Les dernières élections sénatoriales, fin septembre, ont remis sous le feu des projecteurs le débat sur le bien-fondé de la deuxième chambre du parlement.
Après un court passage de la majorité à gauche, le Sénat repasse à droite tout en restant la chambre parlementaire la plus archaïque du monde occidental. Son mode d’élection notamment est la cause d’un grave déficit de légitimité démocratique et de l’avènement d’une chambre structurellement à droite depuis 1858…
La plupart des états dans le Monde connaissent ou ont connu l’existence d’une seconde chambre parlementaire, le plus souvent liée à leur histoire nationale. Généralement, cette deuxième chambre était créée à l’origine pour préserver les intérêts de catégories sociales devenues minoritaires dans la société. Elle s’est maintenue, au cas par cas selon les pays et son existence a été justifiée, par ses initiateurs, par de nouvelles fonctionnalités constitutionnelles ou politiques, souvent très discutables.
La France n’a pas fait exception à cette règle historique. Dans les lois constitutionnelles de 1875, le Sénat avec ses 300 membres formait la chambre haute et partageait le pouvoir législatif avec la chambre des députés. La constitution de 1946 lui substitua le Conseil de la République, dont le rôle politique et législatif était réduit.
Réintroduit à l’article 24 de la constitution de la 5ème République, il assure aujourd’hui la représentation des collectivités territoriales et perpétue ainsi une longue tradition française.
Une chambre dont l‘existence est très discutable
Le Sénat est renouvelable par moitié depuis 2011, après avoir été renouvelable par tiers tous les trois ans, à partir de 1958. Les sénateurs, au nombre de 348, sont élus pour six ans au niveau départemental par un scrutin soit proportionnel (dans 52 % des cas), soit uninominal à deux tours(dans 48 % des cas) par un collège composé de 150 000 grands électeurs : députés, conseillers généraux, conseillers régionaux et délégués des conseils municipaux.
L’ensemble de ces grands électeurs ne représente que 0,25 % de la population ! Le poids écrasant des délégués des conseils municipaux (95% du collège), accentué par le fait que 98% des communes françaises comptent moins de 9 000 habitants, contribue à faire du Sénat une chambre vouée à la défense quasi exclusive des intérêts ruraux au détriment de l’intérêt général.
Les textes doivent être votés dans des termes identiques par les deux chambres. Si aucun accord n’est trouvé, le gouvernement peut convoquer une Commission Mixte Paritaire (CMP) chargée de trouver un compromis. Si le travail de la CMP n’aboutit pas à un texte de consensus ou si le texte n’est pas voté par l’une des chambres, le gouvernement peut alors débloquer le processus législatif en demandant à l’assemblée nationale de statuer en dernier ressort.
Le président du Sénat dispose en outre de pouvoirs politiques importants : il assure la présidence de la République en cas de vacance du pouvoir ou d’empêchement constaté et nomme un tiers des membres du Conseil Constitutionnel.
Historiquement, le Sénat n’a eu de cesse de s’opposer aux réformes modernisatrices, comme le PACS, la parité ou encore l’indépendance de la justice. Pendant la première alternance, de 1981 à 1986, 42% seulement des lois ont été adoptées d’un commun accord entre les deux chambres, contre 95% lors des législatures précédentes. Dans 40% des cas, le blocage exercé par le Sénat a été tel que le gouvernement s’est vu dans l’obligation de demander à l’assemblée nationale de statuer en dernier ressort.
Une réforme indispensable et urgente
«Le Sénat a un privilège exorbitant et imparable, celui de tout bloquer» indiquait le Général De Gaulle qui a tenté d’en faire une sorte de super Conseil économique et social composé de représentants de tous les intérêts de la société. La nécessité d’une seconde chambre consultative représentant les collectivités territoriales et les organisations économiques, familiales, intellectuelles avait été énoncée dans son discours de Bayeux le 16 juin 1946. L’échec du référendum du 27 avril 1969 où le Non l’a emporté par 52,41% des suffrages, a vu la fin de ce projet.
En 1998, Lionel Jospin, alors premier ministre, avait bien qualifié le Sénat d’« anomalie démocratique» mais par cette formule, il critiquait non pas le principe d’une deuxième chambre mais essentiellement son mode de scrutin.
Avec un peu d’ambition et de courage, on pourrait à nouveau aujourd’hui proposer de fusionner le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) au sein d’une nouvelle chambre exerçant une fonction consultative et ne disposant d’aucun pouvoir de blocage.
– L’intérim du président de la République serait exercé par le premier ministre et non plus par le président du Sénat.
– La nouvelle assemblée n’aurait plus l’initiative des lois.
– Les projets et propositions de révision constitutionnelle seraient adoptés à la majorité absolue des députés puis soumis au référendum et non plus par le congrès (Assemblée nationale + Sénat)
La composition de cette nouvelle assemblée pourrait être la suivante :
– Réduction drastique du nombre de représentants à 300 (actuellement 348 sénateurs + 233 membres du CESE = 581)
– 150 membres représentant les collectivités territoriales de métropole et d’outre-mer élus à la proportionnelle intégrale dans le cadre des circonscriptions régionales.
– 150 autres représentant les activités économiques, sociales et culturelles, désignés par des organismes représentatifs (salariés, agriculteurs, entreprises, familles, professions libérales, enseignement supérieur et la recherche, activités sociales et culturelles).
Mais aujourd’hui, l’UMP et l’UDI sont hostiles à toute réforme qui mettrait en péril la domination séculaire de la droite. Et le PS, après avoir réalisé l’extension du mode de scrutin proportionnel à partir de 3 sièges de sénateurs dans les départements, ne propose plus rien d’autre.