En octobre 2009, il avait été question dans ces colonnes de l’état de la francophonie au Liban. Six ans plus tard, il semble que les tendances alors esquissées trouvent une certaine confirmation : si l’arabe domine sans surprise les relations quotidiennes et, de plus en plus souvent, l’espace médiatique, l’anglais poursuit son expansion auprès d’une jeunesse pragmatique ouverte aux perspectives offertes par la mondialisation.
Les annonceurs ne s’y trompent pas, qui choisissent ces deux langues pour les textes des panneaux publicitaires qui se multiplient le long des routes et dans les centres urbains, vantant les mérites de produits de grande consommation, d’agences de voyage, voire d’automobiles… Renault !
Le français, de son côté, conserve une image assez élitiste, liée au monde culturel, à l’industrie du luxe et à l’univers gastronomique. Assez présent dans les régions majoritairement chrétiennes, on le rencontre moins souvent dans les régions musulmanes et les zones rurales. Dans les établissements élégants de Beyrouth ou de Byblos, il n’est pas rare de croiser des Libanais conversant dans notre langue, mais son usage devient moins répandu presque partout ailleurs, en dépit des efforts déployés par les structures d’enseignement (notamment du secteur privé) ou l’Institut français.
La mission de ce dernier, définie dans sa brochure, vise notamment à « améliorer la qualité de l’enseignement du et en français », « favoriser la présence du français dans les universités » et « encourager la pratique du français à travers les arts, la culture, le patrimoine et les sciences ». Des formations continues et diplômantes, des activités culturelles variées sont ainsi proposées dans ses neuf sites répartis sur le territoire libanais, auxquelles il convient d’ajouter la mise en place de partenariats institutionnels. On se féliciterait volontiers de ces initiatives si, cette année, la promotion de la langue ne reposait sur une communication on ne peut plus maladroite, sinon franchement malheureuse autour du slogan : « LE FRANÇAIS : UN MUST ! » Vous avez bien lu, ce n’est pas une plaisanterie…
Qu’un publicitaire en manque d’imagination se soit risqué à utiliser un terme anglais pour inciter à l’apprentissage du français relevait sans doute autant de l’imbécilité que d’un sacrifice à l’air du temps néolibéral américain, mais qu’il se soit trouvé, au sein de l’Institut français, un responsable pour valider ce slogan sans sourciller, voilà qui est affligeant. D’autant que, sans doute fier de cette bévue, l’organisme n’hésite pas à le décliner sur des affiches (devrait-on dire : « posters » ?), des dépliants (ou plutôt : « flyers »), son site (« website », comme il se doit) et ses brochures (« leaflets », bien entendu).
Cette campagne consterne nombre de Libanais francophones, suscite quelques sarcasmes chez nos compatriotes expatriés qui en perçoivent le ridicule et doit probablement divertir nos amis anglais plus que le bicentenaire de Waterloo – imaginerait-on le British Council emprunter à la langue de Molière pour promouvoir les formations linguistiques dont il a la charge ? Les services français, quant à eux, ne semblent pas réaliser la dimension ubuesque de la situation.
En parcourant les routes du Liban, où ces affiches fleurissent, je me demandai ce que penserait un éminent universitaire défenseur de notre langue, Claude Hagège, dont l’excellent essai, Contre la pensée unique (dont il fut question ici), mériterait d’être largement diffusé et surtout lu dans les bureaux de l’Institut français…
Illustration : Affiche de l’Institut Français au Liban, vue sur l’autoroute, au Nord de Saida (photo Rim Savatier).