« Tout est noir. Je suis dans le noir. (…) J’ai beau regarder de toutes mes forces, je ne vois rien. Rien que ce noir profond. Ai-je les yeux ouverts ou fermés ? Je l’ignore. Que s’est-il passé ? Je l’ignore également. Je sais seulement que je ne suis pas seule : j’entends quelqu’un à côté de moi. (…) En fait, c’est comme si l’hôpital m’était tombé sur la dessus… C’est cela : comme s’il y avait eu un tremblement de terre, et que j’étais ensevelie sous des tonnes de décombres. » (Angèle Lieby, « Une larme m’a sauvée »)
Dans mon précédent article, j’ai utilisé une comparaison et des images peut-être un peu fortes, et je prie de m’excuser ceux que cela a pu choquer. Il est néanmoins un moyen d’alerter sur une réalité grave qui se joue en ce moment.
Se basant sur « la dégradation de l’état de conscience » et sur « l’irréversibilité de ses lésions », Rémi Keller, le rapporteur public du Conseil d’État, a en effet choisi de requérir le 20 juin 2014 contre le maintien en vie de Vincent Lambert. On pourra toujours donner toutes les terminologies à cette préconisation, comme l’a remarqué « Slate » le jour même, « se prononce contre le maintien en vie » ou « requiert la mort », le résultat est exactement le même, les mêmes conséquences : si les dix-sept magistrats du Conseil d’État, qui doit donner sa décision ce mardi 24 juin 2014 à 16 heures, suivaient cette préconisation, il adviendrait la mort effective de Vincent Lambert.
Ce serait alors une première pour une juridiction de prononcer un jugement qui aurait une incidence directe sur la vie d’un être humain depuis l’abolition de la peine de mort. C’est un fait. Le Conseil d’État, qui composé pour beaucoup de ses membres d’énarques dont certains n’ont pas de formation juridique, et également, pour un quart de ses membres, de personnes nommées au tour extérieur par le Président de la République, est chargé de conseiller le gouvernement et de juger en dernier ressort de litiges administratifs, pas de décider de la vie ou de la mort d’un homme. Ce n’est pas son rôle. L’ENA n’apprend rien à ce sujet. Je doute qu’il y ait des conférence sur l’éthique (je peux me tromper).
Cela dit, le fait que ce « conflit » arrive au sein de l’une des plus hautes juridictions dy pays montre bien, également, qu’il n’y a pas de réponse évidente, toute faite, et que la décision est loin d’être acquise pour l’une ou l’autre des solutions à adopter.
Je me sens particulièrement concerné par cette tragique actualité, d’abord comme citoyen, parce que chaque citoyen doit se sentir impliqué dans ce qui va suivre, chacun peut se retrouver dans cette difficile situation, soi ou un de ses proches, et aussi pour des raisons personnelles qui n’ont pas à être exposées ici.
Dans mon précédent article, je présentais justement les craintes de nombreux proches de personnes victimes de traumatisme crânien qui vivent des situations similaires à celle de Vincent Lambert.
Vincent Lambert vit !
La décision du Conseil d’État, qu’on le veuille ou pas, fera jurisprudence et en cela, elle relève d’une extrême responsabilité (la grande richesse des contributions et les précautions prises montrent que les magistrats du Conseil d’État en ont pris heureusement toute la mesure). Il y a entre 1 500 et 2 000 personnes dans le même « cas » que Vincent Lambert… Au fait, quel est ce « cas » ? Un mot que je n’aime pas, tout comme je n’aime pas le mot « affaire » pour parler de Vincent Lambert qui est, avant d’être un « cas » ou une « affaire », une personne humaine. Il faut déjà remarquer qu’il n’y a pas deux « cas » identiques et chaque personne est unique, dans son handicap, dans sa faiblesse, dans son état.
S’il faut séparer un peu artificiellement les situations, Vincent Lambert n’est pas dans un « état végétatif » (expression en fait à proscrire) mais dans un « état pauci-relationnel », c’est-à-dire qu’il a une conscience minimale. Au contraire des personnes dans le coma, il n’est pas inconscient : il n’a pas de traitement médical lourd, il n’est branché à aucune machine, il est juste incapable de boire et de se nourrir tout seul, au même titre qu’il est incapable de se laver tout seul. Il reconnaît ses proches, il s’est même rendu au mariage de sa sœur. Enfin, lorsqu’on a tenté de le tuer, en le privant de nourriture et d’hydratation pendant trente et un jours en juin 2013, Vincent a pleuré.
Le frère de Vincent Lambert, David Philippon, est sorti de sa réserve ce 23 juin 2014 pour demander de sauver son frère : « Je ne peux pas réaliser que les dix-sept juges peuvent statuer sur l’arrêt de l’alimentation sur le seul principe qu’il est handicapé. Vincent n’est pas un légume, c’est un être humain avec toute sa dignité. (…) Vincent sait ce qui se passe autour de lui. Il y a des moments où je ne ressens pas grand-chose et d’autres où il cherche votre présence. » (RTL).
Vincent n’est donc pas une « larve » ou un « légume » comme certains voudraient le faire croire. Il est un être humain doté de sens, d’émotion, avec de très lourds handicaps, avec de très lourdes déficiences, terribles à vivre. C’est une tragédie qu’il vit. Personne, évidemment, ne souhaite être dans la situation de Vincent Lambert, ni dans celle de ses proches, de la sa famille, qui vivent une tragédie sans nom.
Dr. Catherine Kiefer, chef du service des soins et réadaptation pour traumatisés crâniens à l’hôpital de Villeneuve-la-Garenne, a rappelé ceci : « Un patient en état pauci-relationnel est dans un état de conscience minimale. Cela veut dire qu’il a une certaine conscience de lui-même et de son environnement (…). En premier lieu, il fixe et suit les choses du regard. Deuxième point, il a un comportement.émotionnel adapté, comme sourire en voyant un proche. Troisième, il a des mouvements spontanés et volontaires dirigés vers un but. (…) Mais il faut insister sur le caractère unique de chaque patient. Il ne peut en aucun cas y avoir de réponse simple. Pour moi, ce sont de grands handicapés. Pas des légumes, ni des patients en fin de vie ! On peut interagir avec eux. Ils sont bien vivants, les familles les emmènent le week-end. » (« Nouvel Observateur », propos recueillis le 16 janvier 2014).
Obstination déraisonnable ?
La question à laquelle doit répondre le Conseil d’État, c’est de savoir si Vincent Lambert est en fin de vie et s’il y a une obstination déraisonnable à traiter une maladie. Mais Vincent Lambert n’a pas de maladie, il a un (lourd) handicap. Il n’est pas en fin de vie, il a un (lourd) handicap.
Le rapport de l’Académie nationale de médecine, daté du 22 avril 2014 et remis au Conseil d’État le 5 mai 2014 (n°375081) a insisté sur la réflexion suivante : « L’arrêt de vie, en réponse à une demande volontaire à mourir alors que la vie elle-même n’est ni irrémédiablement parvenue à son terme ni immédiatement menacée, ne peut être assimilée à un acte médical. ».
L’Académie a mis en garde contre une distinction de traitement entre des personnes qui ont retrouvé, à la suite d’un accident, une capacité relationnelle, aussi petite soit-elle, et celles qui ne l’ont pas retrouvée, car cela signifierait que ces dernières ne serait pas « en vie » mais « maintenue artificiellement en vie », ce qui reviendrait à redéfinir les critères de la mort. Elle a ajouté également : « Il ne saurait y avoir là, pour les médecins, quelque justification que ce soit à prendre l’initiative de transgresser l’interdit fondamental de donner délibérément la mort à autrui. ». En clair, le droit d’une personne à recevoir des soins (alimentation, hygiène, prévention des escarres etc.) ne doit pas être « subordonné à sa capacité relationnelle ».
La contribution du Comité d’étique (CCNE) au Conseil d’État, datant du 5 mai 2014, est très documentée. Le Comité d’éthique a fait remarquer que la nutrition et l’hydratation n’était pas des traitements mais des soins : « La frontière entre traitements et soins est ici particulièrement floue : il s’agit aussi (…) de soins de support et d’accompagnement, de soins courants, tout simplement de soins humains premiers (que l’on songe ici à l’impératif obligation alimentaire qui lie culturellement et juridiquement les membres d’une même famille). ».
Le CCNE, qui a présenté les différents états de la conscience, coma, état « végétatif » chronique (qu’on appelle maintenant « état d’éveil sans réponse » pour éviter l’allusion peu respectueuse au « légume ») et état de conscience minimale (la situation de Vincent Lambert), a aussi mis en garde sur ces subdivisions : « Malgré sa sophistication de plus en plus grande, la classification demeure très réductrice par rapport au continuum que constituent les altérations chroniques de la conscience. Une absence de preuve détectable de conscience ne constitue pas une preuve de l’absence de conscience. ».
Une continuité que n’a pas partagée Jean Leonetti, l’auteur de la loi du 22 avril 2005, dans sa propre contribution remise le 29 avril 2014 au Conseil d’État, qui a évoque « une véritable discontinuité entre un handicap physique ou mental si important soit-il, et une altération profonde et définitive de la conscience ».
Le degré de conscience ne doit pas être un critère
Les trois experts médicaux en neuroscience qui ont rendu leur rapport au Conseil d’État en fin février 2014, les professeurs Marie-Germaine Bousser, Lionel Naccache et Jacques Luauté, ont expliqué que Vincent Lambert a manifesté des « réactions aux soins » mais qu’il « n’était pas possible » de savoir si c’était « l’expression d’une intention ou d’un souhait à l’égard de l’arrêt ou de la prolongation » des soins. Il a juste montré une volonté très tenace de vivre lorsqu’on a cherché à arrêter son alimentation et son hydratation l’an dernier.
Les trois experts ont souligné : « Dans une telle situation et en absence de directives anticipées et de personne de confiance, le degré d’atteinte de la conscience ne saurait constituer le seul élément déterminant de la mise en route d’une réflexion concernant un éventuel arrêt de traitement. ». Or, le rapporteur public du Conseil d’État a oublié de prendre en compte cette dernière réflexion en disant que « maintenir un état dégradé et irréversible entrait dans le champ de l’acharnement thérapeutique ».
Aucun consensus dans la famille
L’autre question qui est cruciale, c’est la nécessité d’un consensus au sein des proches. Vincent Lambert n’avait émis aucune « directive anticipée » ni désigné aucune « personne de confiance » (au sens de la loi du 22 avril 2005) pour donner raison plus à son épouse qu’à ses parents et à son frère, ou l’inverse.
Lorsqu’il n’y a pas l’unanimité au sein d’une famille, il paraît indispensable que le maintien en vie soit décidé au bénéfice du doute. S’il n’y a pas consensus, cela veut dire que la décision (du maintien en vie ou pas) ne va pas de soi, pose problème (d’où cette issue judiciaire d’ailleurs). Cela veut dire que la situation est complexe et nuancée.
La médecine n’est pas prédictive
La médecine est bien incapable de prédire l’avenir et d’autres situations « inespérées » ont déjà existé dans le passé.
Par exemple, Angèle Lieby qui s’est évanouie sans raison et qui s’est retrouvée dans le coma à Strasbourg. Les médecins ne lui donnaient plus aucun espoir de réveil et son mari avait même déjà choisi le cercueil. C’est grâce à une larme qui a coulé le long de sa joue qu’elle a pu être sauvée de justesse, car on voulait la « débrancher » (Vincent Lambert est dans un « meilleur » état qu’elle ne l’était, puisqu’il vit sans machine). Après un très long réveil, elle a publié le 1er avril 2012 un livre de témoignage avec un journaliste pour raconter son histoire (« Une larme m’a sauvée », Arènes éditions). Que dire aussi de Michael Schumacher ? Que sait la « médecine » à son sujet ? Qui peut avoir la prétention de prédire l’avenir ?
Dans plusieurs fictions, le sujet a été traité par quelques cinéastes. Je cite deux films, qui n’ont que peu de choses à voir avec la situation de Vincent Lambert si ce n’est la situation de handicap ou la situation de non-conscience. « La Vie rêvée des anges » avec Élodie Bouchez et Natacha Régnier, réalisé par Érick Zonca, sorti le 16 septembre 1998, où une jeune fille se retrouve dans le coma sans famille et c’est finalement l’une des héroïnes qui va venir la visiter régulièrement, presque comme si c’était inutile… mais pas tout à fait.
Il y a aussi « Intouchables » avec François Cluzet et Omar Sy, réalisé par Éric Toledano et Olivier Nakache, sorti le 2 novembre 2011. Évidemment, il n’y a pas de problème de conscience et c’est plus la situation de handicap en général qui est traité mais elle est traitée de manière réaliste, intéressante, en montrant qu’une personne qui a un handicap est d’abord une personne avant d’être « un handicap », et que chacun a le droit à vivre le plus normalement possible.
Accepter la vie, même celle hors norme
Un documentaire qui a été récemment diffusé sur France 3 sur Jacques Chirac et la Corrèze montrait également le souci, plus humain qu’électoral, de Jacques Chirac, dès son implantation en 1967, pour les personnes qui ont un handicap. Il visitait toutes les fermes de sa circonscription, constatait parfois qu’il y avait dans la grande salle commune une personne handicapée, à l’ombre, au fond, elle était certes nourrie et logée mais elle n’avait aucune vie sociale, était cachée de la société. Jacques Chirac allait alors vers elle, la touchait très chaleureusement des mains et a cherché à ce que toutes les personnes puissent avoir une vie sociale la plus ouverte possible.
Accepter tous les êtres humains, qui ont une vie parfois très diminuée, très affaiblie, est un véritable devoir dans une société avancée. La médecine permet aujourd’hui de réduire au maximum la souffrance physique quand elle est détectée. Il ne s’agit pas d’acharnement à maintenir la vie coûte que coûte, la loi Leonetti du 22 avril 2005 est très claire sur les conditions qui permettent de refuser un traitement déraisonnable et inutile, et c’est heureux, mais il s’agit surtout d’accepter les personnes qui, même si elles ne semblent plus en mesure de communiquer, ne sont pas des personnes en fin de vie mais des « victimes de la vie moderne », selon l’expression de l’Académie de médecine.
Président de la Fondation Jérôme-Lejeune qui finance une grande part de la recherche thérapeutique sur la trisomie 21 et magistrat à la Cour des Comptes, Jean-Marie Le Méné s’est inquiété de cette évolution de la société : « Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Qui peut dire le contraire ? Qui prétend savoir ? Quelle minorité veut encore imposer sa loi à une majorité ? Nous sommes en train de bâtir une société totalement inhumaine où la vie est un matériau à gérer et où la vie gênante est un matériau à jeter. Vincent a le droit de vivre et la société a le devoir d’aider sa famille. » (« Direct Matin » du 20 juin 2014).
Directeur de l’Espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Emmanuel Hirsch a insisté, lui aussi, pour que la société n’aille « pas condamner à mort certaines formes de vie » et a sorti le 20 juin 2014 dans « Huffington Post » cette expression terrible, que la vie de Vincent Lambert pourrait « être abrégée sur décision administrative » en ajoutant : « L’existence d’une personne ne saurait se justifier ou se contester à l’aune d’une appréciation complexe de son état de conscience même dite minimale. ».
Ce que disait l’UNAFTC que j’avais cité précédemment : « Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Il n’y a pas de dégradation de ses fonctions vitales. Il vit. Une vie différente, à la mesure de son handicap. ». L’avocat de l’UNAFTC, François Molinié, n’a pas hésité à poser certaines questions : « Quel signal allez-vous donner à toutes ces familles, à tous ces soignants, qui s’occupent de patients qui, comme Vincent, ne donnent pas de preuves de conscience ? Que leurs soins, que leur amour, ne servent à rien ? À la douleur d’une vie brisée devrait maintenant s’ajouter pour eux la peur d’une mort programmable ? » (20 juin 2014).
Même réflexion pour Fabrice Madouas, rédacteur en chef chez « Valeurs actuelles » : « Vincent Lambert n’est pas un « cas d’espèce ». La décision du Conseil d’État engage le sort de 1 700 patients qui sont dans un état semblable. » (Twitter le 21 juin 2014).
« Matériau à jeter » ?
Profitant de l’actualité sur Vincent Lambert et également du procès de l’urgentiste Nicolas Bonnemaison depuis le 11 juin à la cour d’assise de Pau, la Ministre des Affaires sociales Marisol Touraine a annoncé le 20 juin 2014 qu’un projet de loi sur l’euthanasie serait présenté en décembre 2014.
Elle a confié le lendemain à Alain Cleys, député-maire de Poitiers qui fut également le rapporteur de la commission sur l’affaire Cahuzac (qui s’était soldée par une absence de responsabilité du gouvernement mais aussi la désapprobation de cette conclusion par son président Charles de Courson), et à Jean Leonetti une mission à dont le rapport serait à rendre avant le 1er décembre 2014 sur le sujet de la fin de vie avec trois priorités : « assurer le développement de la médecine palliative, mieux organiser le recueil et la prise en compte des directives anticipées, définir les conditions et les circonstances précises dans lesquelles l’apaisement des souffrances peut conduire à agréger la vie dans le respect de l’autonomie de la personne. ». C’est risquer d’ouvrir un nouveau « front » de clivage dans un pays à la cohésion sociale déjà très fragile.
Emmanuel Hirsch (déjà cité), lui, ne serait pas opposé à une clarification législative si la loi du 22 avril 2005 était appliquée à la situation de Vincent Lambert « de telle sorte qu’on évite, une fois pour toutes, de ramener à des procédures d’exception les quelques circonstances extrêmes et complexes de fin de vie dont on estime qu’à elles seules elles justifieraient de repenser nos principes démocratiques ».
Il s’est en effet inquiété d’une inévitable jurisprudence qui s’appliquerait à de très nombreuses autres situations : « Dans l’inventaire qu’on pourrait dresser, dès à présent, des controverses alimentées par un esprit partisan, instrumentalisant la réflexion éthique à des fins idéologiques, apparaît de toute évidence une forme de négligence, de renoncement, pour ne pas dire de violence au regard des vulnérabilités humaines qui défient nos certitudes et interpellent nos responsabilités politiques. Il s’agit là d’un signe de plus qui inquiète dès lors qu’il révèle, lui aussi, une conception délétère des valeurs que porte une certaine idée de la démocratie. Déjà les proches de personnes malades ou handicapées, des professionnels se demandent douloureusement de quelle manière sera compris, après une telle sentence, leur engagement profond auprès de personnes vulnérables. Celles-là mêmes, alors qu’elles vivent déjà une précarité existentielle qui les incite parfois à douter de tout, sont de surcroît menacées, dans leur existence, par des disputations et des jugements parfois sommaires auxquels on ne survit pas. Ces controverses qui semblent dévoyer un principe de précaution appliqué sans autre forme à la gestion administrative d’une décision de fin de vie, défigurent progressivement l’image même de la personne humaine, abolissent ces expressions de la sollicitude et de la solidarité qui constituent le fondement même du respect de l’autre et du vivre ensemble. (…) Au-delà de sa personne et de ses proches auxquels je tiens à exprimer ma sollicitude, d’autres éprouveront, si elle est confirmée dans le sens de l’argumentation présentée par son rapporteur public, la décision du Conseil d’État comme une insulte à l’égard de la relation qu’ils maintiennent, au nom de valeurs respectables, avec une personne y compris entravée dans ses capacités relationnelles. Il sera demain plus délicat encore, de faire valoir la signification d’approches humaines, sensibles au quotidien d’existences malades fragiles, démunies de toute capacité d’exprimer la moindre revendication, ainsi affaiblies dans leur légitimité par une décision qui fera non seulement jurisprudence mais sera transposée à d’autres circonstances pourtant totalement différentes. » (20 juin 2014).
Refuser le maintien en vie des plus faibles, de ceux qui ne peuvent pas se défendre, qui ne peuvent pas crier, c’est construire un monde de plus en plus eugénique, où toute imperfection serait bannie, toute situation hors norme, toute situation différente et inconnue, serait rejetée, n’aurait plus sa place dans un monde qui cherche avant tout la rentabilité et le profit. Que ce soit l’État, protecteur, par l’une de ses instances suprêmes, qui y contribuerait créerait un précédent choquant.