Montaigne et la Mort selon Serge Koster

Serge Koster est un auteur exigeant, y compris avec ses lecteurs. Sa plume rigoureuse en fait foi, son dernier opus, Montaigne, sans rendez-vous (Léo Scheer, 180 pages, 19 €), tout autant.

Montaigne sans rendez-vous de Serge Koster ; un récit onirique?

Si l’on en croit la couverture, il s’agirait d’un roman ; pourtant, ce livre dense pourrait aussi bien appartenir, non à l’exaspérante catégorie de l’autofiction facile, mais à celle du récit – du récit onirique, tant la part du rêve s’impose à chaque page.

La gravité du sujet choisi par Serge Koster y invitait peut-être, puisque c’est de la déchéance physique et, plus encore, de la mort dont il est ici question. Une mort polymorphe, qui semble cerner autant qu’obséder l’auteur, marqué par l’âge qu’il atteint certes, mais plus encore par les disparitions récentes et successives d’un beau-père aimé, d’un mentor admiré (Maurice Nadeau) et de la femme d’un ami, ancien déporté, qui, en fin de vie, choisit de se faire euthanasier en Belgique. Cet ami se prénomme Michel.

Dans la vallée de Chevreuse, un autre Michel auquel Serge Koster rend visite, l’écrivain Michel Tournier, le corps usé par l’âge, semble attendre une fin indéfinie dans une forme de renoncement, tout en relisant L’Ethique de Spinoza. Ce n’est pas auprès de lui, le maître avec lequel il entretient une relation ambigüe où voisinent admiration, amitié et agacement, qu’il puisera le réconfort.

Ici (p. 49), dans ce presbytère de Choisel, commence le rêve, devant une hypothétique piscine, sans doute l’une de celles qui servirent de décor à Burt Lancaster (autre obsession de l’auteur) dans le film The Swimmer (Le Plongeon, 1968) de Frank Perry, puis dans la Seine descendue à la nage jusqu’aux… rives de la Garonne.

Le lieu n’est pas le fruit du hasard ; promptement vêtu d’habits du XVIe siècle, Serge Koster se rend à l’improviste chez un dernier Michel, Montaigne, qui, en cette année 1592, ne tardera plus à s’éteindre. Recueillera-t-il auprès du philosophe dont il lit et relit assidument les Essais une réponse aux questions qu’il se pose ? Profitera-t-il d’une leçon de sagesse face à la mort – en d’autres termes comment « apprendre à mourir » – , d’un épicurien qui considérait que la philosophie était « la science qui nous apprend à vivre » ? Tout l’ouvrage de Serge Koster, traversé par Gide, Léautaud et quelques autres, aborde ces sujets. Tout l’ouvrage… ou presque, car tout au long de cette rencontre, et plus encore dans le dernier chapitre, intitulé « Bouclage », le discours laisse le lecteur perplexe, stupéfié. Serge Koster semble en effet éprouver finalement pour Montaigne les mêmes sentiments ambigus qu’envers Tournier, ce surprenant assemblage (le terme, emprunté à l’œnologie, n’est finalement, ici, pas si saugrenu) de révérence et d’irritation – comme un enfant casse son jouet s’il vient à lui résister ou comme le rêve iconoclaste de déboulonner la statue du Commandeur. Et si, in fine, la réponse ne se trouvait qu’au plus profond de nous-mêmes ?

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