Torquemada et les populistes, réponse à Luc Le Vaillant

Comme je ne dispose pas d’une chronique dans le journal papier dans laquelle je pourrais lui répondre, je le fais donc sur ce blog. Je le fais d’autant plus volontiers que ce n’est pas la première fois que Luc Le Vaillant critique ainsi mon opinion sur le droit à la vie privée. Il l’avait fait dans une autre chronique datée du 1er mars 2012 intitulée sans nuance : « vers un journalisme de fond de culotte ». C’était à l’occasion de la sortie de mon livre « Sexe, mensonges et médias » (Plon), une réflexion sur le journalisme à la lumière de l’affaire DSK, dans laquelle j’ai joué un rôle, et auquel Libération venait de consacrer sa « une » et un « événement ». À l’époque, je n’avais pas réagi considérant que j’avais déjà eu largement la parole, même si c’était indirectement.

Cette fois, Luc Le Vaillant réagit à l’affaire Philippot et à mon article paru son mon blog le 15 décembre dernier que Libération papier a repris partiellement le 18 décembre. Sa chronique n’est pas dépourvue d’approximations : il s’en prend, en effet, à « Bruxelles », mais oui ! Il affirme qu’ « après avoir fait triompher les idées libérales en économie, Bruxelles facilite aujourd’hui l’exposition des vices cachés des élus. La logique puritaine à l’américaine impose sa folie vorace. Sous couvert de liberté d’expression, les juridictions européennes défendent la maniaquerie d’une presse pourrie qui remplit ses caisses en exposant sexualité, santé et filiations incertaines ». Damned ! Encore un coup des horribles « européïstes » et du libéralisme ! Le problème est que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui fait prévaloir dans des cas très précis la liberté d’expression sur le droit à la vie privée, n’est pas un organe de l’Union européenne. Luc, tu me peines, car j’ai vraiment l’impression d’écrire dans le vide depuis près de 25 ans… La CEDH, sache-le, est un organe du Conseil de l’Europe (47 pays, dont la Russie connue pour ses idées protestantes) et elle siège non pas à Bruxelles, mais à Strasbourg. Donc Bruxelles n’y est pour rien, mais alors pour rien du tout…

Luc Le Vaillant met dans le même sac santé, amour et sexualité. Étonnant, même de la part de quelqu’un qui défend l’opacité des puissants. Savoir qu’un Président de la République est en état ou non de gouverner parce que, par exemple, il a un cancer ou s’est difficilement remis d’un AVC ne lui paraît-il pas relever de l’intérêt public ? Et pourquoi ne pas ranger les affaires d’argent au chapitre de la sacro-sainte vie privée, comme le réclament les élus ? Après tout, les médias se sont longtemps abstenus d’enquêter sur leur patrimoine des élus afin de respecter leur intimité. Mais, là, on touche sans doute aux limites de l’esprit français : l’argent, au fond, c’est mal, et là, pas de limite. À la fin de sa chronique, mon confrère l’affirme d’ailleurs : il y a la bonne vie privée et la mauvaise…

Venons-en au point qui concerne les journalistes et surtout ceux qui osent approuver la jurisprudence de la CEDH. Ceux-ci, et donc moi, devraient tout relever d’eux-mêmes, puisqu’un « Torquemada » doit être « pur ». Luc Le Vaillant confond là le journalisme avec l’autocritique maoïste. On n’attend de personne qu’il révèle tout de lui-même, pas même d’un politique. Seul celui qui se sert de sa famille pour se faire élire, celui qui promeut les valeurs familiales qu’il viole allègrement, celui qui ment sur sa vie privée, celui qui viole la loi s’expose à la révélation de sa part d’ombre, et ce, sans attendre qu’il donne l’autorisation aux médias d’en parler. La politique crève de ce règne du : « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Ensuite, comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises, la différence entre un politique et un journaliste est que le premier a un pouvoir normatif que n’aura jamais un journaliste. Par exemple, si Philippot arrivait – le cauchemar – au pouvoir, il imposera la vision sociétale de son parti qui prévoit notamment d’interdire le mariage homosexuel et donc de retirer un droit dont jouissent les habitants de ce pays.

Il y a un cas où je suis Luc Le Vaillant : si un journaliste voue aux gémonies les gays et lesbiennes alors qu’il est lui-même gay ou lesbienne, s’il défend un politique alors qu’il entretient une relation amoureuse ou amicale avec lui, cela mérite d’être révélé. Dans mon cas, je ne couche ou n’entretiens aucune relation d’amitié avec aucun responsable européen et je ne prétends donner aucune leçon de morale ou de comportement à quiconque. Je n’interviens pas, à sa différence, d’ailleurs, dans le domaine des mœurs et je n’ai aucun modèle à proposer ou à défendre. Autant dire que ma vie amoureuse, sexuelle, amicale ne regarde que moi puisqu’elle n’impacte pas sur mon traitement du sujet européen (et belge).

Enfin, reste l’accusation, récurrente, que ceux qui s’attaquent à la sphère privée voudraient faire régner un « ordre moral » et viserait à imposer une transparence totale aux politiques, ce que personne et surtout pas moi ne réclame. Lorsque j’ai expliqué, en juillet 2007, que Dominique Strauss-Kahn risquait d’avoir des ennuis aux États-Unis s’il se comportait avec les femmes comme il le faisait en Europe, ai-je donné des leçons de « morale » ? En aucun cas : j’ai simplement décrit honnêtement l’homme tel qu’il était et bien m’en a pris (je ne parle même pas ici de l’affaire du Sofitel, mais de Piroska Nagy)! De même, il n’a échappé à personne que je n’ai rien révélé sur Philippot (une lecture attentive de mes papiers apprendra à tout un chacun que je ne « frétille » pas des « gentilles tromperies et autres calembredaines sexuelles »), mais que je considère simplement que Closer a eu raison de le traiter comme il traite n’importe quelle personnalité publique. Et chaque jour qui passe montre que la forte présence de gays au sein du FN, souvent motivé par l’islamophobie, est un sujet, surtout dans un parti qui veut abroger la loi Taubira. En me sommant de choisir entre Omerta et Torquemada, mon confrère veut, en réalité, défendre un ordre ancien qui a si bien profité aux puissants, ce que justement je critique. Pourquoi ? Par peur d’être dévoilé ? Une lecture attentive de la jurisprudence lui aurait appris que tout n’est pas permis, les bornes étant bien posées (voir l’affaire News of the World), et qu’il faut être une personnalité importante, ce que ni lui ni moi ne sommes, même si cela est douloureux pour notre amour propre. Je n’ai, au passage, jamais lu de chronique de sa part critiquant la mise à nue de la vie de personnes impliquées dans un « fait divers » sans guère de précaution…

Luc Le Vaillant sent d’ailleurs bien que son raisonnement par l’absurde visant à imposer une transparence amoureuse et sexuelle aux journalistes est pour le moins fumeux. C’est sans doute pour cela qu’il me somme de révéler mon patrimoine. Quel rapport, vous direz-vous, avec la choucroute ? Sous-entendrait-il que je serais acheté par l’ignoble « Bruxelles » à défaut de coucher avec une commissaire ou une députée (j’imagine qu’une députée souverainiste me serait pardonnée) ? Mon cher Luc permet-moi de te dire que tu aurais dû faire ton travail de journaliste et enquêter, prouver, révéler. C’est toute la différence avec le tribunal du peuple que tu proposes où chacun viendrait « avouer » des fautes fantasmées. Le journaliste ou le politique stipendié, c’est l’exception : sous-entendre le contraire, cela porte un nom : le populisme.

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