Le chat, félin domestique, mais non domestiqué, « tigre des pauvres diables », comme le définissait Théophile Gautier qui aimait s’en entourer, ne laisse jamais indifférent. Adulé en Egypte ancienne, persécuté par le christianisme médiéval qui voyait en lui, avec tout l’aveuglement des religions triomphantes, une figure maléfique, il est devenu, de nos jours, le compagnon favori des Français.
Pour ceux qui les aiment (et peuvent difficilement s’en passer) comme pour ceux qui les craignent, ces petits fauves indépendants, fiers, doux et imprévisibles restent énigmatiques. Certains ont acquis une part de célébrité. Ils viennent d’être recensés dans un livre délicieux et fort bien documenté, le Dictionnaire des chats illustres à l’usage des maîtres cultivés (Honoré Champion, 360 pages, 19 €).
Pour rédiger ce premier tome, consacré aux chats réels, il ne fallut pas moins de trois spécialistes de la presse animalière, Bérangère Bienfait, Brigitte Bulard-Cordeau et Valérie Parent, sans oublier Frédérique Hébrard, auteure d’une belle et émouvante préface.
Cet ouvrage, comme le précise l’éditeur, est un véritable Who’s Who des chats. Y figurent en effet les individus les plus remarquables, à des titres très variés. Ils s’appelaient Acer, Amourette, Barbe de Rouille, Bébert, Duchesse, Finette, Karoun, La Terreur de Clignancourt, M. Plotte, Oscar, Séraphita, Zelda ou, plus simplement Le Chat. Certains portent des prénoms du calendrier, particularité assez rare chez les autres animaux. Les uns partagèrent la vie d’écrivains (Huysmans, Céline, Byron, Poe, Barbey d’Aurevilly, Jouhandeau, Cocteau, Malraux, Colette, Chateaubriand, Loti, Dumas), de peintres (Klee, Léonor Fini, Balthus, Valadon), de personnalités politiques (Louis XV, Richelieu, Poincaré, Churchill, Clémenceau, de Gaulle), mais aussi d’acteurs, de réalisateurs, de scientifiques… D’autres furent à l’origine d’une race, battirent des records (le plus vieux, le plus grand, le plus prolifique…), sauvèrent la vie de leurs maîtres, accomplirent des exploits, ou participèrent – et participent encore – à la conservation des bibliothèques publiques et des musées en y traquant inlassablement les rongeurs.
Chacun a son histoire, brièvement ou minutieusement racontée, chacun a son destin, glorieux ou tragique. Ils furent tour à tour inspirateur, bienfaiteurs, amuseurs ou plus prosaïquement compagnons fidèles et facétieux. Ce dictionnaire érudit, illustré de gravures insolites, photographies et tableaux, rédigé dans un style agréable et parfois piquant, est une mine d’informations à destination des amoureux des chats, des arts, de la culture. Il révèle bien des aspects méconnus de ce bel animal célébré par Baudelaire dans quelques-uns de ses plus beaux vers, mais ne dévoile pas – et c’est fort bien ainsi – son éternel secret. Malraux racontait parfois une histoire, qui, sans doute, s’approchait au plus près de cette énigme : l’auteur de L’Après-midi d’un faune, dans sa maison de Valvins, se postait parfois à sa fenêtre pour écouter les conversations que son chat tenait avec ses congénères dans la gouttière ; un jour, il l’entendit leur confier : « Je feins d’être chat chez Mallarmé… »
Illustration : mes chats Kenzo et Ulysse.