Peshawar : rajouter de l’horreur à l’horreur

Profitant de l’émotion provoquée par l’attentat de Peshawar, le gouvernement pakistanais de Nawaz Sharif a remis en route la machine infernale des pendaisons dans son pays.

Le mardi 16 décembre 2014, un attentat-suicide particulièrement horrible (ils le sont tous) a eu lieu dans un lycée militaire à Peshawar, au nord-ouest du Pakistan, commis par six islamistes kamikazes talibans (revendiqué par le Tehrik-e-Taliban). En tout, 149 personnes sont mortes, dont 133 écoliers entre 10 et 18 ans qui étaient présents. Ce fut l’attentat le plus meurtrier de toute l’histoire du Pakistan, plus que l’attentat-suicide du 18 octobre 2007 qui a tué 139 personnes à Karachi.

Dès le lendemain, le gouvernement du Premier Ministre Nawaz Sharif a annoncé que pour les actes de terrorisme, il levait le moratoire sur la peine de mort qui avait été décidé par l’un de ses prédécesseurs le 3 juillet 2008 (annoncé le 21 juin 2008). Dès le vendredi 19 décembre 2014, deux talibans qui avaient déjà été condamnés à mort (pour d’autres assassinats) ont été exécutés, et la machine va s’emballer, puisque dix autres pendaisons au moins ont déjà été programmées pour ces jours-ci.

Cette réponse au terrorisme est tout aussi horrible que les attentats eux-mêmes. Elle consacre presque la victoire des terroristes sur les droits humains. L’exemplarité et l’efficacité d’une telle mesure n’ont aucun sens puisqu’il s’agit d’attentats-suicides, ce qui est un caractère commun pour tous les actes de terrorismes islamistes, que ce soit au Pakistan, en Afghanistan, en Israël et même aux États-Unis et dans tout autre pays touché par cette vague sordide.

Leader de la Ligue musulmane du Pakistan depuis 1993, Nawaz Sharif avait déjà été le Premier Ministre du Pakistan du 6 novembre 1990 au 18 juillet 1993 et du 17 février 1997 au 12 octobre 1999 (victime du coup d’État « non-violent » du général Pervez Musharraf). Emprisonné puis exilé, il a pu retourner au Pakistan en novembre 2007 où il a fait alliance avec Benazir Bhutto pour les élections législatives du 18 février 2008. Intégré d’abord dans la coalition gouvernementale (son parti est arrivé en deuxième position), il l’a quittée juste après l’éviction de Pervez Musharraf de la Présidence le 18 août 2008 pour devenir le chef de l’opposition. Il a finalement repris le pouvoir le 5 juin 2013 à la suite des dernières élections législatives du 11 mai 2013, à l’issue d’une campagne où il avait promis la levée du moratoire.

Ce moratoire avait été décidé le 3 juillet 2008 pour les crimes de droit commun par le gouvernement de Youssouf Raza Gilani qui venait d’être installé le 25 mars 2008 (après les élections législatives du 18 février 2008). Le rôle du Premier Ministre a été renforcé par la réforme constitutionnelle du 19 avril 2010 pour devenir le véritable chef de l’Exécutif (au détriment du Président de la République).

Ce moratoire apportait au Pakistan quelques avantages internationaux, et avait été un élément majeur pour lui permettre d’exporter vers l’Union Européenne, son premier partenaire commercial, de nombreux produits (dont le textile) sans barrière tarifaire.

Il n’a cependant pas empêché certaines exécutions puisque Mohammad Hussein, un soldat, avait été exécuté par pendaison le 15 novembre 2012 à la prison de Mianwali, condamné à mort en février 2008 par un tribunal militaire pour avoir assassiné son supérieur hiérarchique. La dernière exécution avait eu lieu en novembre 2008.

De même, ce moratoire n’a pas empêché la condamnation à mort le 8 novembre 2010 de la chrétienne pakistanaise Asia Bibi (45 ans), accusée d’avoir commis un blasphème en juin 2009. La condamnation à mort d’Asia Bibi a été confirmée par la Haute Cour de Lahore le 16 octobre 2014 malgré la forte mobilisation et l’émotion de la « communauté internationale ». Ce jugement avait créé de nombreux troubles politiques au Pakistan avec notamment l’assassinat de Salman Taseer, gouverneur du Pendjab, le 4 janvier 2011, et celui du ministre catholique Shahbaz Bhatti, le 2 mars 2011, qui avaient tous les deux défendu Asia Bibi (Shahbaz Bhatti fera peut-être l’objet d’un procès en béatification).

La peine de mort pour blasphème avait été introduite par le général Zia ul-Haq en 1986 dans le cadre de l’islamisation de son pays mais n’avait encore jamais été appliquée car les personnes condamnées avaient toutes été acquittées ou graciées : « Toute remarque désobligeante (…) vis-à-vis du Prophète à l’écrit ou à l’oral, ou par représentation visible, ou toute imputation ou insinuation, directe ou indirecte (…) sera punie de la mort, ou de l’emprisonnement à vie, et aussi passible d’une amende. ». Près d’un millier de personnes ont été inculpées de blasphème et plus d’une trentaine sont mortes assassinées après avoir été soit acquittées, soit graciées de ces accusations.

En conformité avec les déclarations de campagne de Nawaz Sharif, son nouveau gouvernement avait refusé le 4 juillet 2013 de prolonger le moratoire qui avait expiré le 30 juin 2013. Cependant, le 3 octobre 2013, il était revenu sur cette décision et l’avait finalement reconduit (probablement sur pressions économiques) après avoir suspendu temporairement son projet de reprise des exécutions le 18 août 2013. Jusqu’à ce 17 décembre 2014 où le moratoire a été levé pour les actes terroristes.

Ce vendredi 19 décembre 2014, deux condamnés à mort ont donc été exécutés par pendaison à la prison de Faisalabad, au Pendjab : Aqi alias le docteur Usman, condamné à mort pour avoir planifié l’attentat meurtrier à Rawalpindi ayant provoqué plus de 41 morts le 4 décembre 2009, et Arshad Mehmood, condamné à mort pour avoir participé le 25 décembre 2003 à une tentative d’assassinat contre le Président Musharraf, attentat qui avait tué 16 personnes.

Six autres condamnés à mort devraient être exécutés très prochainement dans le Pendjab et quatre autres dans la province du Sind, dont deux dont l’exécution est prévue le 23 décembre 2014.

Selon Amnesty International, 8 000 personnes sont en prison au Pakistan parce qu’elles ont été condamnées à mort, dont 500 pour raison de terrorisme, mais certains ont été condamnés par des tribunaux antiterroristes en raison de leur efficacité et sans lien avec des faits de terrorisme.

Cette reprise rapide des exécutions est une véritable honte, surtout en profitant de la violence et de l’indignation suscitées par l’attentat de Peshawar. Cette réponse est aussi absurde que la guerre en Irak pour répondre aux attentats du 11 septembre 2001 puisque cela concerne des événements très différents.

La plupart des attentats commis par les talibans sont suicidaires, la peine de mort n’aura donc aucune influence sur la sécurité des populations civiles ou militaires du pays. En revanche, la fin du moratoire permet de surfer sur une « opinion publique » émue par les nombreux attentats talibans qui ensanglantent le Pakistan.

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