Nikolas Bloudanis, Grec né à Patmos, historien et romancier, m’a fait parvenir ce texte pour que je le publie sur mon blog, ce que je fais volontiers. Une critique virulente de Syriza, mais aussi des gouvernements qui l’ont précédé.
par Nikolas Bloudanis
Être Grec pouvait être aussi source de fierté. Elle ne l’est plus par les temps qui courent pour les personnes sensées de ce pays. Rien de nouveau dans les mœurs politiques depuis le XIXe siècle: face aux difficultés, on fait appel au nationalisme et au conservatisme des clientèles électorales qui tiennent envers et contre tout à garder leurs petits privilèges. Lors du référendum du dimanche 5 juillet, le gouvernement «SYRIZA – ANEL», épaulé par les néonazis d’Aube Dorée, n’a pas failli à la tradition et a récolté 61% de votes en sa faveur. Une semaine plus tard, il entérine un accord exactement contraire aux positions qu’il défendait lors du référendum.
Le pari absurde de Tsipras
Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, pensait avoir gagné un pari en remportant un plébiscite qu’on peut qualifier de «bonapartiste» (une semaine pour un référendum de cette importance est hors-norme, les questions posées étaient dépassées, incompréhensibles et multiples). À la «Grèce profonde» dans ce qu’elle a de plus négatif, au nationalisme, au gauchisme d’une partie de SYRIZA, aux néonazis, se sont ajoutés ceux et celles qui considéraient n’avoir «rien à perdre»: les victimes en détresse des mesures d’austérité, mais aussi de leur application parfois maladroite par le précédent gouvernement. Ces dernières sont les seules dont on peut respecter le «non». Votes surréalistes en fait, car portant sur une question inexistante dans la mesure où les textes soumis au vote (soit les propositions des créanciers du 25 juin), avaient été remplacés par celles du 26 juin sensiblement plus favorables.
Une semaine plus tard, confronté à de dures négociations, Alexis Tsipras mesure qu’on ne peut mentir simultanément à tout le monde. Au peuple grec, tout d’abord, à qui il avait promis «la fin de l’austérité et le retour à la dignité nationale».
Depuis janvier, son gouvernement a entraîné le pays dans une succession de marchandages ratés avec les créanciers. Aux partenaires européens, ensuite, qu’il a menés en bateau pendant 5 mois au prix d’une perte de crédibilité totale de la Grèce. En fait de pari gagné, le référendum n’a été qu’une farce, une dernière gaudriole de politiciens adolescents :
un accord ne pouvait être que plus difficile pour la Grèce, ses partenaires ne pouvant qu’exiger des mesures plus dures que celles contenues dans le projet du 26 juin.
Ce gouvernement a joué les apprentis sorciers : on ne peut que le soupçonner d’avoir eu l’intention inavouée de larguer les amarres européennes. L’opinion grecque y étant très largement opposée, il a fallu la convaincre à petits pas que c’est la «méchante Europe» qui chasse la Grèce et non la Grèce qui veut quitter l’Union. On peut deviner en filigrane cette intention dans la rhétorique que Tsipras et ses ministres ont développée tout au long de la crise. Le «Grexit» est surtout le but avoué de la frange extrémiste de SYRIZA, menée par Zoé Konstantopoulos, présidente de la Vouli, qui semble rêver de l’instauration d’un régime autoritaire. Les relations et rapports de force entre les deux personnages restent toutefois une inconnue.
Quelques rappels historiques
Après la faillite de 1893, le gouvernement a d’abord refusé les conditions des créanciers et s’est lancé dans une politique nationaliste sourde et aveugle qui a abouti à une guerre perdue contre l’Empire ottoman, à l’issue de laquelle la Grèce n’a même pas été admise aux pourparlers de paix et a dû «remettre son sort à la magnanimité des grandes puissances». Par la suite, le pays a été placé sous une tutelle économique totale de ses créanciers.
En 1920, la Grèce qui faisait partie des vainqueurs de la 1re Guerre mondiale a reçu l’administration de territoires situés sur les rivages d’Asie Mineure et en partie peuplés de communautés helléniques, notamment Smyrne et sa région. Elefthérios Vénizelos, rénovateur de l’État fut accusé d’être l’«agent des puissances» et a perdu les élections qui ont suivi. Les conservateurs, revenus au pouvoir, ont poursuivi contre l’avis des puissances alliées, une guerre désastreuse contre l’Empire ottoman, à l’issue de laquelle, en 1922, plus d’un million de Grecs (soit entre 20 et 25% de la population totale de la Grèce) ont été déracinés et dû vivre dans un dénuement extrême en Grèce.
À l’issue de la faillite de 1932, les dissensions politiques entraînent une cascade de coups d’État, un début de guerre civile, puis une dictature qui durera jusqu’à la guerre. Durant la Seconde Guerre mondiale et l’occupation, la Grèce, dont les structures sociales étaient extrêmement fragilisées, a connu une famine qui va coûter la vie à près de 300.000 civils, phénomène unique en Europe. En 1946-1947, la gauche grecque, comptant sur «la solidarité des peuples», déclenche, contre l’avis du Kominform et de Staline lui-même, une guerre civile qui fera plus de 60.000 morts et aboutira, vingt ans plus tard, à la dictature des colonels.
Inutile de rappeler les événements entre 2010 et ce dimanche 5 juillet 2015, on peut en trouver la relation sur ce blog et ailleurs. Contentons-nous de dire que, durant les époques évoquées ci-dessus la Grèce a aussi été l’instrument de puissances impérialistes peu scrupuleuses, ce qui a servi de paravent partiel à l’insignifiance de ses dirigeants de tous bords. Aujourd’hui elle est (encore) membre d’une Confédération d’États à laquelle elle a librement adhéré. Au surplus, l’Union s’est montrée extrêmement (peut-être même trop) généreuse et solidaire de l’État grec depuis son adhésion. Les immenses transferts financiers (jusqu’à 4 % de son PIB chaque année) dont a bénéficié le pays depuis 1980 auraient pu lui permettre de forger une économie moderne, solide et, au bout du compte réellement sociale. Au lieu de cela, on peut dire sans exagérer que la Grèce n’a pratiquement fait, durant 35 ans, que gaspiller l’argent reçu, considérant l’Europe (et les marchés qui lui inconsidérément prêté) comme une vache à traire ou un organisme de charité.
«L’étranger» tient davantage à la Grèce que ses dirigeants
Y a-t-il une tendance suicidaire récurrente chez les Grecs, en particulier dans leur façon de se saisir des problèmes surtout lorsqu’ils sont graves ? La réponse est certes complexe, mais relève principalement de la psychologie collective déterminée, pour le cas de la Grèce, par l’éducation. Cette dernière, ainsi que les représentations sur la «place» du pays, relève en bonne partie de la pure mythologie nationaliste. Il en a été ainsi ailleurs, notamment en Europe occidentale. Mais cette dernière, en particulier depuis les années 1970, a évolué. L’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie, l’Irlande ou le Portugal se sont posé des questions. Pas la Grèce. Il suffit d’ouvrir ses manuels scolaires ou de parler avec une majorité des enseignants pour trouver les sources de ce nationalisme et de ce chauvinisme systématiquement inculqués depuis l’enfance. Il est urgent que le pays commence à songer à évoluer.
Indécisions, ambiguïtés puis raidissement absurde côté grec, manque de confiance des partenaires européens. L’accord auquel la Grèce et ses créanciers sont parvenus aujourd’hui sera douloureux pour le pays. Défendant samedi cette perspective devant son Parlement, Tsipras a enfin reconnu qu’il n’y avait pas d’alternative et qu’il faut choisir «le moindre mal».
Mieux vaut tard que jamais, la Grèce semble vouloir rester européenne, mais son gouvernement le lui fait payer cher. Encore faudra-t-il respecter les engagements pris, surtout du côté grec, mais aussi européen.
L’absence d’un «pôle opposé», sur lequel les extrêmes auraient pu s’appuyer, semble heureusement avoir exclu l’éventualité d’un abandon de l’Europe dont les conséquences auraient été catastrophiques. Poutine, pour autant qu’il constitue un pôle (en aucun cas comparable avec l’URSS de la Guerre froide), n’a pas du tout envie de se charger du «canard boiteux» grec, fût-il un atout stratégique. Et à propos de stratégie, relevons la déclaration du mercredi 8 juillet de Jack Lew, secrétaire au Trésor américain : «Un éventuel effondrement de la Grèce serait une faute géopolitique».
Finalement, ce sont les partenaires de la Grèce, grâce au sérieux coup de main de la France et de la Commission, qui ont décidé de donner une ultime chance à la Grèce de se transformer en un Etat moderne et de se doter d’une économie fonctionnelle. «L’étranger» semble tenir davantage à ce pays que ses dirigeants de tous bords.