Je livre ici quelques extraits éclairants du débat d’examen de la proposition de loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie à la commission des affaires sociales du 17 février 2015. Troisième et dernière partie sur le cœur du débat, à savoir l’extension à l’euthanasie active et au suicide assisté.
Après avoir évoqué le pronostic vital à court terme, la clause de conscience du médecin, le double effet et l’intention première de la sédation profonde et continue, je donne quelques éléments du débat en commission sur l’euthanasie et le suicide assisté. Encore une fois, j’insiste sur le fait que ce ne sont que de simples extraits qui ne peuvent reprendre les plus de six heures et demi de discussion.
Les amendements sur l’euthanasie active
Que cela soit dans la discussion générale que dans l’examen des quelques amendements réclamant l’autorisation de l’euthanasie active et du suicide assisté (en particulier AS108 et AS117 qui furent finalement retirés en commission avant leur dépôt pour le débat en séance publique), beaucoup de députés ont pris position pour ne pas intégrer ces dispositions dans la proposition Claeys-Leonetti, soit parce qu’ils y sont hostiles, comme la majorité des députés de l’opposition, soit parce qu’elles seraient en opposition à la volonté du Président François Hollande hostile à l’euthanasie.
Les échanges sur ce sujet constituent évidemment le cœur du débat sur la fin de vie, et la discussion se poursuivra bien entendu en séance publique.
Isabelle Le Callennec a pour sa part brandi une nouvelle fois l’autorité intellectuelle Robert Badinter pour s’opposer à l’euthanasie : « À l’instar de Robert Badinter, nous estimons que le droit à la vie est le premier des droits de l’homme et que personne ne peut disposer de la vie d’autrui. C’est la raison pour laquelle nous restons opposés à toute légalisation de l’euthanasie. Nous mettons aussi en garde contre la tentative d’aide active à mourir qui risque de recouvrir les mêmes réalités. ».
Arnaud Richard (UDI) a été lui aussi assez net sur le sujet : « Je souhaite ici affirmer l’opposition de notre groupe à la légalisation de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté qui revient à consentir à la société, fût-elle représentée par le médecin, un droit sur l’existence de chacun, qui outrepasse largement le respect, pourtant souhaité par tous, de la personne. Une évolution de la loi peut être envisagée pour éviter les souffrances, les abandons, l’acharnement, mais une rupture abrupte des digues érigées par la loi Leonetti risquerait d’entraîner des dérives qui, selon nous, seraient insupportables. ».
Dominique Dord (UMP) a remis en cause la nécessité de cette nouvelle loi qui ne serait pour certains qu’une étape intermédiaire avant la légalisation de l’euthanasie : « Personnellement, je ne me résous pas à l’idée qu’un jour, notre droit puisse consacrer l’euthanasie sous une forme ou sous une autre. J’ai de la peine à comprendre que l’on puisse parler de « droit » en la matière. En tout cas, pour moi, ce qui est certain, c’est que cela ferait franchir à notre législation une nouvelle frontière. Nos compatriotes et nos collègues qui sont ici porteurs de ces « droits nouveaux » peuvent légitimement considérer que la mort douloureuse de plusieurs dizaines de milliers de nos compatriotes chaque année nourrit ce débat sur l’euthanasie. Mais le débat d’aujourd’hui aurait-il eu lieu si la loi de 2005 était appliquée ? Si les soins palliatifs étaient généralisés, un tel débat perdrait de sa substance et, pour le coup, apparaîtrait vraiment dogmatique. (…) Mais en quoi cette loi nouvelle permettra-t-elle une généralisation effective des soins palliatifs ? Sera-t-elle appliquée ? Ou s’agit-il de la dernière étape avant le prochain texte qui, lui, finira par légaliser l’euthanasie dans notre pays ? Faute de cette généralisation des soins palliatifs, je crains malheureusement que telle soit la pente sur laquelle nous sommes engagés. ».
Des propos confortés par ceux d’Élie Aboud : « J’espère que, comme l’a dit brillamment notre collègue Dord, le corps médical appliquera enfin les lois existantes pour ne pas laisser ce débat de société, ce débat philosophique, aux mains de certaines personnes qui ne maîtrisent pas le sujet. ».
À certains députés qui citaient la position de Didier Sicard en faveur de l’exception d’euthanasie en 2001, Jean Leonetti a rappelé : « M. Sicard considère que depuis la loi de 2005, cette exception d’euthanasie n’a plus d’intérêt. On peut bien sûr en discuter, mais vous devez savoir qu’elle pose d’énormes problèmes dans une démocratie : qui la décide ? Ou c’est un droit ouvert, ou c’est un droit restreint. Mais restreindre un droit qui a vocation à être universel, c’est juridiquement très compliqué. ».
Comme Dominique Dord, Dino Cinieri est resté dubitatif sur cette nouvelle loi qui pourrait aller beaucoup trop loin : « Entre la mort dans d’atroces souffrances et l’euthanasie existe une voie médiane, que nous avions su trouver en 2005, et je trouve dommage que nous mettions en péril le fragile équilibre atteint grâce à la loi dite Leonetti. La désinformation considérable et le manque de formation des professionnels de santé à l’égard de la fin de vie sont inacceptables, dix ans après la promulgation de la loi. ».
Jean-Pierre Barbier a rejeté, lui aussi, l’euthanasie et le suicide assisté : « Le devoir des soignants et des familles est d’accompagner ces patients pendant les quelques mois qu’il leur reste à vivre. Si ces derniers demandent que l’on abrège leur vie, c’est que la société et leur entourage ont échoué à les aider à passer ce moment si difficile. Dès lors que le suicide est assisté, le patient perd son libre arbitre, car il entre dans une logique qui le conduit forcément à quitter la société. C’est pourquoi je ne peux absolument pas soutenir cet amendement. ».
À l’adresse de ceux qui rappellent sans cesse la promesse numéro 21 de François Hollande, Jean Leonetti a voulu éclairer les intentions présidentielles : « Le candidat Hollande, dans un entretien, s’est prononcé contre l’euthanasie. Il ne me revient pas, de toute façon, d’interpréter la position du Président de la République en la matière. Reste que la sédation est une aide médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité lorsqu’on est en phase terminale et qu’on subit des souffrances insupportables. (…) Les amendements dont nous discutons [qui introduisent l’euthanasie et le suicide assisté]ne consistent pas à modifier le texte ou à le préciser : ils invitent clairement au franchissement d’une ligne. Or, je ne pourrais pas être le rapporteur d’un texte qui nous conduirait de nouveau à l’un de ces clivages, fussent-ils parfois artificiels, entre droite et gauche, comme nous avons pu déjà en vivre sur les sujets de société. ».
Il a également fait le point sur l’expérience à l’étranger : « Je ne voudrais pas qu’on continue à penser que seuls trois pays, qui comptent moins de 30 millions d’habitants ensemble, seraient merveilleux, que tout y serait parfait, quand d’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la France, seraient en retard. Relisez donc le rapport Sicard, commandé par le Président de la République lui-même. Ce texte relève certaines dérives dans les pays montrés en exemple, je pense aux euthanasies clandestines là où l’on a légalisé l’euthanasie. ».
L’exception d’euthanasie
Un autre amendement défendu par Gérard Sebaoun (qui fut finalement rejeté par la commission) a proposé : « L’exception d’euthanasie, ainsi très encadrée, doit pouvoir être envisagée dans des cas d’agonie prolongée eu égard à la famille qui attend avec angoisse. En ces moments compliqués, difficiles, les demandes des familles sont variées et contradictoires. Aussi, cette exception pourrait-elle être proposée pour interrompre une agonie trop longue, inacceptable à vivre, notamment pour l’entourage. ».
Refus net de Dominique Tian : « La rédaction du présent amendement est tout à fait effrayante et nous avons bien raison de nous méfier. (…) Oui, effrayante : vous prévoyez d’euthanasier un individu si la sédation profonde n’a pas provoqué le décès « dans un délai raisonnable » ! J’y insiste : c’est effrayant et contraire à toutes mes convictions. De plus, par là, vous relancez le débat, ce qui est malsain car la proposition de loi doit être consensuelle. Vous voulez rompre cette orientation souhaitée par le Président de la République et faire de ce texte un marqueur. Vous avez beau afficher votre volonté de différer le débat dans l’hémicycle afin que nous parvenions à un consensus, vous défendez ici un amendement de pseudo-repli à travers lequel vous affirmez clairement que vous être favorable à l’euthanasie. Eh bien, nous, nous sommes contre. ».
Idem pour Jean-Pierre Barbier : « Je redoute le débat en séance publique, dont nous savons très bien qu’il sera bien moins apaisé qu’ici. Nous amènerons à nouveau la société vers une ligne de fracture, ce dont nous n’avons nul besoin, et vous en porterez la responsabilité. L’objet du texte est d’améliorer le confort du patient et de lui permettre de terminer sa vie dans la dignité. Et, de nouveau, vous évoquez la souffrance des familles. Cette souffrance, que nous comprenons et connaissons bien, n’y a-t-il pas d’autres moyens de l’accompagner qu’en abrégeant la vie du patient ? Quelqu’un souffre, la famille souffre, et on fait disparaître le malade. Ne recherchez-vous pas sans cesse la facilité ? ».
Bernard Perrut a eu la même réaction : « Si nous ne sommes pas d’accord entre nous, c’est notamment parce que vous allez beaucoup plus loin que le texte, marqué par l’équilibre, et qui prolonge la loi dite Leonetti (…). Il y a de quoi se montrer inquiet quand on observe ce qui se passe dans certains pays : je pense aux dérives de l’euthanasie en Belgique. En février 2014, ce pays est en effet devenu le seul pays au monde à autoriser l’euthanasie active sans limite d’âge, les mineurs étant donc concernés. Tous les rapports donnent un aperçu sérieux des dérives jugées inacceptables douze ans après l’entrée en vigueur de la loi sur l’euthanasie. L’euthanasie est en effet parfois pratiquée hors du cadre légal. Cette situation crée d’autres problèmes comme le développement du don d’organe chez les personnes engagées dans un processus d’euthanasie. Si l’intention est en soi louable, on peut imaginer les pressions et dérives qui peuvent résulter d’un tel cas de figure. ».
En tant que praticienne, Michèle Delaunay a apporté aussi sa contribution à ce sujet : « Il convient de revenir sur un point assez grave évoqué par Gérard Sebaoun : d’une part, notre volonté de placer le seul malade, et non sa famille, en tête de nos préoccupations et, d’autre part, le caractère très douloureux voire insupportable d’une agonie prolongée. Cette dissociation est importante et l’impatience de la famille, le mot est cruel, doit toujours être adoucie autant que possible par des paroles et son avis ne pas être suivi à cause d’un éventuel changement d’opinion et de la très grande culpabilité qui pourrait en résulter. La question de l’euthanasie est évoquée par 3% des malades entrant dans une unité de soins palliatifs. Quand le malade est accompagné, qu’on est présent autour de lui, ce chiffre tombe à 0,3%. Un bon accompagnement réduit la demande euthanasique et c’était dans cette optique que je souhaitais que nous assurions l’accompagnement pour tous et en particulier pour les personnes âgées. Enfin, je vous l’assure, en quarante-cinq ans de vie hospitalière et médicale, aucun malade ne m’a jamais demandé d’euthanasie. À l’inverse, il n’y a guère de mois où une famille ne me l’a pas demandée. Je tiens à souligner cette dissociation. ».
Le texte entre dans sa phase « politique »
Comme on peut s’en apercevoir, les débats se sont déroulés de manière très apaisée et dans un esprit constructif, même ceux qui sont opposés au texte, soit parce qu’il n’est pas assez « audacieux », soit au contraire parce qu’il va « trop loin », ont contribué de façon constructive à l’adoption de quelques améliorations parfois sémantiques, juridiques ou médicales.
Par ailleurs, il apparaît évident, dans l’écoute des différents arguments apportés en commission, que le texte repose techniquement sur le seul Jean Leonetti, spécialiste parlementaire du sujet depuis plus de dix ans et médecin, et que l’apport d’Alain Claeys est clairement politique pour associer au texte le principal groupe politique de la majorité, à savoir les socialistes, dont Michèle Delaunay est la porte-parole pour cette proposition de loi.
En tout cas, le texte modifié présenté dans l’hémicycle ce mardi 10 mars 2015 après-midi n’a pas été dénaturé par la commission, ce qui est très positif, et la discussion peut ainsi reprendre de manière responsable et …digne !