Les départementales à la veille du second tour

La nette avance de l’UMP et de ses alliés centristes de l’UDI et du MoDem devrait leur permettre de conquérir ou reconquérir de nombreux conseils départementaux. Mais l’ombre du FN plane toujours sur ce scrutin…

Avec les statistiques, on peut toujours tout démontrer, c’est sûr. Que ce soit pour les demandeurs d’emploi (12 800 demandeurs d’emploi supplémentaires en un mois de la catégorie A annoncés le 25 mars 2015) ou pour les électeurs, il suffit de prendre la pente, la comparaison avec la fois précédente, la comparaison avec ce qui avait été prévu, en absolu, en relatif, par rapport aux suffrages exprimés, par rapport aux inscrits, et on trouvera toujours un ou deux éléments numériques qui illustreraient l’idée qu’on voudrait développer.

Des résultats sans ambiguïté

Un tout petit plus que la moitié des inscrits se sont déplacés pour le premier tour des élection départementales, la participation du 22 mars 2015 a été de 50,17% et avec les appels à l’abstention ou au vote blanc dans certains cas, la mobilisation d’abstentionnistes pour le second tour dans d’autres cas, la participation restera une inconnue du second tour. Les votes blancs au premier tour ont atteint 3,29% des votants (703 879 bulletins). Il sera intéressant de voir si cette proportion progresse considérablement au second tour (probablement).

Les résultats définitifs du premier tour des élections départementales publiés par le Ministère de l’Intérieur dès le 23 mars 2015 pourraient paraître assez confus car ils différencient toutes les sortes de configurations. Comme chaque canton avait des candidatures binômes, il pouvait y avoir, à droite, au centre ou à gauche, des mélanges de plusieurs partis, des couplages de formations différentes. Même pour le Front national puisqu’il s’est senti obligé d’ériger une coquille vide avec un « Rassemblement bleu marine » qui sera peut-être même le nom officiel du FN quand le père aura quitté la vie politique.

Les zélateurs du FN voudraient croire que leur parti serait premier au premier tour si l’on ne prenait en compte que le décompte des partis. Ils prendraient par exemple le total « Binôme Union de la Droite » (20,88%) pour le comparer au total « Binôme Front national » (25,24%), mais on voit bien que cela ne tient pas beaucoup la route puisque, dans ce cas, ils laisseraient de côté le total « Binôme Union pour un mouvement populaire » (6,58%). Le minimum intelligible à faire pour comparer FN et UMP, c’est évidemment au moins de comptabiliser les deux, soit 27,46%, soit supérieur au score du FN ou même à celui de l’extrême droite en général (qui totalise 25,90%). De même, il est tout aussi impossible d’évaluer l’audience électorale de l’UDI seule, puisqu’elle a présenté 700 candidats mais seulement 127 ont été étiquetés UDI seule (ainsi que le MoDem, sur 342 candidats, une cinquantaine seulement sous l’étique seule du MoDem). La même analyse pourrait se faire avec le PS qui, seul, a obtenu 13,30% auquel il faut ajouter ses alliances à gauche (8,17%) soit 21,47%.

Il est donc vrai d’affirmer que le FN n’est pas le premier parti de France. D’autant plus que tous les Français n’étaient pas appelés à voter pour ces élections départementales, puisque Paris, l’agglomération de Lyon ainsi que la Martinique et la Guyane ont d’autres formes de gouvernance que le conseil départemental, des territoires peu favorables au FN lors des précédentes élections.

Un scrutin qui nécessite des alliances pour gouverner les départements

Il reste que la logique politique du décomptage doit évidemment résider dans la capacité de créer des majorités au sein des conseils départementaux (revenons aux fondamentaux de ces élections) et que seuls comptent pour la compréhension les résultats de l’alliance entre l’UMP, de l’UDI et du MoDem appelés à gérer ensemble les exécutifs départementaux s’ils ont obtenu la majorité, et cette coalition a recueilli l’appui de 29,40% des suffrages exprimés. Notons par ailleurs que cette coalition est appelée généralement à travailler également avec des élus divers droite qui, parfois, ont été soutenus par celle-ci, et qui ont obtenu 6,81%, ce qui lui donne une assise électorale clairement plus importante que le FN.

D’ailleurs, c’est la question qui devrait revenir plus généralement à propos du FN mais souvent éludée : le FN veut diriger les départements, mais avec qui compte-t-il donc les diriger alors qu’il ne représente qu’un quart de l’électorat et qu’aucune autre formation politique ne souhaite (heureusement) gouverner avec lui ?

Le FN de 2015, même destin que le PCF de 1945 ?

Certes, une fois dit cela, à savoir que le pari de Marine Le Pen d’être le premier parti de France (à grand renfort d’affiches électorales) a été perdu, il n’en demeure pas moins que le FN, avec 5 142 177 voix, a fait mieux qu’aux élections européennes (24,8% et 4 712 461 voix) même si, en nombre de voix, il a fait beaucoup moins qu’à l’élection présidentielle (Marine Le Pen avait recueilli 6 421 426 voix le 22 avril 2012). L’implantation locale du FN est donc incontestable, notamment dans les zones rurales qui ont donné des scores parfois très élevés au FN.

Sans autre allié pour gouverner, le FN a beaucoup de probabilité de devenir ce que le Parti communiste français fut pendant une trentaine d’années après la guerre, un parti très implanté localement, assez puissant au niveau national mais inévitablement dans l’opposition en raison de l’absence d’allié majeur (François Mitterrand a rompu l’isolement du PCF avec le programme d’union de la gauche en 1972). Entre 1945 et 1978, le PCF oscillait entre 20% et 25% aux élections législatives avec une pointe à 28,3% aux élections du 10 novembre 1946, sacré premier parti de France avec 182 députés élus sur 627. Cette forte audience se traduisait dans tous les scrutins, comme les élections cantonales des 24 septembre et 1er octobre 1967 (qui renouvelaient la moitié des cantons) avec 26,4% au premier tour (première place) et l’élection de 97 conseillers généraux sur 1 517 et de deux présidents de conseils généraux.

Les élus du premier tour et les configurations du second tour

Sur les 4 108 sièges à pourvoir, 298 ont déjà été gagnés dès le premier tour, en particulier : 8 pour le FN (essentiellement là où le FN avait gagné des municipalités en mars 2014), la droite et le centre 220 (dont 10 UDI seuls, 38 UMP seuls, 116 UMP-UDI-MoDem, et 56 divers droite), et la gauche 64 (dont 2 PRG, 4 PCF, 24 PS seuls, 14 Union de la gauche avec le PS, et 18 divers gauche).

Dans 524 cantons (soit 1 048 sièges), le PS a été éliminé dès le premier tour, ce qui permet de dire, par exemple, que le département du Nord est perdu pour le PS. Le FN a été en tête dans 43 départements et est présent au second tour dans 1 114 cantons, parfois dans la totalité des cantons restant à pourvoir, comme dans le Var.

Il devrait donc y avoir au second tour 328 triangulaires (en présence, dans 255 cantons, d’un candidat FN) et 1 577 duels dont : 663 droite et centre/gauche, 284 FN/gauche, et 532 FN/droite et centre (d’autres configurations sont possibles mais sont peu nombreuses). Ces informations (sous réserve) peuvent être un peu différentes de la réalité quand par exemple un candidat a jugé pertinent, entre temps, de se désister pour éviter une triangulaire qui favoriserait le FN.

Positions et postures du second tour

Dans les consignes de vote (j’aurais plutôt tendance à parler de « conseils » de vote) pour le second tour, dans le cas où une coalition ou un parti n’est pas présent au second tour, il peut y avoir une certaine confusion.

Le FN n’a donné aucune consigne de vote dans le cas d’un duel UMP et alliés/PS et alliés. Le député Gilbert Collard (FN) n’hésite pas pourtant à clamer vouloir faire barrage à la gauche (je rappelle qu’il a été Nouveau centre en 2008 lorsqu’il avait eu quelques velléités électorales à …Vichy, et a soutenu le candidat de gauche au second tour, Gérard Charasse !).

Le PS, ainsi que ses alliés, sont assez clairs et le Premier Ministre Manuel Valls l’a réaffirmé dès la cinquième minute après la fermeture du dernier bureau de vote au premier tour : en cas de duel FN/UMP et alliés, il a appelé à voter pour l’UMP et alliés.

Inversement, l’UDI et le MoDem sont également très clairs, en cas de duel FN/PS et alliés, toutes les voix doivent aller au PS et alliés. Cela a été confirmé notamment par leurs présidents respectifs, Jean-Christophe Lagarde et François Bayrou.

Enfin, Nicolas Sarkozy, qui a rendu visite à Jean-Christophe Lagarde le 23 mars 2015 au siège de l’UDI, a réaffirmé la décision de l’UMP de prôner l’abstention ou le vote blanc en cas de duel FN/PS et alliés, considérant que le PS restait un adversaire politique et qu’il ne fallait pas donner prise à l’UMPS fustigée par le FN (le FNPS a fait long feu).

Très singulièrement, au sein de l’UDI, Hervé Morin a prôné le « ni-ni » de l’UMP tandis que Rama Yade a tenu des propos assez confus sur la volonté du centre de stopper, au nom des valeurs républicaines, l’avancée électorale du FN. Cela a conduit le président du Parti radical Laurent Hénart(UDI) à « rappeler solennellement la position, qui n’a pas varié depuis plus de trente ans, de sa famille politique : faire partout et sans relâche barrage à l’extrême droite. Ainsi, il appelle tous les Français à livrer, au second tour des élections départementales, un combat résolu face au Front national. Cet appel s’adresse notamment à tous les candidats radicaux qualifiés ou bien, en cas d’élimination, à tous les candidats défendant les mêmes valeurs républicaines et auxquels le Parti radical apporte son soutien sans réserve. Plus que jamais, « Pas une voix, pas un siège pour le Front national » reste la ligne officielle du Parti radical ! » (communiqué du 23 mars 2015).

De même, sur le terrain, de très nombreux candidats UMP éliminés au premier tour ont apporté leur soutien au candidat de gauche face au FN, contrairement à la consigne nationale de l’UMP. Tout comme de nombreux responsables nationaux UMP ont contesté cette position nationale, pour appeler à voter PS contre FN : Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Pierre Raffarin, Gérard Larcher (le Président du Sénat), etc.

Un sondage qui donne l’avantage à la droite et au centre

Toutefois, un sondage donnerait plutôt raison à l’UMP et tort au PS dans leurs consignes de vote : réalisé par l’IFOP pour « Le Figaro » et Europe 1 et publié le 25 mars 2015, ce sondage démontrerait que la majorité des électeurs d’un candidat éliminé au premier tour ne choisirait pas parmi les deux restants au second tour.

Ainsi, dans un duel droite et centre/FN, malgré les consignes de vote, 62% des électeurs de gauche  s’abstiendraient ou voteraient blanc (33% voteraient pour la droite et le centre). Dans un duel gauche/FN, 60% des électeurs de droite et du centre s’abstiendraient ou voteraient blanc (et les autres se répartiraient pratiquement à égalité entre le FN et la gauche). Enfin, dans un duel droite et centre/gauche (plus classique), 63% des électeurs du FN s’abstiendraient ou voteraient blanc (mais les trois quarts restants choisiraient la droite et le centre).

En tout, le sondage en question prévoirait l’élection de 50 à 110 conseillers départementaux FN pour le second tour. D’autres études évoqueraient aussi la possibilité, pour le FN, de remporter deux départements, le Vaucluse (le plus prometteur électoralement pour le FN) et l’Aisne, ces deux départements ayant une droite parlementaire assez faible et une gauche contestée.

Dimanche prochain, votez !

Dans tous les cas, que ce soit pour des considérations locales très peu évoquées au cours de la campagne (les tracts électoraux du FN ne contiennent aucun exposé sur la politique départementale proposée et certains candidats FN n’ont même pas fait campagne) ou des considérations nationales (audience des différentes forces politiques en présence), il apparaît nécessaire de voter, quitte à voter blanc (c’est désormais décompté différemment du vote nul).

Ne pas prendre part à des élections, c’est forcément laisser à d’autres ce choix, et ce choix aura pour conséquence, en particulier, de définir ce qu’on paierait en impôts locaux dans les six prochaines années. Que ceux qui n’ont pas voté cette année n’aient pas la mauvaise foi, le cas échéant, de contester leurs prochains impôts !

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