Premier round pour la proposition de loi présentée par Alain Claeys et Jean Leonetti sur la fin de vie. La légalisation de l’euthanasie a été évitée de justesse grâce aux députés de l’opposition, tandis que le message du gouvernement n’est pas très clair sur la finalité réelle de ce qu’il appelle lui-même une étape dans la législation.
Pendant deux journées, les 10 et 11 mars 2015, les députés ont examiné en quatre séances publiques la proposition de loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, articles après articles, avant le vote final de l’ensemble de la proposition qui aura lieu ce mardi 17 mars 2015 après les questions au gouvernement.
Alain Claeys et Jean Leonetti, soldats du consensus
Le pari du gouvernement de susciter un consensus sur ce sujet très sensible a montré ses limites lors de la discussion dans l’hémicycle. Pourtant, François Hollande et Manuel Valls ont tout fait pour l’obtenir en missionnant deux députés, tous les deux de 66 ans et élus pour la première fois le 1erjuin 1997 : Jean Leonetti, cardiologue (ancien chef du service de cardiologie à Antibes), ancien ministre UMP de l’aile modérée et auteur de la (fameuse) loi du 22 avril 2005 qui porte son nom, et Alain Claeys, économiste, maire PS de Poitiers proche de Laurent Fabius, qui a contribué au consensus sur la loi Leonetti en 2005 en étant le porte-parole du groupe socialiste durant les débats à l’époque.
C’est le problème des solutions médianes : pour certains, la proposition ne va pas assez loin, en clair, elle ne légalise pas l’euthanasie ni le suicide assisté ; pour d’autres, elle va au contraire trop loin en laissant beaucoup d’ambiguïtés sur le droit à la « sédation profonde et continue » qui pourrait s’apparenter, concrètement, à une euthanasie qui ne dirait pas son nom. Les deux, d’ailleurs, étrangement, se rejoignent pour s’opposer à l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles considérés comme des traitements lors de la sédation en phase terminale.
Le très fragile équilibre de la proposition de loi tient surtout par une extrême prudence sur l’utilisation de certains mots et expressions, même si certains mériteraient encore quelques précisions supplémentaires, ce qui devrait être fait lors de sa discussion au Sénat.
La boîte de Pandore à moitié ouverte
Concrètement, la boîte de Pandore a néanmoins été à moitié ouverte avec cette proposition de loi inscrite à l’ordre du jour et tout a été entendu, d’un côté comme de l’autre. Je reviendrai probablement plus tard sur les grandes lignes de cette (assez brève) discussion parlementaire.
Même si certains amendements ont été adoptés, le résultat de cette discussion est que la proposition de loi n’a pas été dénaturée et reste conforme à l’origine, ce qui devrait permettre à une grande partie des députés de la majorité mais aussi de l’opposition de s’y retrouver.
En effet, d’une part, le texte permet selon les premiers une « avancée » (dont l’ambiguïté serait qu’il ne serait qu’une étape) pour accompagner le mieux possible la fin de vie de patients en phase terminale, et d’autre part, comme le souhaitaient les seconds, le texte reste dans la ligne de la loi Leonetti du 22 avril 2005, c’est-à-dire a très précisément maintenu les digues contre un éventuel droit à mourir ou à tuer, à savoir en refusant la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté dont des dérives particulièrement inquiétantes ont pris le pas dans certains pays voisins (notamment nos voisins belges et néerlandais).
Un plan de développement des soins palliatifs
Dans la discussion générale avant l’examen des différents articles de la proposition de loi, les députés se sont répartis généralement entre deux types de discours, ceux qui ont considéré essentielle l’éthique de l’autonomie, à savoir que la liberté de choix est prioritaire, et ceux qui ont considéré essentielle l’éthique de la vulnérabilité, à savoir que le respect de la dignité des plus faibles compte plus que tout autre considération. Beaucoup ont fait état de l’inutilité d’une telle proposition tant que les soins palliatifs ne bénéficieraient pas d’un investissement budgétaire massif de la part du gouvernement.
En réponse, la Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes Marisol Tourainea annoncé un plan sur trois ans de développement des soins palliatifs avec la formation de l’ensemble des professionnels de santé, l’élaboration de « référentiels communs » pour l’ensemble des professionnels de santé et surtout, l’accès aux soins palliatifs à domicile et dans les établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) : « À l’évidence, ce texte ne se résume pas à l’amélioration, la mise en place ou l’approfondissement d’une démarche palliative. Je le dis très clairement. S’il s’agit de développer les soins palliatifs, nous n’aurions pas besoin d’une nouvelle loi. Le plan de développement des soins palliatifs (…) ne s’inscrit pas dans le cadre législatif : il s’appuiera sur des dispositifs réglementaires de différente nature. ».
Ce plan n’est pas encore finalisé et sera présenté devant la commission des affaires sociales dès qu’il sera « lancé ». Il serait temps alors qu’un tel plan avait déjà annoncé par le Président François Hollande dès le 17 juillet 2012 à Rueil-Malmaison. Trois ans de perdu, ce qui n’est pas rien pour les 80% patients en fin de vie qui n’ont pas pu bénéficier de soins palliatifs ces dernières années.
Marisol Touraine a par ailleurs rejeté l’inscription sur la Carte Vitale des directives anticipées (ce que proposait le texte) au profit d’un « registre national » consultable par les médecins : « Les faire figurer sur la Carte Vitale n’a pas semblé une solution satisfaisante. En effet, ce support étant amené à évoluer et comportant des informations administratives, son accès n’est pas des plus simples pour les professionnels. ».
Enfin, Marisol Touraine s’est engagée à revoir la tarification des soins palliatifs en les rehaussant, car ils sont bien moins valorisés que les actes curatifs et donc, peu rentables dans les structures hospitalières.
Des intentions gouvernementales très ambiguës
Même si l’exécutif a préféré laisser l’initiative aux parlementaires sur ce sujet, Marisol Touraine n’a pas manqué cependant d’ambiguïté sur les réelles motivations de l’exécutif en laissant entendre que ce texte ne serait qu’une simple étape.
Certes, dans la discussion, Marisol Touraine a déclaré : « La position du gouvernement et du Président de la République est que la proposition de loi qui est débattue constitue une avancée : c’est cette avancée qui permet de répondre sans brusquer la société. Le gouvernement, tout en respectant les positions des uns et des autres, ne propose donc pas d’aller au-delà. Peut-être, dans quelques années, d’autres parlementaires souhaiteront-ils faire progresser cette loi. Ce sera leur responsabilité, mais telle n’est pas la position du gouvernement aujourd’hui. (…) Le point d’équilibre atteint par cette proposition de loi ne réconcilie pas des positions divergentes, mais il permet de répondre aux attentes de nos concitoyens de la manière la plus ambitieuse possible sans prendre le risque de brusquer une partie de la société. ».
Mais elle a ainsi poursuivi : « Dans le même temps, un jour peut-être (…), la société et le droit évolueront. (…) D’autres étapes viendront peut-être ; il appartiendra au législateur, à la société et au peuple français de se prononcer à ce moment-là. Je ne sais pas aujourd’hui s’il s’agit d’une dernière étape, ou si d’autres viendront. Certains souhaitent s’arrêter là, d’autres non. En tout cas, le gouvernement souhaite aujourd’hui un rassemblement sur la proposition de loi défendue par les rapporteurs. ».
Ce qui rappelait sa déclaration d’introduction au débat quelques heures auparavant qui avait de quoi laisser dubitatif : « À l’évidence, le débat reste ouvert, c’est naturel pour un tel sujet. Il s’agira par la suite de voir comment cette loi est appliquée et, au cas où une étape supplémentaire paraîtrait nécessaire, de réfléchir à la meilleure manière de l’engager. Le gouvernement apportera son appui à cette réflexion. Je donnerai d’ailleurs un avis favorable à un amendement prévoyant que l’application de cette proposition de loi fasse l’objet d’un rapport annuel du gouvernement au Parlement. ».
En clair, cela voudrait dire que le gouvernement serait prêt à rouvrir la boîte de Pandore chaque année au Parlement et, éventuellement, sans « brusquer » la société, lorsqu’elle serait « prête », faire adopter l’euthanasie et le suicide assisté.
Une bataille d’amendements
En tout, 1 041 amendements ont été déposés au cours de cette discussion parlementaire pour modifier la proposition. Quelques députés de l’opposition ont été très présents durant ces débats, ils l’avaient déjà montré à la commission des affaires sociales, en particulier Xavier Breton, Philippe Gosselin, Hervé Mariton, François Reiss, Nicolas Dhuicq et Jean-Frédéric Poisson.
Ils ont notamment réussi à éviter l’adoption d’amendements de contournement à finalité euthanasique, comme celui de Gérard Sebaoun (PS) qui voulait inscrire que les directives anticipées permettraient d’inscrire le « choix de sa fin de vie » et ont convaincu Marisol Touraine, initialement favorable à l’amendement, à donner finalement un avis défavorable, du fait de l’ambiguïté de la formulation.
Les amendements visant à dénaturer complètement le texte en légalisant l’euthanasie et le suicide assisté ont été avancés dans l’examen pour être discutés le plus tôt possible. Cette modification de l’ordre du jour voulue par le gouvernement avait un but : que la plupart des députés socialistes fussent présents et pussent s’y opposer face à la minorité militante de l’euthanasie. Alors que les débats ont largement entamé les deux nuits (à une heure et à une heure quarante-cinq du matin).
La légalisation de l’euthanasie évitée de justesse
Le principal amendement sur l’euthanasie a été présenté par le socialiste Jean-Louis Touraine et soutenu par 121 députés, avec l’expression exacte « assistance médicalisée active à mourir » (pour ne pas faire peur avec le mot « euthanasie »). Deux autres amendements similaires, l’un présenté par l’écologiste Véronique Massonneau et l’autre par le radical de gauche Roger-Gérard Schwartzenberg, ont été inclus dans un vote commun au scrutin public.
Sur 161 votants, ces trois amendements ont reçu 70 voix favorables dont 50 PS et 89 voix contre dont 40 PS et 43 UMP. Concrètement, c’est grâce à l’opposition que la légalisation de l’euthanasie a été évitée, et il y a eu plus de députés PS votant contre l’avis du gouvernement socialiste que de députés PS disciplinés. Cela donne une idée de l’autorité politique de l’exécutif (déjà aperçue avec le 49 alinéa 3).
Quelles sont les modifications adoptées ?
La plupart des amendements ont été refusés par le gouvernement et les deux corapporteurs et ont été rejetés par l’Assemblée Nationale. En particulier, la plupart des amendements de l’opposition visant à clarifier les ambiguïtés sémantiques du texte ou les éventuelles dérives euthanasiques qu’il pourrait susciter dans son application.
Quelques amendements ont quand même été adoptés.
À l’article 1 de la proposition de loi, un droit à une formation aux soins palliatifs pour le personnel médical a été approuvé (amendement de François de Mazières).
Beaucoup de parlementaires ont évoqué la situation très difficile que vivait Vincent Lambert à l’occasion de l’examen de l’article 2. Il a été refusé de préciser l’expression « maintien artificiel de la vie ». Jean Leonetti, comme en commission, en a donné la définition : « lésions cérébrales majeures et irréversibles, entraînant une absence de conscience de soi et une absence de relation à l’autre »mais « relation à l’autre » reste cependant une notion encore assez floue.
À l’article 3, il a été obtenu que l’expression « ne pas prolonger inutilement sa vie » n’était pas très pertinente, l’adverbe « inutilement » pouvant laisser entendre q’une vie pourrait être inutile. Pour éviter toute ambiguïté, une autre expression serait proposée lors de la navette avec le Sénat. Ont été ainsi proposés d’autres adverbes : « obstinément » ou « déraisonnablement » pour reprendre l’expression de l’article 2 et de la loi du 22 avril 2005 : « obsession déraisonnable ».
À l’article 4, l’expression « effet secondaire » a été supprimée car elle était très maladroite pour évoquer le risque létal envisagé dans le principe du double effet, celui des traitements visant à soulager des douleurs réfractaires « même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie ». En effet, mourir est loin d’être « secondaire ».
À l’article 4 bis rajouté par la commission pour demander des rapports régionaux annuels sur les soins palliatifs, un amendement d’Anne-Yvonne Le Dain (PS) a été adopté contre l’avis du gouvernement et des corapporteurs pour créer un registre spécial dans chaque établissement concerné qui recense chaque cas de sédation profonde et continue. Un moyen de contrôle et d’évaluation qui paraît intéressant.
Les articles 5, 6 et 7 n’ont pas été modifiés par les députés.
À l’article 8, les directives anticipées pourront être, par un amendement du gouvernement, être consignée dans un registre national consultable par les médecins au lieu d’être inscrites sur la Carte Vitale. Ce registre n’est pas obligatoire et des directives anticipées gardées secrètes seront tout aussi valables.
Un amendement de Véronique Massonneau a été adopté pour compléter l’article 9 : la personne de confiance pourra consulter le dossier médical du patient qu’elle représente.
Enfin, un amendement de Sandrine Hurel (PS) a été adopté pour demander au gouvernement un rapport annuel au Parlement sur le développement des soins palliatifs et l’application de la future loi Claeys-Leonetti.
Vote final en première lecture de la loi le 17 mars 2015
Les explications de vote et le vote lui-même de l’ensemble du texte auront lieu le 17 mars 2015 avant sa transmission au Sénat. Comme la proposition de loi a subi des modifications mineures, tout porte à croire qu’elle sera adoptée largement au-delà des seuls députés de la majorité. Dans tous les cas, une seconde lecture sera nécessaire puisque les corapporteurs se sont déjà engagés à préciser quelques expressions lorsque le débat viendra au Sénat.