A ce jour, tous les indicateurs démontrent que la suite bureautique de Microsoft que l’on aurait pu croire menacée par les outils en ligne de Google Apps est en train de reconquérir le marché des suites bureautiques en ligne. Une entreprise sur deux utiliserait aujourd’hui une suite mail et bureautique en mode cloud. Bien entendu, toutes n’ont pas pris la mesure ni les conséquences que pourrait avoir pour elle cette externalisation dans les années à venir. Le vrai prix reste encore à payer.
Le réel besoin
Entendons-nous tout de suite sur la notion de bureautique en ligne. Il s’agit ici d’utiliser des logiciels de traitement de texte, de tableur et de présentation depuis un navigateur web. Il n’est pas clair dans l’article cité en lien précédemment si les entreprises utilisent ces outils en lignes ou n’utilisent pas plutôt les capacités de stockage et de partage de fichiers en ligne des offres de Microsoft et Google.
Les fonctionnalités d’éditions que ce soit chez Google ou Microsoft restent tout de même en deçà de ce que peuvent faire des outils comme MS Office et LibreOffice. Cependant dans certains cas d’usage, les possibilités de « coédition » deviennent très utiles, voir indispensables. Elles permettent d’éviter les problèmes de gestion de version des documents ou de mise à jour simultanée.
Pour moi le réel besoin se situe dans ces deux fonctions de l’outil :
- Stocker et partager facilement un document entre plusieurs personnes situées dans des lieux géographiques potentiellement distants ;
- Modifier dans un laps de temps très court (voir une simple réunion) un même ensemble de documents ;
Quelles solutions libres ou open source ?
Il existe pas moins de trois solutions qui répondent au besoin du stockage et du partage de fichiers en ligne : Owncloud, Pydio et Seafile. Le partage des fichiers se fait par des mécanismes de synchronisation entre les postes clients et un serveur en ligne. Les utilisateurs travaillent alors avec la suite bureautique installée sur leur poste. Nous avons donc là des solutions équivalentes aux services en ligne OneDrive, Google Drive ou encore Dropbox pour ne citer que les principaux.
Malheureusement ses solutions ne savent pas gérer la mise à jour simultanée d’un document. Au mieux un « conflit » est détecté et le document doublonné. A charge pour les utilisateurs de faire la fusion des données.
Là encore, malheureusement, le logiciel libre n’avait pas de solution équivalentes aux applications en ligne de Google ou de Microsoft. Du côté de LibreOffice, mis à part des annonces répétées de version en ligne de la suite bureautique, toujours rien de sérieux à se mettre sous la dent. Les solutions du type Etherpad même amélioré par Framasoft avec MyPads permettent uniquement (mais c’est déjà un début) de travailler sur le contenu. La mise en forme étant réalisée une fois ce dernier finalisé. Mais Etherpad ne couvre que la partie texte, pas la partie tableur ni présentation.
ONLYOFFICE, la suite bureautique open source qui vient de l’Est
Cela fait déjà pas mal de mois que je suis de plus ou moins loin les avancés de la solution ONLYOFFICE. Publié par la société Ascensio System SIA basée en Lettonie, cette suite propose un ensemble d’outils orientés travail de groupe :
- Un serveur de messagerie (optionnel) ;
- Un gestionnaire web de courriels, agendas et contacts ;
- Un outil de gestion de la relation client et de facturation ;
- Un gestionnaire de projets ;
- Un gestionnaire de fichiers ;
- Une suite d’outils d’édition de documents texte, tableur et présentation en ligne ;
- Et également wiki, forums et tchat;
Le tout est totalement intégré dans une unique interface web plutôt jolie. Sur le papier numérique, c’est très alléchant. J’ai donc ouvert un compte d’essai de trente jours pour voir concrètement de quoi il retourne et si cet outil est suffisamment intéressant pour que je l’ajoute à mon catalogue de solutions.
Lors de ma première prise de contact, en début d’année, il était encore nécessaire de mettre en œuvre un serveur sous Windows pour bénéficier des outils d’édition en ligne. Un point à l’époque disqualifiant pour moi. C’est chose révolue désormais puisque l’ensemble de la solution fonctionne sous GNU/Linux. Parmi les modes de mis en œuvre, une installation utilisant Docker est disponible pour les fans de cette technologie.
A l’utilisation
Les premières « sensations » sont plutôt favorables. L’organisation de l’écran est assez simple et la découverte des fonctionnalités rapide.
Comme vous le voyez sur la capture, ONLYOFFICE peut s’appuyer sur des solutions de stockage en ligne. Une bonne surprise, Owncloud fait partie des solutions supportées. A ce stade mon petit cœur s’emballe déjà et je m’imagine proposant en option à mes clients Owncloud, la solution pour éditer leurs documents stockés dans ce dernier.
Je passe au deuxième point critique de mon test : l’édition en ligne de document. J’ouvre donc un des documents de test présent et me connecte depuis deux navigateurs différents pour simuler une coédition. Petite déception, rien à voir avec ce que propose Google ou même Etherpad. Il n’est pas possible de voir en temps réel les modifications réalisées par une autre personne.Vous pouvez savoir si un autre utilisateur a ouvert votre document grâce à un petit icône dans la barre de statut en bas.
Ce n’est que lors de l’enregistrement du document que vous êtes prévenu par une infobulle, qu’une autre personne a modifié le document.
Par contre ONLYOFFICE se charge de fusionner les modifications et de les rendre visibles avec une couleur de fond pour la zone modifiée. Pour les tableurs et présentations par contre, je n’ai pas vu que les modifications étaient ainsi mis en évidence ce qui est plutôt gênant. Un tchat est accessible depuis les documents pour échanger avec les autres utilisateurs ayant ouvert le document.
ONLYOFFICE ne résout donc pas totalement l’équation de la coédition, mais apporte un début de solution.
Je n’ai que survolé les autres fonctionnalités. D’autres personnes que j’ai invitées sur l’instance de test m’ont signalé divers points (non exhaustif) comme :
- L’absence de page d’accueil ou de tableau de bord global, les applications restent quelque peu cloisonnées même si des liens existent ;
- Une notion de blog qui tient plus lieu de système de messages sur lequel il est possible de laisser des commentaires ;
- Les fonctionnalités du module de présentation sont assez limitées ;
- L’ergonomie du module de gestion de projets un peu délicate à prendre en main ;
- Le calendrier est « moyen » ;
- Le système de facturation un peu limité avec l’obligation de créer des articles pour faire une facture ;
Je vous invite à créer une instance de test de la solution ou à l’installer pour vous faire une idée par vous-même et à venir partager ici vos impressions.
Le #Fail
J’en viens au dernier point et non des moindres qui représentent pour moi le principal « fail » de la solution : le format des documents bureautique. ONLYOFFICE utilise en effet OpenXML. J’ai bien tenté de charger un document au format OpenDocument ce qui est tout à fait possible, mais pour l’éditer, il faut le convertir. Autrement dit si je veux pouvoir utiliser l’édition en ligne, je dois passer au format OpenXML ce qui dans ma petite entreprise est juste impossible.
Le support de l’OpenDocument n’est hélas pas prévu pour le moment.
Mais je suis un cas particulier et pour le reste du monde, cela ne posera pas de problème. J’oserais même dire que le choix de ONLYOFFICE est dicté par la réalité du marché. Ce que je n’ai pas testé, c’est jusqu’à où va ce support de l’OpenXML et dans quelle mesure la mise en forme est correctement respectée dans le cadre d’une utilisation conjointe avec la suite MS Office.
Je ne saurais cependant qu’inciter fortement l’éditeur s’il passe par là à considérer le support d’ODF en édition. Je me doute que cela représente une quantité de travail non négligeable et démultiplie la charge de maintenance de l’application. Cependant cela lui ouvrirait des portes, car certains pays comme l’Angleterre qui impose le format ODF dans l’administration. Pour un développement commercial sur le secteur public français ce serait également un gros plus je pense, même si nos politiques sont bien moins courageux qu’outre-Manche.
Ma question finale reste de savoir si j’envisage ou pas de proposer cette solution commercialement. Je serais tenté de répondre oui, même si le non support de l’ODF me fait mal au ventre. Mais le marché reste (et restera) dominé par MS Office. Si au moins cela permet de limiter la diffusion d’Office 365, cela sera déjà un bon début. Prochaine étape, l’installation d’une instance connectée à un Owncloud.
Si vous connaissez une entreprise qui veut faire un bêta test, envoyez-moi là, on trouvera un arrangement !