Romero, le prophète de l’espérance

« Le monde des pauvres nous apprend que la libération arrivera non seulement quand les pauvres seront les destinataires privilégiés des attentions des gouvernements et de l’Église, mais aussi quand ils seront les acteurs et les protagonistes de leurs propres luttes et de leur libération en démasquant ainsi la dernière racine des faux paternalismes, y compris ceux de l’Église. » (Université catholique de Louvain, le 2 février 1980).

C’était il y a exactement trente-cinq ans, le lundi 24 mars 1980. La veille, dans la cathédrale de San Salvador, lors de la messe dominicale, l’archevêque prononça un sermon très militant pour s’opposer aux « escadrons de la mort » qui enlevaient et assassinaient de nombreux opposants au régime.

Il les a dénoncés avec une fermeté presque naïve en appelant à la désobéissance civique : « Un soldat n’est pas obligé d’obéir à un ordre qui va contre la loi de Dieu. Une loi immorale, personne ne doit la respecter. Il est temps de revenir à votre conscience et d’obéir à votre conscience plutôt qu’à l’ordre du péché. Au nom de Dieu, au nom de ce peuple souffrant, dont les lamentations montent jusqu’au ciel et sont chaque jour plus fortes, je vous supplie, je vous ordonne, au nom de Dieu : Arrêtez la répression ! ».

Le jour suivant, l’archevêque prit la parole lors d’une messe dans la petite chapelle de l’hôpital de la Divine-Providence. Il fut alors assassiné par une balle de fusil logée dans sa poitrine. Il est mort comme il a vécu, avec le courage de ceux qui ont la foi et l’amour pour résister à toutes les répressions policières et militaires. Le représentant du pape, le cardinal Corripio Ahumada, venu pour lui rendre hommage, a salué l’homme de paix : « Son sang donnera les fruits de la fraternité, de l’amour et de la paix. » (30 mars 1980).

L’horreur n’a pas de fin. Au début de la messe de son enterrement à la cathédrale de San Salvador, le 30 mars 1980, suivi par deux cent cinquante mille fidèles dont trois cents prêtres et trente évêques venus de tous les bouts de la Terre, un attentat à la bombe et des tirs nourris de mitrailleuses et de fusils automatiques ont provoqué une cinquantaine de morts, tués par balles ou piétinés par la panique qui a suivi l’explosion. Ces tirs provenaient, selon beaucoup de témoins, du palais présidentiel.

L’assassin de Monseigneur Oscar Romero n’a jamais été poursuivi ni condamné. Le juge chargé de l’enquête, Atillio Ramirez, a dû s’exiler pour se protéger après des menaces de morts et une tentative d’assassinat.

Selon des hauts responsables américains, il a paru assez certain, quelques années plus tard, que le commanditaire était le major Roberto D’Aubuisson (1944-1992), directeur des services de sécurité du Salvador, futur fondateur le 30 septembre 1981 de l’Alliance républicaine nationaliste (Arena), le parti d’extrême droite qui fut au pouvoir au Salvador pendant la dictature et qui s’est transformé en parti politique classique à partir de 1992. Il dirigeait les « escadrons de la mort » qui torturaient et assassinaient les opposants au régime d’extrême droite. Surnommé « Blowtorch Bob », il appréciait particulièrement brûler au chalumeau ses victimes avant de les tuer.

Le 7 mai 1980, Roberto D’Aubuisson avait été arrêté en possession de beaucoup d’armes en vue d’un coup d’État contre la junte alors au pouvoir mais par des multiples menaces terroristes, il réussit à conserver sa liberté et à commanditer de nombreux autres assassinats. Aux élections législatives du 28 mars 1982, son parti Arena et ses alliés ont même gagné 36 sièges sur 60 (l’Arena a eu 29,3% des voix et 19 sièges) et il fut élu Président de l’Assemblée constituante qui renvoya le gouvernement de la junte le 2 mai 1982, mettant fin à la guerre civile. Roberto D’Aubuisson fut ensuite candidat à l’élection présidentielle mais échoua au second tour le 6 mai 1984 face au candidat démocrate-chrétien José Napoleon Duarte élu avec 53,6% des voix. Robert D’aubisson est mort le 20 février 1992 à 47 ans d’un cancer sans jamais avoir été inquiété de sa responsabilité dans l’assassinat de Mgr Oscar Romero.

Revenons justement à l’archevêque de San Salvador. Oscar Romero est né le 15 août 1917 et fut baptisé alors que l’Église était persécutée. Il fit des études au séminaire contre la volonté paternelle, chez les Jésuites de San Salvador, puis poursuivit ses études à Rome. Il fut ordonné prêtre le 4 avril 1942 à Rome. Il a fui l’Italie de Mussolini et rentra difficilement au Salvador en 1943 sans terminer sa thèse de théologie (difficilement car il fut arrêté à Cuba).

Durant son activité pastorale à San Miguel, pendant une vingtaine d’années, il mit en place des groupes d’alcooliques anonymes, multiplia des groupes de réflexion, et fut aussi nommé recteur du séminaire de San Salvador. Il était apprécié du clergé salvadorien au point d’être nommé, en 1966, secrétaire de la conférence épiscopale de San Salvador, avant d’être ordonné évêque auxiliaire de San Salvador le 25 avril 1970 par Paul VI, consacré le 21 juin 1970 par le nonce apostolique Girolamo Prigione. Il grimpa assez rapidement dans la hiérarchie ecclésiastique en devenant évêque de Santiago de Maria le 15 octobre 1974, dans une région rurale et pauvre, puis, enfin, archevêque de San Salvador le 3 février 1977, consacré le 22 février 1977 (à 59 ans) alors qu’il était perçu encore comme un conservateur, succédant à Mgr Luis Chavez (1901-1987), atteint par la limite d’âge après trente-huit années dans ces fonctions.

L’assassinat du père Rutilio Grande à 48 ans, un ami jésuite progressiste qui prêchait dans son diocèse, au cours d’une embuscade perpétrée le 12 mars 1977 par les « escadrons de la mort » (ainsi que celui des deux proches qui l’accompagnaient pour une visite pastorale, Manuel Solorzano, 72 ans, et Nelson Rutillio Lemus, 16 ans, qui fut achevé à bout portant) bouleversa sa vie : « Quand j’ai vu Rutillio étendu mort, j’ai pensé que s’ils l’avaient tué pour ce qu’il avait réalisé, alors moi aussi, je devais avancer sur le même chemin. ».

Dès le lendemain, un dimanche, Mgr Romero organisa à la cathédrale de San Salvador une grande messe qui rassembla plus de cent mille personnes dont deux cents prêtres pour lancer un appel solennel à cesser toute violence. Il rendit hommage à son ami le 14mars 1977 : « Le père Grande, sans s’imposer ni heurter ses fidèles dans leur pratique religieuse, formait avec eux une communauté de foi, d’espérance et d’amour. Il les aidait à retrouver leur dignité comme personne et à reconquérir leurs droits. Ses efforts cherchaient un développement humain intégral. Cet effort ecclésial, stimulé par le Concile Vatican II, n’est certainement pas confortable pour tous, car il réveille la conscience du peuple. Ce travail dérange beaucoup de monde, et pour y mettre fin, il était nécessaire de liquider ceux qui s’y sont attelés. ».

Aucun enquête réelle n’aura jamais éclairé l’origine de ces assassinats si bien que Mgr Romero refusa tout contact avec le gouvernement et s’est lancé dans la résistance contre la répression, la torture, la pauvreté et l’injustice sociale (quelques familles détenaient l’ensemble de la richesse nationale : en 1978, il avait été évalué que 60% du pays appartenait à 2% des habitants). La popularité internationale de Mgr Romero s’est alors rapidement propagée, d’autant plus que ses homélies dominicales, radiodiffusées, étaient les seules sources fiables de ce qu’il se passait réellement au Salvador.

Mgr Romero s’opposa évidemment à l’arrivée de la junte militaire le 15 octobre 1979 soutenue par les Américains et il en a fait ouvertement le reproche au Président Jimmy Carter qui craignait que le Salvador se transformât comme le Nicaragua. Face à la théologie de la libération, Mgr Romero disait régulièrement : « La plus grande révolution sociale, c’est la réforme intérieure, sérieuse, surnaturelle, du chrétien. » (28 août 1973).

Quelques semaines avant son assassinat, Oscar Romero avait rencontré le pape Jean-Paul II et fait état de la situation catastrophique de son pays, de la répression sanglante qui y sévissait contre les chrétiens : « Il est important de remarquer pourquoi l’Église est persécutée. Ce n’est pas tous les prêtres ou n’importe lequel d’entre eux. Ce n’est pas toutes les institutions ou n’importe laquelle d’entre elles. Est attaquée ou persécutée cette partie de l’Église qui s’est mise aux côtés du peuple et se pose en défenseur du peuple. Ici aussi, se trouve la même clef d’explication de la persécution de l’Église : les pauvres. ».

Ce n’est que trente années après son assassinat, le 24 mars 2010, que le Président de la République Mauricio Funes présenta les excuses officielles de l’État salvadorien à la famille et à l’Église, regrettant l’implication de l’État dans cette mort : « Malheureusement, ceux qui ont perpétré cet assassinat ont agi avec la protection, la collaboration ou la participation d’agents de l’État. ».

Pour rendre hommage à l’œuvre et aux valeurs de Mgr Romero, le 21 décembre 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé la journée du 24 mars Journée internationale pour le droit à la vérité à propos des violations flagrantes des droits humains et pour la dignité des victimes. Le Président américain Barack Obama s’est, quant à lui, recueilli devant la tombe de Mgr Romero le 22 mars 2011 au cours d’une visite officielle au Salvador.

Très récemment, le 3 février 2015, le pape François a reconnu Oscar Romero comme un martyr de la foi, ce qui lui a ouvert la voie de la béatification. Le pape Benoît XVI, favorable à cette béatification, avait peur que celle-ci puisse être récupérée politiquement d’une manière ou d’une autre. Dans son journal, Mgr Romero avait noté le 4 février 1943 : « Ces derniers jours, le Seigneur m’a inspiré un grand désir de sainteté. J’ai pensé à quel point une âme peut s’élever elle-même et se laisser posséder entièrement par Dieu. ». Mgr Luis Chavez, son prédécesseur, est lui aussi en cours de procès en béatification, considéré le 8 février 1996 par Jean-Paul II comme un « modèle de vertu ».

Cet anniversaire ne devrait pas laisser indifférent le Premier Ministre Manuel Valls, qui fut longtemps maire d’Évry, la ville où s’est construite la seule cathédrale française du XXe siècle, au bout du cours Monseigneur Romero, qui passe par la Chambre de commerce et d’industrie et par l’Hôtel de Ville, dans le quartier nouveau aux façades roses.

S’il existe des héros du XXe siècle à remémorer, ce sont les courageux et les non violents, ceux qui ont toujours prôné la fin de la répression et la lutte contre les injustices. Mgr Oscar Arnulfo Romero a fait partie incontestablement de ceux-là. Hommage à lui et souvenir comme exemple pour le monde d’aujourd’hui.

Le village de Hoi An : un joyau préservé au cœur du patrimoine vietnamien
Comment réduire les coûts du DPE collectif pour les copropriétés ?