Il aura fallu une semaine après la révélation de l’affaire dite « Luxleaks » pour que Juncker se décide à prendre le taureau par les cornes : il est descendu, mercredi midi, à la surprise générale, dans la salle de presse de la Commission et a affronté dans l’après-midi, lors d’un débat organisé dans l’urgence, les députés européens réunis en session plénière à Bruxelles. Son message est simple : pas question de démissionner comme le demandent, dans une curieuse alliance de circonstance, certains médias libéraux anglo-saxons et la gauche radicale, puisqu’aucune faute n’aurait été commise. « Les décisions fiscales anticipées sont une pratique bien établie dans 22 pays » de l’Union sur 28, a-t-il rappelé. « La Commission elle-même les a déclaré », par le passé et à plusieurs reprises, « conformes au droit communautaire dès lors qu’il n’y a pas de discrimination entre les entreprises » qui en bénéficient (par exemple en réservant ce traitement préférentiel aux seules sociétés étrangères). « Je ne suis pas l’architecte du modèle luxembourgeois », même si « je suis politiquement responsable de ce qui s’est passé ».
Il a néanmoins admis que « l’interaction entre les règles nationales des uns et les règles nationales des autres peut conduire à des taux d’imposition très faibles ». Mais, « c’est le résultat auquel conduit la logique de non-harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne ». Celui qui refuse d’être décrit comme « l’ami du grand capital », reconnaît qu’il y a « urgence à agir », car « l’impression qui se dégage est que l’injustice fiscale est insuffisamment combattue en Europe » : nombreux sont les citoyens qui « ne comprennent pas la différence qui existe entre l’assainissement des finances publiques et l’imposition des sociétés ». Il affirme avoir agi « tout au long de sa vie pour l’harmonisation fiscale », rappelant que c’est sous la présidence luxembourgeoise de l’Union que la TVA a été harmonisée (en 1991) et qu’un « code de bonne conduite » visant à lutter contre la concurrence fiscale déloyale a été adopté (en 1997). Il a, en revanche, omis de rappeler qu’il s’est opposé à la levée du secret bancaire pour les comptes des particuliers, finalement acceptée, cette année, par son successeur…
Mais, il a changé, promet-il, puisqu’il porte désormais les habits de président de la Commission : « la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale » est l’une de ses grandes priorités. « Et ce ne sont pas des paroles en l’air ». Il a annoncé hier qu’il allait remettre sur la table la proposition de directive harmonisant la définition de l’assiette fiscale des entreprises, en carafe depuis 2011 et pas par la faute du Grand Duché, a-t-il rappelé. De même, il a bon espoir que la révision de la directive « mère filiale » (harmonisation de la taxation des flux de dividendes à travers l’Union), qui vise à insérer une clause anti-abus afin de sanctionner des montages complexes permettant d’échapper à l’impôt, soit adoptée d’ici à la fin de l’année. Vendredi dernier, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Belgique s’y sont opposés une nouvelle fois… Enfin, une directive sera prochainement proposée afin d’instaurer un échange automatique d’informations entre les administrations fiscales sur les déclarations fiscales anticipées négociées par les entreprises, un système qu’il souhaite étendre au reste du monde comme il va le suggérer lors du G20 de Brisbane cette semaine. Ce n’est pas le « grand soir » fiscal, mais Juncker veut tester la volonté des États d’agir. Enfin.