Alors qu’en France, une loi votée à l’été 2011, interdit l’usage de la fracturation hydraulique, qui consiste à injecter dans le sous-sol de grosses quantités d’eau sous pression, surchargée de dizaines, voire de centaines de produits chimiques toxiques, l’exploitation de ces ressources fossiles non conventionnelles s’accélère dans le reste du monde, notamment en Argentine.
Ce pays est en effet devenu le nouvel eldorado des multinationales pétrolières, à commencer par Total qui détient déjà de nombreux permis, jusque dans une aire naturelle protégée…
La Patagonie reste un lieu à part pour la beauté de ses paysages et ses étendues sauvages. Une immensité de steppes, de pampas, de montagnes, de glaciers, d’archipels devenue depuis peu la nouvelle proie des multinationales pétrolières.
Dans la région de Neuquén, Río Negro et Mendoza en Argentine, une formation géologique, Vaca Muerta, couvre 30 000 km2 et contient d’immenses réserves potentiellement exploitables d’hydrocarbures non conventionnels. Ces gisements ont été découverts en 2010 par des ingénieurs et des scientifiques argentins de l’entreprise Repsol YPF. En novembre 2011, les réserves du gisement étaient évaluées à environ 927 millions de barils (741 millions de pétrole, le reste de gaz).
Et suite à un décret national et à des réformes légales au niveau provincial, de larges bénéfices ont été octroyés aux entreprises pétrolières : allongement de la durée des concessions à 35 ans, exemption d’impôts, augmentation du prix de vente du gaz, liquidation des devises à l’étranger, suppression des consultations publiques, etc.
Total en première ligne perce la Patagonie
Total présent en Argentine depuis 1978 au travers de sa filiale Total Austral S.A, et deuxième opérateur de gaz du pays a produit entre 2009 et 2012 30 % du gaz argentin. Mais il s’agissait encore de gaz conventionnel alors que les réserves estimées de gaz de schiste désignent le pays comme un des principaux producteurs mondiaux de demain, juste derrière les États-Unis et la Chine.
Dès 2010, Total a acquis des permis avant toutes les autres compagnies et a même commencé à forer dans une aire naturelle en théorie protégée, Auca Mahuida, dans la province de Neuquén, au nord-ouest de la Patagonie, tout contre la cordillère des Andes. Un premier puits, Pampa las Yeguas X1, a été percé et le bal tragique des foreuses et des camions a déjà commencé.
Il s’agit d’une vaste zone de 77 000 hectares qui couvre une zone de transition entre la steppe de Patagonie et la montagne. Les Indiens y ont été notamment massacrés au cours de la « Conquête du désert » de 1879, et il ne reste sur place que des Mapuche, qui n’intéressent pas grand monde.
La zone est très riche en mammifères sauvages, au point que des biologistes la considèrent représentative de la « steppe patagonienne ». Parmi tous ces animaux sauvages, il existe plusieurs espèces en voie de disparition et des espèces endémiques. On y trouve des guanacos (sortes de lamas), des pumas, des maras (des rongeurs), des grands tatous velus, des furets de Patagonie, des condors, le nandou choique (ressemblant à une autruche), ou le chat andin.
Juliette Renaud, chargée de campagne aux Amis de la Terre France (*) résume très bien la situation : « L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en Argentine illustre tristement le double standard qui existe selon que les multinationales françaises agissent en France ou dans un pays du Sud. La loi française interdit le recours à la fracturation hydraulique au nom de la protection de la santé des populations et de l’environnement, mais le gouvernement français n’a rien fait pour freiner le développement de gaz et huiles de schiste en dehors de nos frontières. Il doit agir immédiatement, en reconnaissant d’une part la responsabilité légale des maisons-mères des multinationales sur les activités de leurs filiales et sous-traitants ».
Quant aux populations locales, elles peinent à croire aux promesses de progrès qu’est supposé apporter ce nouveau boom des gaz et huiles de schiste car après un siècle d’exploitation conventionnelle de gaz et pétrole, de nombreuses communautés souffrent déjà des lourds impacts sociaux et environnementaux.
Mais comme il se doit, Total jure que tout est en règle, et que toutes les autorisations ont été données. En cas de problèmes, Christophe de Margerie, son patron à moustache, pourra toujours se tourner vers le Président de la République François Hollande, qu’il rencontre quand il veut grâce à son cousin par alliance Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Élysée…