limitant la casse pour le budget de la défense… « Il a réussi à trouver un milliard par jour de négociation », ironise Yannis Prétendéris, éditorialiste de Mega Chanel. La réforme des retraites reste au menu, tout comme l’alignement de la TVA sur les îles sur celle du continent, mais avec la possibilité de subventionner les transports vers les îles les plus pauvres. Bref, de « l’austérité » à tous les étages, mais avec la promesse d’un meilleur avenir.
« Très intelligemment, Athènes s’est engagée à entamer ses réformes dès lundi, sans attendre le versement de l’argent européen », analyse un responsable français. « De même, elle a renoncé à demander une diminution immédiate de sa dette, mais veut, comme on le lui proposait, entamer une discussion, ce qui évite de braquer l’Allemagne. De même, si elle a demandé un nouveau programme de 53 milliards d’euros sur trois ans, elle n’exclut pas de nouvelles conditions comme elle le faisait jusqu’à présent ». De fait, le paquet sur lequel l’Eurogroupe va se prononcer aujourd’hui, comportera quatre volets : les réformes, un nouveau programme destiné à la mettre à l’abri des marchés pour plusieurs années, un engagement à discuter de la soutenabilité de la dette et un programme d’investissement européen de 35 milliards sur trois ou quatre ans (il s’agit de sommes déjà inscrites dans le budget européen, mais qui seront versées plus vite et sans aucune condition de co-financement).
Si l’Eurogroupe donne son feu vert, un sommet des dix-neuf chefs d’État et de gouvernement aura quand même lieu dimanche : Alexis Tsipras en a politiquement besoin, tout comme Angela Merkel, qui devra sans doute tordre le bras de son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, ou François Hollande. Il s’agira pour tous de montrer qu’il s’agit d’un compromis politique et pas seulement technique. Mais Tsipras n’en a pas fini avec l’ex-Troïka, désormais groupe de Bruxelles : l’argent ne sera versé qu’au compte-goutte en fonction des réformes accomplies.