Angela Merkel, un brin menaçante, a fait monter la pression sur ses homologues chefs d’Etat et de gouvernement lundi 31 août. La chancelière en a appelé aux valeurs européennes pour inviter les autres Etats de l’UE à accueillir des migrants. Cette compassion soudaine, explicable en partie par le déficit démographique qui sévit outre-Rhin, tranche avec la rigueur qui a prévalu dans la gestion du dossier Grec. L’insolente santé économique permet à l’Allemagne et ses 80 millions d’habitants d’accueillir 800 000 migrants cette année pour un coût prévisionnel de 10 milliards d’euros. Reste que la situation allemande diffère largement de celle des autres États européens, et que transformer l’UE en une vaste passoire en ferait une entité vraiment unique au monde, avec une monnaie orpheline d’Etat et, des États orphelins de frontières.
La position allemande soulève de nombreux problèmes. A commencer par le fait qu’il est difficile d’appréhender le volume de migrants potentiels qui considèrent le territoire européen comme un eldorado. Nous ne sommes pas face à une crise humanitaire limitée. Au-delà des réfugiés au sens premier du terme, de nombreux migrants économiques, souvent diplômés, souhaitent venir tenter leur chance sur le vieux continent. Mais, il y a une importante différence entre accueillir un important contingent de migrants sur une année ou deux et en accueillir beaucoup sur une longue période. L’Europe est bien placée pour le savoir. Au XIXème siècle, une soixantaine de millions de ses enfants ont émigrés, poussés par les persécutions ou la faim vers d’autres continents (dont la moitié vers les Etats-Unis). A titre d’illustration, entre 1870 et 1910, ce sont plus de 11 millions d’Italiens qui ont fait le choix de quitter leur pays. Clin d’œil de l’histoire, ces dernières années, l’Italie sans faire autant de bruit que l’Allemagne a accueillit de très nombreux migrants en dépit d’une situation économique difficile et sans aucun soutien des autres pays européens, notamment de la France.
La question qui se pose aujourd’hui, est de savoir si nous sommes prêts à accueillir toute la misère du monde ou seulement à prendre notre part. Et, dans cette hypothèse, comment la déterminer ? Une politique de portes-ouvertes ne va-t-elle pas créer un vaste appel d’air, renforcé par des organisations mafieuses qui font de l’or sur la misère humaine ?
Il semblerait normal que les peuples européens, premiers concernés, soient consultés sur l’ouverture et les sacrifices qu’ils sont prêts à consentir. Faute de pouvoir assurer le plein emploi à nos propres concitoyens et au moment où de nombreux économistes s’accordent à considérer que les décennies futures seront marquées par une micro croissance, l’accueil de migrants en masse signifie à la fois un partage du travail existant et des revenus de solidarité. L’arrivée par ailleurs d’une main d’œuvre docile n’est elle pas l’occasion pour un capitalisme cupide de renforcer par la concurrence entre salariés le recours a des travailleurs à bas coût hors minima sociaux ?
La vision Allemande derrière son apparente générosité s’inscrit dans un schéma d’effacement des Etats nations d’autant plus inquiétant qu’ils ne seraient remplacés par rien. Il convient de rappeler à cet égard que le modèle actuel de construction européenne est largement le fruit d’une volonté des Etats-Unis qui, aux lendemains de la seconde guerre mondiale, ont considéré de façon très pragmatique que la meilleure façon pour éviter de nouvelles guerres sur le vieux continent était de supprimer progressivement les Etats au profit d’une organisation économique structurée sous forme fédérale, comme aux USA. Jean Monnet, avant de devenir le grand architecte de la construction européenne fût ainsi le conseiller du président Roosevelt. Monnet aujourd’hui adulé dit un jour cette phase prophétique « à force d’obéir aux mêmes normes, ils finiront par ne former qu’un seul peuple ». L’unification par le consumérisme, tout un programme !
Le débat sur les flux migratoires doit également être mesuré à l’aune du contexte géopolitique. Force est de constater qu’il y a de quoi être inquiet. Après la guerre froide et l’effondrement de l’empire soviétique, l’Europe pensait être définitivement à l’abri des tensions du monde. Or, ce n’est plus le cas. Les interventions occidentales en Irak puis en Lybie et en Syrie ont engendré un chaos sans précédent. L’effondrement des structures étatiques bénéficie aujourd’hui à des organisations islamistes radicales profondément anti-occidentales. Parallèlement, l’ours russe s’est réveillé. Son nationalisme exacerbé, sa nostalgie de la grande Russie dopée par sa puissance nucléaire, donne lieu à une politique agressive qui n’hésite pas à recourir à l’annexion de territoires comme dans les années 30. Faute d’y être associée, la Russie a entamé un bras de fer avec l’Union Européenne. Parallèlement, s’abritant sous le parapluie militaire de l’Otan, les nations européennes toujours à la recherche d’économies, ont toutes, à des niveaux plus ou moins importants, pratiqué des coupes sombres dans leurs budgets militaires.
L’histoire est toujours tragique. C’est aujourd’hui une Europe opulente, mais vieillissante et désarmée, qui se retrouve face à un environnement menaçant dans un contexte où les USA se focalisent désormais sur l’Asie, nouveau centre du monde. Faute de se construire un avenir commun, le libéralisme ambiant et son cortège de dérèglementations et de délitements nous renvoie la terrifiante image de l’effondrement de l’Empire Romain. Dans ce contexte, l’urgence de la réponse à apporter aux migrants ne doit pas éluder le débat sur le modèle de continent que nous souhaitons construire dans les décennies à venir.