Tout comme le personnage principal de mon roman en finition (pas encore de titre), une petite fleuriste qui tombe amoureuse d’un éditeur, une jeune-femme éblouie et intimidée par l’univers dans lequel l’homme de lettres la fait entrer. Par effraction, car elle s’y sent déplacée, mais lui, plus âgé, la veut en permanence à ses côtés.
Comment n’ai-je pas pu, à cette époque, relater par le détail, toutes ces rencontres, fascinantes pour la plupart ?… mais c’était l’époque où je vivais dans un tourbillon de travail, celui de mon mari et mentor… l’époque où mes occupations étaient multiples (photos, casting, radio, assistanat télé, production)
Je me souviens, au cours d’un dîner, avoir été la voisine d’un aristocrate… Il y avait du « beau linge » ce soir là : de Cantenac-Brown à Rothschild… Mais j’étais si mal à l’aise que mes neurones se trouvèrent gelées. J’ai toutefois un souvenir précis de l’essentiel qui tournait autour de Tocqueville. Je n’avais jamais entendu parler…. J’essayais toutefois d’absorber la conversation de mon illustre voisin, aristo de la vigne, qui avait fait ses études aux États-Unis, l’estomac serré, incapable d’avaler les mets et vins sophistiqués, je regardais mon interlocuteur, et pour me rassurer, je me disais qu’il avait l’air rougeaud d’un paysan mon aristo… n’imaginant pas que ça pouvait être la même chose.
J’ai donc au long de ma vie, tout appris en marchant.
Depuis, j’ai lu Alexis de Tocqueville. « De la démocratie en Amérique », et tente de comprendre ce que voulait dire par « inégalités », cet aristo issu de la noblesse normande, descendant de St Louis par sa mère et engagé dans la vie politique. Pas simple !
Il explique comment, lorsqu’on a éliminé les aristocrates, après la révolution, l’industrie a remplacé les aristos… et il compare les industriels aux anciens aristos.
« L’aristocratie territoriale des siècles passés était obligée par la loi, ou se croyait obligée par les mœurs, de venir au secours de ses serviteurs et de soulager leurs misères. Mais l’aristocratie manufacturière de nos jours, après avoir appauvri et abruti les hommes dont elle se sert, les livre en temps de crise, à la charité publique pour les nourrir. »
« Je pense qu’à tout prendre, l’aristocratie manufacturière que nous voyons s’élever sous nos yeux est une des plus dures parues sur terre ».
« Presque toutes les révolutions qui ont changé la face des peuples, ont été faites pour consacrer ou pour détruire l’égalité. Ce sont les pauvres qui ont voulu ravir les biens des riches ou les riches qui ont essayé d’enchaîner les pauvres. Il faut donc un état de société où chacun ait quelque chose à garder et peu à prendre ».
Quelle lucidité : « La démocratie veut l’égalité dans la liberté, le socialisme veut l’égalité dans la gêne et dans la servitude ».
De la nécessité de relire Tocqueville. L’aristocratie manufacturière est devenue la finance, les banques, les groupes industriels….
Lorsque je rentrais dans l’univers de Marcel Jullian, celui des intellectuels (Michel Serres, Gustave Thibon), des politiques (Mitterrand, Chirac etc) du show-biz (Delon, Higelin,) des aristos (Princesse de Rety de Belgique, Comte de Paris, Prince Jean), des artistes (Soulages) – l’homme était multiple, pourtant il venait d’un milieu sinon modeste, du moins de ceux qui se lèvaient tôt – je me trouvais confrontée à un monde inconnu.