Marine le Pen est-elle républicaine ? Décryptage à la lettre

NEWS NEWS NEWS « Liberté », « laïcité », « Etat protecteur », « parole au peuple », « argent roi », Marine Le Pen emploie souvent dans les médias des mots et des concepts qui semblent venir de l’extrême-gauche. Dans le même temps, elle tient des discours très à droite. Elle associe immigration et terrorisme, réclame un référendum sur la peine de mort, veut le retour de l’uniforme – la blouse – à l’école. Entre dédiabolisation du parti de son père et propos classiques d’extrême-droite, difficile de la suivre.

Pour mieux la comprendre, Cécile Alduy, professeur de français à l’université de Stanford, et Stéphane Wahnich, professeur de communication politique à Paris-Est Créteil, se sont livrés à une analyse lexicale, littéraire et statistique de 500 de ses discours, textes et déclarations (Marine Le Pen prise aux mots. Seuil, 2015) Ce travail pionnier permet de décrypter comment la présidente du Front National réussit, par différents glissements sémantiques, à donner un sens biaisé ou détourné à des mots démocratiques et républicains. Nous avons demandé à Cécile Alduy de décrypter l’usage de 5 mots revenus de façon récurrente dans la dernière conférence de presse de Me Le Pen et ses récents débats télévisés.

Que disait Jean-Marie Le Pen ?

La laïcité est aux antipodes de l’univers idéologique du FN historique. Jean-Marie Le Pen a pour compagnons de route des catholiques intégristes, manifeste pour l’école libre en 1984 contre les «laïcards», invoque Dieu dans ses discours et cite Benoist XVI. Entre 1990 et 2005, il aborde la question une dizaine de fois, soit dans 2% de ses interventions.

Que dit Marine Le Pen ?

Marine Le Pen s’est lancé dans une véritable croisade pour la laïcité, ce «principe français sacré» (Nanterre, 16/01/15). Entre 2011 et 2013, elle en parle plus de 30 fois, soit dans 25% de ses allocutions. Si elle dit vouloir «l’application de la loi (ndlr, de 1905), toute la loi, rien que la loi», elle défend une conception maximaliste et discriminante de la laïcité. La neutralité religieuse devrait s’appliquer à tout l’espace public (rue, entreprises, universités) et elle cible la religion musulmane (plus de 150 mentions contre 12 pour les juifs et 2 pour les catholiques) développant une logique de l’hyperbole anxiogène et de l’amalgame : « La République laïque n’est plus qu’un souvenir évanoui par des années d’immigration massive, de soumission aux revendications des fondamentalistes » (Lyon2/12/14). Celle-ci est martelée depuis les attentats de Merah et contre Charlie Hebdo, toute croisade suppose de désigner des infidèles : «islamistes», «fondamentalistes musulmans», «racailles radicalisées» et plus largement «ces minorités visibles, communautarisées et organisées, à qui tout est dû et auxquelles on donne tout».

Quel est la rôle de la « laïcité » dans le nouveau discours ?

Marine Le Pen a réussi une véritable OPA sémantique sur le concept de laïcité, qu’elle transfigure en une arme politiquement correcte contre les musulmans et les immigrés. C’est un procédé classique de «rétorsion» : emprunter à l’adversaire ses propres mots, les retourner et l’en déposséder. Chez elle, la laïcité ne correspond plus au principe de séparation des Églises et de l’État, garantissant à la fois la liberté religieuse et la neutralité républicaine, mais comme un levier contre l’islam et l’immigration.

« L’ÉTAT NATIONAL »

Que disait Jean-Marie Le Pen ? Il fustigeait l’« État Moloch à la fois monstrueux, tyrannique et impuissant ».

Héritier du courant poujadiste, il se réclamait d’un libéralisme économique visant à « rendre marginal l’État-Providence » et l’«assistanat» comme à vaincre le « fiscalisme » en supprimant l’ISF, tout en renforçant les fonctions régaliennes et répressives de l’État (armée, police, justice, monnaie, politique extérieure).

Quel est le discours mariniste ?

«La clé, c’est l’État» : Marine Le Pen opère un virage à 180 degrés au congrès de Tours (16/01/11). Elle investit l’État d’une mission globale : il sera «fort», «protecteur» et «stratège». Maternel et martial, il joue à la fois d’une thématique de gauche – régulation voire «planification » économique, jusqu’à envisager des «renationalisations» – et d’un vocabulaire sécuritaire, moral et managérial de droite dure (blouse à l’école, référendum sur la peine de mort). En même temps, par un glissement sémantique, l’État devient l’incarnation quasi-mystique de «la nation» : ils sont désormais «indissociables» (Bordeaux, 01/12). Il doit être l’instrument de l’unification de la nation ou de «la patrie», le dépositaire de son histoire, l’agent de son redressement économique. Cette défense de l’Etat-Nation lui permet de s’imposer comme la protectrice des victimes de «la finance internationale» et de «la mondialisation».

Quel rôle pour l’Etat-Nation ?

Les termes du virage étatique de Marine Le Pen ne contredisent pas le libéral- nationalisme de son père : ils le modernisent en étendant au domaine économique et social les prérogatives de l’État sécuritaire et discriminatoire du FN d’hier. Le «protectionnisme social» qu’elle met en avant dans ses apparitions télévisées n’est que l’autre nom de la «préférence nationale» utilisée auprès des militants. C’est donc au sens propre qu’il faut prendre «État-nation» : un État «national» qui n’œuvre que pour les nationaux, citoyens nés Français, de préférence de Français, exerçant son autorité sur les cibles traditionnelles de l’extrême droite : «immigrés», «communautés», «étrangers».

« LES FRANÇAIS : MON PEUPLE »

Que disait Jean-Marie Le Pen ?

Son national-populisme s’exprime à travers le double mythe d’un «Peuple» miraculeusement uni, «sain» et sage mais «trahi» par les «élites», et du Chef qui l’incarne et le «guide». D’où le slogan des présidentielles de 1988 : «Le Pen Le Peuple». C’est un populisme ethnicisé qui exalte un «sang gaulois» immémorial et dénonce la disparition du peuple français sous la pression d’une immigration «de peuplement».

Que dit Marine Le Pen ?

Elle reprend cette mythologie mais insiste sur la dimension politique d’une souveraineté populaire confisquée par «l’UMPS» et «la caste européenne». Elle veut donc «rendre le pouvoir au peuple» ou «aux Français». Pour cela, elle milite pour une démocratie directe référendaire censée donner «la parole au peuple». Mais elle n’abandonne pas l’idée national-populiste du «guide». Son slogan de 2012, «La Voix du Peuple, l’esprit de la France» la présente comme l’incarnation du souffle collectif. Elle ne serait ni de droite, ni de gauche, mais «en plein milieu du peuple français à le défendre». Dans ses discours, elle parle de «mon» peuple et affirme «Je suis la France» sur TF1 (15/09/12).

Sur quelle définition du «peuple» s’appuie-t-elle ?

Marine Le Pen entretient en permanence la confusion entre plusieurs significations. Soit elle en parle comme demos, source de la souveraineté démocratique, soit au sens des catégories populaires, soit elle le définit comme ethnos, groupe défini par l’ascendance, c’est-à-dire «les Français de souche» (France 2, 02/13). Elle louvoie entre ces définitions, dissimulant sous un vernis démocratique ou social les fondements ethnoculturels du «peuple» mariniste. C’est ainsi qu’elle peut appeler à «rassembler la communauté nationale […] des gens qui auront des origines différentes, des religions différentes» puis, quelques minutes plus tard,  donner une définition exclusive de l’appartenance à «la nation»: « La maison du peuple français, c’est la France et il a le droit, chez lui, de décider qui vient et qui reste» (France 5, 7/10/2012).

« L’IMMIGRATION MASSIVE »

Que disait Jean-Marie Le Pen ?

Depuis 1978 et le slogan «Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop», il a fait de la dénonciation de l’immigration sa marque de fabrique, pratiquant l’exagération («immigration massive et incontrôlée »), l’amalgame («immigration = chômage = délinquance  = terrorisme»), l’antithèse («eux» vs. «nous», «étrangers» vs. «Français») et la dramatisation millénariste : il dénonce une «submersion démographique».

Que propose Marine Le Pen ?

Si elle parle un peu moins de l’immigration que son père (17e substantif le plus utilisé chez elle, 13e chez lui), elle en dit exactement la même chose. On est dans le copier-coller : elle parle de «déferlantes», de «pompes aspirantes», d’un pays ouvert «à tous vents» et reprend l’équation d’une immigration cause des principaux maux français. Sa nouveauté ? Elle amplifie la dimension politico-religieuse avec le champ sémantique lié à la laïcité et technocratise la question : l’immigration devient une question de gestion macro-économique, en termes d’offre et de demande. Elle ne parle plus d’«immigrés», éludant la question humaine, mais de «politique migratoire» et d’«étrangers», terme qui les exclut de la communauté nationale.

Qu’est-ce qui a changé ?

Tout en reprenant mot pour mot son père, Marine Le Pen offre un discours à géométrie variable : elle insiste sur la menace identitaire et islamiste lorsqu’elle s’adresse à sa base militante, mais parle des atteintes à la laïcité dans les médias. Ce double discours, une de ses spécialités, lui permet de conquérir de nouveaux publics, d’autant que le contexte de la réception de ses thèses anti-immigration a changé depuis le Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale de la présidence Sarkozy – et maintenant avec les attentats de janvier 2015 à Paris. 

« LIBERTÉ, ÉGALITÉ »

Que disait Jean-Marie Le Pen ?

L’idéologie du Front National historique est foncièrement anti-égalitaire : «contre-révolutionnaire» par ses racines maurassiennes, elle est fondée sur le respect des «hiérarchies naturelles» entre les groupes sociaux et les races, s’oppose à «l’égalitarisme social» (la redistribution des richesses) et à la «discrimination positive» en faveur des personnes d’origine étrangère. Jean-Marie Le Pen préfère le trio «liberté, sécurité, équité» à la triade républicaine «liberté, égalité, fraternité»

Marine Le Pen se dit-elle républicaine ?

Elle a banni toute allusion raciale et se revendique républicaine, à sa manière. Si elle déclare le 1er mai 2013 «Nous croyons à l’égalité des citoyens français quelque soit leurs origines ou leurs croyances», elle ajoute aussitôt «c’est pourquoi nous ne supportons pas lorsque certains, venus sur notre territoire, sont plus égaux que d’autres.» C’est donc – comble de la rétorsion de sens – au nom de l’égalité qu’elle justifie la «préférence nationale», mesure discriminatoire s’il en est. Elle reprend le vocabulaire égalitariste pour mieux en saper les fondements, puisqu’elle réserve cette rhétorique de justice sociale aux Français seuls et non à tous ceux qui travaillent en France, entend restreindre le jus soli (droit du sol), s’oppose à la parité, au mariage homosexuel ou à la lutte contre les discrimination à l’emploi. Le mot «égalité», peu utilisé (36 fois entre 2011 et 2013), vaut chez elle pour son aura démocratique plus que pour son contenu réel.

Sinon, elle surinvestit le mot «liberté» (286 fois), mais c’est la plupart du temps pour exalter la souveraineté des peuples et de la France face à l’Europe, rarement pour défendre ou élargir les libertés individuelles. Quant au mot «fraternité», elle l’utilise très peu.

Veut-elle changer la République ?

«Je vais changer la Constitution» annonce-t-elle régulièrement. Douze révisions constitutionnelles sont annoncées dans le programme du parti ou au gré des discours, parmi lesquelles la suppression du Sénat, l’abrogation du pouvoir constituant de l’Assemblée, l’abrogation de la loi Pleven-Gayssot sur la discrimination et les propos racistes, la limitation du contrôle du Conseil Constitutionnel, la renégociation de la Convention Européenne des droits de l’homme, l’inscription du principe de la « préférence nationale » dans le préambule de la Constitution, la modification du scrutin électoral. On peut s’interroger si le républicanisme de Marine Le Pen a encore à voir avec la Ve République.

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