Plutôt effacé politiquement, fiable en communication, rigoureux techniquement, fidèle parmi les fidèles du Président de la République, le Ministre de l’Intérieur a rendu public un nouveau plan pour accroître la sécurité routière des Français avec quatorze mesures dont certaines vont sans doute créer la polémique.
Depuis plusieurs mois, les statistiques de la sécurité routière sont de nouveau mauvaises. En 2014, il y a eu 3 388 personnes qui ont perdu la vie en France, soit une augmentation de presque 4% par rapport à l’année 2013 (qui fut particulièrement bonne), soit quasiment l’équivalent des victimes de l’Airbus A320 de Germanwings (vol 4U9525 Barcelone-Dusseldorf) qui s’est crashé près de Barcelonnette le 24 mars 2015. C’était la première hausse depuis douze ans ! Tout a augmenté en 2014, également le nombre d’accidents corporels et le nombre de blessés hospitalisés (741 de plus qu’en 2013). Parmi les victimes, les usagers les plus vulnérables sont en grande augmentation : les cyclistes (+8%), les piétons (+8%) et les cyclomotoristes (+6%). Les deux premières catégories sont en augmentation constante depuis 2010.
Depuis le début de l’année 2015, cela ne s’est pas amélioré puisque le nombre de morts sur la route en janvier 2015 a augmenté de 12% par rapport à janvier 2014 (263 personnes tuées au lieu de 235) selon le communiqué du 12 février 2015 de l’Observatoire national interministériel de la Sécurité routière (ONISR). En février 2015, le nombre a aussi augmenté, passant de 225 en février 2014 à 240, soit une hausse de 7% (selon le communiqué du 12 mars 2015 de l’ONISR).
Il est clair qu’on est actuellement dans une forme de palier, voire de régression. Depuis plus de quarante ans, la sécurité routière est un combat de chaque jour, et il a été prouvé que seule la volonté politique pouvait apporter des améliorations notables. Alors que le réseau routier se densifie et que le parc automobile s’accroît (la trafic routier a été multiplié par environ 2,5), la France a réussi à diminuer très fortement le nombre des morts sur les routes puisqu’en 1972, il y avait 18 034 personnes tuées sur les routes (soit cinq fois plus qu’aujourd’hui !) et 386 874 blessés.
Entre 1972 et 2012, on évalue à 320 000 le nombre de vies sauvées grâce à la politique de sécurité routière : « Ces centaines de milliers de vies sauvées, tous ces drames évités sont le résultat d’une combinaison de facteurs : volonté constante de l’État, amélioration de la sécurité des véhicules, aménagement des routes et surtout prise de conscience des usagers qui ont changé de comportement. » a rappelé Frédéric Péchenard, qui fut le douzième délégué interministériel à la Sécurité routière en 2012.
Sur cette période, en effet, trois décisions majeures ont été prises et ont permis une baisse drastique du nombre de tués sur les routes : le port obligation de la ceinture à l’avant (applicable au 1er juillet 1973) décidé par le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, l’institution du permis de conduire à points (loi du 10 juillet 1989, appliquée à partir du 1er juillet 1992) par le gouvernement de Michel Rocard, et enfin, la mise en place de radars automatiques de contrôle de la vitesse annoncée le 14 juillet 2002 par le Président Jacques Chirac (décision du 18 décembre 2002 et mise en place le 31 octobre 2003).
Le Premier Ministre Manuel Valls a bien conscience que pour encore réduire de façon notable le nombre des victimes, une nouvelle décision majeure devait s’imposer, malgré les vingt-six mesures annoncées déjà le 26 janvier 2015 par le Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve devant le Conseil national de la Sécurité routière, qui ne semblent manifestement pas suffisantes.
C’est la raison de la réunion du Comité interministériel de sécurité routière (CISR) mardi dernier à Matignon, dans une atmosphère assez étrange en raison de l’odeur diffuse de remaniement ministériel après la déroute des départementales. Le CISR a été créé par décret du 5 juillet 1972 et est composé de tous les ministres concernés par la sécurité routière. Il est présidé par le Premier Ministre et est chargé de fixer les grandes orientations de la politique du gouvernement.
Quatorze mesures ont été décidées en CISR dont la plus déterminante est sans aucun doute la diminution de la vitesse maximale autorisée sur les routes et autoroutes. Elles portent sur des actions de prévention et de répression des infractions les plus graves au code de la route. du gouvernement reste toujours ambitieux puisqu’il s’agit toujours de réduire à moins de 2 000 personnes tuées sur les routes à l’horizon 2020 (on en est loin). Elles ont été annoncées à l’issue de la réunion du CISR par le Ministre de l’Intérieur lui-même.
Ces mesures s’articulent autour de quatre axes.
Sensibiliser, prévenir, former
1.:Rendre le permis de conduire renouvelable tous les dix ans (carte à puce à remettre à jour), avec, à chaque renouvellement, la présentation d’un certificat médical revalidant l’aptitude physique et psychique du conducteur. Pour ceux qui ont le permis depuis plus de dix ans, l’échéance de renouvellement est au début de la prochaine décennie après la date d’obtention, à compter du 1erseptembre 2016.
2. Accompagner l’apprentissage du permis de conduire d’un stage de secourisme (deux journées) et d’un stage de conduite sur verglas (une demi-journée). Pour ceux qui ont déjà leur permis de conduire, il sera obligatoire de suivre ces deux stages avant le renouvellement de leur permis de conduire.
3. Réformer le permis à points en n’attribuant que 4 points (au lieu de 6) aux jeunes conducteurs (pendant la période probatoire des deux premières années suivant l’obtention du permis de conduire) et en rétablissant à trois ans la durée sans infraction pour retrouver tous les points perdus (au lieu de deux ans aujourd’hui).
4. Informer la compagnie d’assurance du conducteur de chaque point retiré du permis afin de récréer un mini-malus de 3% par point sur la prime d’assurance automobile. Cette mesure s’accompagne d’une obligation de déclaration d’assurance auprès de la préfecture avec nom et adresse de l’assurance et numéro de la police d’assurance (cette déclaration est notamment indispensable pour obtenir le certificat d’immatriculation d’un véhicule).
5. Créer une véritable police de la route, avec 15 000 hommes au 1er juillet 2015, par réaffectation et encouragement salarial. Elle sera notamment chargée des opérations de contrôle d’alcoolémie et des stupéfiants ainsi que la sécurisation des infrastructures.
Protéger les plus vulnérables
6. Rendre le port du casque obligatoire pour tous les cyclistes à tout âge. C’est valable également pour les tricycles, les trottinettes, les planches à roulettes et les patins à roulettes. L’absence de casque peut entraîner l’immobilisation ou la confiscation de l’équipement de déplacement.
7. Rendre obligatoire dans le véhicule la présence de deux gilets fluo (au lieu d’un actuellement), accessibles depuis la place du conducteur (comme en Espagne par exemple).
8. Obliger les municipalités à réaliser des pistes cyclables uniquement sur voie propre, avec un obstacle (trottoir, glissière, etc.) séparant les cyclistes des véhicules motorisés. Interdire les pistes cyclables définies uniquement par une signalisation horizontale (peinture sur sol) sans aménagement de voirie spécifique.
Lutter sans relâche contre les infractions graves
9. Diminuer la vitesse maximale autorisée sur les routes de 90 à 80 km/h, sur les routes rapides à double voie de 110 à 100 km/h et sur les autoroutes de 130 à 120 km/h.
10. Abaisser le taux légal d’alcool de 0,5 g/l à 0,1 g/l pour tous les conducteurs (le taux pour les jeunes conducteurs avait déjà été abaissé à 0,2 g/l).
11. Installer 4 000 radars automatiques supplémentaires (quasiment le doublement du parc actuel) du 1er mai 2015 au 1er mai 2017, y compris des radars chantiers pour la sécurité des personnels.
Améliorer la sécurité des véhicules et des infrastructures
12. Rendre obligatoire sur tous les véhicules neufs à partir du 1er septembre 2015 les équipements suivants : une caméra de veille pour éviter de dormir au volant, une puce de géolocalisation reliée à un central national routier, un détecteur de distance de sécurité à l’avant en fonction de la vitesse, et une boîte noire (EDR : enregistreur de données de la route) qui mémorise la vitesse, la caméra de veille, la géolocalisation et quelques autres paramètres.
13. Rendre l’allumage des phares obligatoire tout le temps, y compris en journée.
14. Rendre obligatoire les trajets par autoroute pour tous les camions de plus de 30 tonnes sauf pour la desserte finale.
Après avoir énuméré ces quatorze mesures, le ministre a appelé la mobilisation accrue des usagers et des pouvoirs publics : l’État, en concertation avec les collectivités territoriales, gestionnaires de 98% du réseau routier français, et a souhaité que l’objectif de 2 000 tués d’ici 2020 soit partagé par tous les acteurs de la sécurité routière, ainsi que par tous les automobilistes et conducteurs professionnels.
Dans les premières réactions, l’ancien directeur général de la police nationale Frédéric Péchenard, désormais directeur général de l’UMP, qui fut délégué interministériel à la Sécurité routière en 2012, a estimé que ces mesures étaient fortes et de bon sens et qu’elles allaient dans le même sens que la politique voulue par Nicolas Sarkozy depuis 2002 en matière de sécurité routière. En revanche, de nombreuses associations d’usagers de la route ont protesté contre la diminution généralisée de la vitesse maximale autorisée sur le réseau routier ainsi que l’interdiction de facto de boire un seul verre de boisson alcoolisée avant de conduire.
Nul doute que ces décisions, qui interviennent juste après des élections départementales assez traumatisantes pour l’exécutif, vont continuer à nourrir l’impopularité de la majorité et le sentiment grandissant de protestation dont bénéficie actuellement le Front national.