Plutôt que de B.D., il faudrait sans doute davantage évoquer la « Suite » de dessins – comme un peintre peut réaliser une « suite » de gravures – reliés par un thème commun, un scénario. Topor ne se pliait pas à la règle familière des images encadrées, des bulles. Ses légendes, imprimées ou calligraphiées, figurent la plupart du temps sous des dessins libres, faisant de chacun une œuvre finalement autonome.
Quant aux thèmes traités, ils s’inscrivent dans la veine habituelle de l’artiste, la veine « Panique » si présente dans ses textes, ses dessins, ses estampes. Ames sensibles s’abstenir, car il s’agit ici d’un humour impitoyable et surtout noir, très noir, voire, pour détourner le mot cher à Pierre Soulages, outrenoir !
Grand pourfendeur des conformismes, du politiquement correct avant l’heure, de ce que Sade appelait « l’imbécilité triomphante », de la bien-pensance sous toutes ses formes, Topor livre ici de menus contes (très) cruels, comme La Vérité sur Max Lampin, petit traité de lynchage d’un bouc-émissaire insignifiant, ou L’Extravagant Monsieur Brok, histoire d’un homme qui scandalise la bonne société dans la mesure où il refuse obstinément de mourir.
Le graphisme, minimaliste, s’offre au lecteur en noir et blanc, cette palette qui sied si bien au fantastique (pensons aux gravures de Goya, de Redon) et à l’humour noir. Seule concession à cette règle, une tache rouge vient ensanglanter une suite intitulée Erik un petit prince des Pays-Bas au bord de la mer, probablement l’histoire la plus féroce de ce recueil.
Du grand art, que les amateurs devraient adorer.