« Je veux qu’à la fin de mon mandat, notre pays soit plus fort. » (François Hollande le 14 juillet 2014).
Quelle trace laissera François Hollande ? Ce n’est pas moi qui pose la question mais le Président de la République lui-même, toujours aussi autocentré, lors de sa (traditionnelle) interview du 14 juillet 2014.
La dernière grande intervention médiatique datait d’il y a exactement un semestre, sa troisième conférence de presse délivrée à grandes pompes le 14 janvier 2014 au cours de laquelle François Hollande avait présenté son dernier outil de sa boîte, le « pacte de responsabilité », dernier avatar de la vacuité de sa politique économique et industrielle depuis deux ans. Un pacte dont les contours concrets sont encore très laborieusement en cours de mise en place avec l’adoption du projet de loi de finance rectificative par 307 députés (contre 232) le 1er juillet 2014 (six mois pour mettre en place la parole présidentielle !).
Et en six mois, il y a eu de l’eau qui a coulé à Matignon, puisque Jean-Marc Ayrault a été renvoyé (sans bien comprendre pourquoi puisqu’on continue toujours sa politique), Manuel Valls a été promu général en chef (au moins, il n’y a plus de cacophonie au sein des ministres), et le chômage… ne fait que s’amplifier.
Mais les deux événements majeurs de cette période, c’étaient évidemment les élections municipales des 23 et 30 mars 2014 et les élections européennes du 25 mai 2014 qui ont « formalisé » la très grande impopularité de l’exécutif en termes électoraux (ce fut un effondrement historique du Parti socialiste mais aussi de la gauche en général, et les seules places fortes qui ont résisté, comme à Paris, Lyon, Dijon, Strasbourg, Nantes, etc., ce fut grâce à des campagnes où la mention du PS fut la plus discrète possible).
N’ayons pas peur des mots : de cette prestation présidentielle, il n’en est rien sorti, ni vision, ni horizon, ni raison d’espérer. Comme depuis deux ans d’ailleurs.
François Hollande ou l’art de l’Imitation multiple
Sur la forme, le ton est resté messianique, très agaçant dans l’imitation de François Mitterrand (il n’est plus en campagne, pourrait-il être lui-même une fois pour toute ?) et somme toute, sur la manière de parler, très proche de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, en insistant sur la lourdeur de sa tâche, son ardeur à l’ouvrage.
J’ai même relevé une phrase, très significative de l’intervention, qui colle presque mots pour mots à un propos de son prédécesseur. François Hollande a effectivement déclaré, pour montrer une énième fois sa détermination : « Jusqu’à la fin de mon quinquennat, pas une seule minute ne sera perdue pour la réforme. » (en passant, les mauvaises langues pourraient se demander si les minutes passées en scooter sont perdues ou pas pour la réforme, mais chacun a bien le droit de vivre sa vie).
Et Nicolas Sarkozy avait déclaré le 13 octobre 2010 au cours d’un déjeuner à l’Élysée avec des députés du Nouveau centre : « Jusqu’à la dernière minute de mon quinquennat, je mettrai des idées nouvelles sur la table et des réformes. » (cité par « Le Point » entre autres). Étonnant parallélisme sémantique, non ? En tout cas, grand manque d’originalité peu voué à « réenchanter le rêve français » …selon une expression typiquement hollandienne (originale pour le coup).
Acheter français
Même les nouvelles lunettes présidentielles, qu’il porte mieux que les anciennes, pourraient faire l’objet de critique pour celui qui peine à convaincre qu’il veut redresser l’économie française : une entreprise française lui a justement envoyé une paire de lunettes identiques fabriquées en France alors que les siennes proviennent d’un pays étranger (certes européen).
C’est pourtant par l’exemplarité que les Français regagneront leur puissance économique. C’est un peu comme un maire FN du Var qui parle sans arrêt de son nationalisme vaguement patriote et qui roule en grosse Mercedes. Très peu de citoyens allemands auraient l’idée d’acheter une voiture qui ne soit pas allemande. En France ? L’individualisme prime, pour une raison ou pour une autre ; on s’en moque surtout.
Car évidemment, le fond de l’entretien du 14 juillet a trait à l’économie. Le complaisant journaliste David Pujadas avait tenté de rappeler que le 14 juillet 2013, il y a juste un an, François Hollande avait senti un frémissement de reprise économique. Un an après, pas de croissance, et un chômage qui s’accroît de plusieurs centaines de demandeurs d’emploi chaque jour. On est loin de la (très mal dite) inversion de la courbe du chômage prévue pour… décembre 2013 ! On est loin aussi de la maîtrise du déficit public qui dépassera probablement 4% en 2014 alors que l’objectif présidentiel avait été de 3% …pour 2013 ! Et cela, malgré des hausses massives d’impôts, de taxes et de diverses redevances.
L’impuissance comme arme de combat
C’était un peu prévisible : depuis deux ans, François Hollande ne fait qu’attendre un double effet mécanique, celui de la démographie (les départs à la retraite vont être massifs, donc, le chômage va baisser) et celui du trou : quand on est au fond du trou, on ne peut que rebondir (histoire des cycles de croissance). Cette impuissance institutionnalisée est aberrante : elle montre l’impréparation d’un homme qui fut onze ans à la tête d’un grand parti d’opposition et qui n’a travaillé que …sur son image pour se donner une stature présidentielle.
Le rejet massif dans l’opinion publique est historique et va avoir du mal à se répéter dans l’histoire. Les mesurettes proposées depuis deux ans (sa boîte à outils) n’a jamais concerné au mieux que quelques dizaines de milliers, voire centaine de milliers d’emplois alors qu’il faut trouver une solution aux plus de trois voire cinq millions de demandeurs d’emploi.
Même le pacte de responsabilité qui aurait pour but (dans une usine à gaz) d’alléger les charges de 40 milliards d’euros a trop tardé. Il aurait fallu un « choc de compétitivité » dès novembre 2012 comme l’avait suggéré Louis Gallois. Par tâtonnements timides, on a fait que des petites avancées qui ne donnent pas confiance aux investisseurs à cause de le manque de lisibilité et qui mécontentent les syndicats au point de bouder la dernière conférence sociale le 8 juillet 2014 (l’absence de la CGT et de FO me paraît marquer les limites de cet exercice essentiellement de communication).
Nouveau sujet à la mode, l’apprentissage. Là encore, les bras m’en tombent. Cela fait vingt-cinq ans que dans tous les discours politiques, on appelle à encourager l’apprentissage, à encourager la formation par alternance. Il y a d’ailleurs eu des progrès, même s’ils sont insuffisants. Pourquoi François Hollande découvre-t-il seulement maintenant l’apprentissage, vingt-six mois après son installation à l’Élysée ? Mystère. Et pourquoi, parallèlement, on veut remettre en cause les internats d’excellence qui avaient pourtant montré leurs preuves ? Là aussi, entre discours et réalité, il y a un fossé.
Même réflexe présidentiel de vouloir ménager la chèvre et le chou à sujet du travail le dimanche. Il n’est pas contre tout en ne voulant pas trop montrer qu’il est pour. Discours inaudible qui se traduit en action sur le vide, sur l’immobilisme et sur l’impuissance.
Il faut réindustrialiser de manière systématique
Le problème, c’est que le gouvernement ne s’est pas donné les moyens de réindustrialiser la France en faisant un inventaire détaillé et lucide des forces et faiblesses de l’industrie française dans chaque secteur et d’encourager les secteurs d’excellence. À quoi serviraient des baisses de charges si la France ne produisait plus ?
On préfère appliquer quelques vieilles méthodes qui montrent à l’évidence l’incapacité du gouvernement (mais il n’est pas le seul) à comprendre la réalité économique mondiale et aussi les habitudes de consommation des Français (la part de double langage entre fustiger les délocalisations en Chine et acheter des jouets ou des vêtements fabriqués en Chine est assez ahurissante).
La course de 2017 brouille les réformes
En ce sens, le Ministre de l’Économie Arnaud Montebourg a au moins compris un peu mieux que d’autres les réalités françaises concernant les entreprises et l’innovation. Malheureusement, s’il apprend assez vite depuis quelques mois (rappelons que jusqu’en 2012, le domaine économique et social n’était pas sa tasse de thé, lui qui excellait pour demander un procès pour Jacques Chirac), ce n’est pas pour redresser l’économie française, mais pour se positionner correctement lors de l’élection présidentielle de 2017, son discours du 10 juillet 2014 est à cet égard assez transparent.
Le principal concurrent, et néanmoins allié au sein du PS, d’Arnaud Montebourg, c’est bien sûr le Premier Ministre Manuel Valls qui n’a pas manqué d’enfoncer (l’air de rien) François Hollande dans son discours prononcé à Vauvert le 6 juillet 2014 lors d’un « banquet champêtre » (tous les partis organisent maintenant au début de l’été des déjeuners à la campagne, que la météo malheureusement n’honore pas toujours). Les mots étaient durs, à croire qu’il était dans l’opposition entre 2012 et 2014 : « Hésiter, faire à moitié, ce n’est pas la bonne méthode. » ; aussi : « Les Français attendent que le gouvernement agisse sans tarder, même si cela doit les perturber. » ; également : « Ce sont pourtant des réformes, de vraies réformes dans le dialogue, dont nous avons besoin. » ; ou encore : « La France est entravée, coincée, tétanisée. » et même « coincée dans ses postures partisanes ».
Bref, tout se profile pour que Manuel Valls et Arnaud Montebourg se disputent la candidature du PS à l’élection présidentielle de 2017 sans prendre en compte l’existence d’un François Hollande à l’autorité particulièrement réduite.
Encore des réformes sociétales ?
François Hollande a néanmoins expliqué qu’il confirmait son souhait de faire encore des réformes sociétales, mais à la fin de son mandat, en 2016, en précisant, de manière très hypocrite, qu’il ferait ces réformes si l’économie se redressait. Comme il n’y a pas de redressement à l’horizon, autant dire qu’il ne ferait pas ces réformes, ce serait plus clair et surtout plus rassurant, mais peut-être justement veut-il montrer à sa gauche qu’il pense encore à elle ?
Dans ces réformes sociétales, il y a le vote des étrangers (je vois bien l’effet de ce beau chiffon rouge agité quelques mois avant 2017 sur le score du FN de la prochaine élection présidentielle), et aussi une réforme sur « l’accompagnement de la très grande vieillesse », une expression qui me paraît le seul élément positif de cette interview, étant entendu qu’une loi sur l’euthanasie active ne serait plus à l’ordre du jour, pour ne pas ouvrir un nouveau front après le mariage gay.
Plus généralement (pas seulement la grande vieillesse), c’est une réforme sur l’accompagnement des personnes qui ont perdu leur autonomie qui est nécessaire et urgente, une réforme qu’avait voulu mettre en place Nicolas Sarkozy en automne 2010 mais que les intempéries monétaires de l’hiver 2010-2011 n’ont pas permis de lancer, et qui est sans doute le plus grand manque du quinquennat précédent. Que François Hollande préfère se pencher sur cette question cruciale qui donne une certaine idée de la société qu’on souhaite à légiférer sur l’euthanasie active me paraît sage et pertinent.
Quant à remettre sur la voie publique le débat sur le vote pour les étrangers, bien que très opposé (on ne peut différencier la citoyenneté de la nationalité, c’est un élément fondateur du vivre ensemble), je ne me fais pas trop d’inquiétude, si ce n’est sur ses effets sur le FN, puisque le gouvernement n’aura aucune majorité des trois cinquièmes pour réviser la Constitution en ce sens, d’autant plus que les prochaines élections sénatoriales vont être un nouveau Waterloo pour le PS par l’effet cumulé de l’échec aux municipales et de la réforme territoriale bâclée (Nicolas Sarkozy avait déjà subi les effets sur sa très timide réforme de 2010 qui instituait le conseiller territorial en perdant la majorité au Sénat en septembre 2011).
Inconsistance présidentielle
On le voit, Hollande fait toujours du Hollande, c’est-à-dire prend les Français pour des démeurés en n’indiquant pas clairement ses intentions. Peut-être habile politiquement (il sait répondre correctement aux questions de politique politicienne qui n’intéresse pas les Français), mais incapable de vision claire pour redonner un espoir à ses concitoyens, même si la route est dure.
Je terminerai sur deux sujets essentiels complètement absents de cet entretien, qui montre à quel point le Président de la République leur accorde de l’importance : rien n’a été dit de la construction européenne (à part une simple évocation de Matteo Renzi), ce qui est aberrant à la sortie d’élections européennes qui ont suscité un réel malaise, on s’étonnera donc que les europsceptiques soient si performants dans l’espace médiatique, et rien non plus n’a été dit sur ce qui était pourtant un leitmotiv de sa campagne présidentielle, la transition écologique. L’Europe et l’écologie, décidément, ce ne sont pas ses dadas…
Aucune perspective d’avenir, une illustration permanente de la méthode Coué en mille leçons, pas d’autorité morale pour faire des réformes dont le pays a besoin. La chance de François Hollande, c’est un niveau de FN très élevé qui tétanise toute la classe politique et une complète décomposition de son principal parti d’opposition, l’UMP, mais il devrait surveiller que ses propres ministres ne lui damnent pas le pion dans trois ans…