Est-il normal que ce soit un chef de gouvernement qui annonce la nomination du président du Parlement européen, surtout au moment où les eurodéputés réussissent à imposer leur candidat à la présidence de la Commission ?
Non. Ce matin, j’ai demandé à Martin Schulz venu se présenter au groupe ALDE (libéral), avant le vote en plénière : « qui vous a fait roi ? » Il est convenu que seule l’assemblée pourrait le désigner et cette étape n’est pas gagnée d’avance ; même en cas d’accord des groupes PPE et SD, la majorité peut lui manquer. Il a compris le message…. D’autant plus qu’il venait en effet de se réjouir que « le président de la Commission serait choisi par cette assemblée ». Cela posé, l’Allemagne étant gouvernée par une « grande coalition » entre le SPD (socialiste) et la CDU-CSU (démocratie chrétienne), il n’est pas anormal que le compromis intervenu au sein du gouvernement allemand, sur le choix des responsables européens, soit publiquement proposé aux autres gouvernements.
Cette reconduction de Martin Schulz à la suite d’un compromis germano-allemand, la présidence du Parlement au SPD, le poste de commissaire à la CDU, n’est-elle pas la démonstration que le Parlement européen est la troisième chambre du Parlement allemand ?
Au lieu de déplorer sans cesse la « domination allemande », peut-être devrions-nous nous souvenir des principes établis par Montesquieu et Locke (qui n’étaient pas Allemands…) : la démocratie repose sur la séparation des pouvoirs. En conséquence, le Président du Parlement doit être choisi par les représentants des citoyens et non par l’exécutif. Martin Schulz n’est d’ailleurs pas encore élu à la présidence du Parlement. Il est simplement candidat, avec le soutien des dirigeants de son pays et des deux principaux groupes politiques. D’ailleurs, une candidate des Verts lui sera opposé, Mme Lunacek. Nous devrions tous, gouvernements et élus européens, aborder ces questions avec rigueur, en donnant la priorité aux principes
Certes, mais un Allemand se succède à lui-même. La liste des présidents allemands du Parlement européen commence à être longue…
Il y a eu, par le passé, des présidents français. Depuis, au fur et à mesure que les prérogatives de ce Parlement se sont accrues, les partis français se sont hélas détournés des questions européennes. Ils n’ont pas toujours veillé à envoyer les meilleurs et les plus honnêtes au Parlement européen, ni à reconduire les plus assidus. A quelques exceptions près, ils ne favorisent pas la compétence, ni le plurilinguisme qui conditionnent l’exercice de responsabilités. Chaque pays a l’influence qu’il veut bien cultiver. Je le déplore avec tristesse mais, depuis la chute du mur de Berlin, la France est en perte de vitesse, non pas tant à cause de la puissance allemande qu’en raison de son manque d’engagement voire de sérieux, dans les matières européennes, et d’imagination. La dernière élection européenne n’a donné lieu qu’à un débat au ras des pâquerettes, indigne du pays où Monnet et Schuman ont inventé la méthode communautaire. Personne ne peut nier que Martin Schulz a déployé beaucoup d’énergie pour imposer une interprétation plus démocratique des traités. Le SPD a fait un très bon score, comme le Partito Democratico italien. Pendant ce temps en France, ce sont des courants anti-européens, appelés à rester à la marge, qui ont eu le plus de succès à cause de la démission des modérés, souvent dépourvus de vision européenne, occupés à courir derrière les populistes. Pour la deuxième fois depuis 2005, les Français ont pensé qu’il fallait protester pour que l’UE change. E réalité ce sont les artisans du compromis qui la font le plus évoluer.
Le poste de président du Parlement européen doit-il faire parti du paquet de nominations à venir, au même titre que le poste de ministre des affaires étrangères ?
Non. Il y a d’une part les fonctions exécutives – Président de la Commission, Haut représentant pour les affaires étrangères, Président du Conseil européen ou de l’Eurogroupe – et, d’autre part, les fonctions législatives – Présidence du PE et responsabilités à l’intérieur de celui-ci. En toute rigueur, le « paquet » ne devrait concerner que les premières. En outre, dans la meilleure tradition britannique, le Président d’une assemblée parlementaire, « speaker of the house », est au-dessus des partis. Il doit défendre les droits des minorités, veiller à l’équilibre général des débats, sans entrer dans les marchandages.
Est-il de bonne pratique que le mandat de président du Parlement soit à nouveau divisé en deux, 2,5 ans pour les socialistes, 2,5 ans pour les conservateurs ?
Ce n’est pas le changement possible à mi-mandat qui pose problème. Ce n’est pas même le partage des postes, mais la manière dont il est opéré. Il doit être assumé et expliqué, au lieu d’accréditer des accords dans l’ombre. La France a une tradition politique de confrontation qui rend tout type de « relais » entre droite et gauche suspect ; dans les démocraties matures du Nord de l’Europe (mais aussi, en ce moment, de manière très intéressante, en l’Italie par exemple), le partage des postes reflète le fait que chacun considère qu’il porte une part de responsabilité dans la « vie de la cité ». Aux postes partagés correspondent des responsabilités partagées. Cette démocratie du consensus semble donner de meilleurs résultats que notre système plus brutal. Il n’est donc pas trop tard pour changer et regagner un rôle décisif dans ces décisions.