Ce texte est extrait d’un essai en préparation sur l’ordre, l’information et le Temps ; qui fait suite à la cosmonadologie quantique (essai disponible pour édition, un peu d’audace, chers éditeurs)
La crise en physique quantique
Il y a presque un siècle, une science d’un genre nouveau a été développée par des physiciens audacieux qui se sont penchés sur les détails les plus intimes de la Nature. La mécanique quantique était née, dans le sillage de l’hypothèse révolutionnaire émise par Planck pour résoudre le problème du spectre du corps noir. Le rayonnement électromagnétique est quantifié. Chaque excitation du champ EM possède une énergie égale au produit de la fréquence par une constante égale au quantum élémentaire d’action. La quantification du champ électromagnétique a été incomprise aux débuts et d’ailleurs, ce défaut épistémologique traîne encore dans les manuels de physique. Ce n’est pas le champ qui est quantifié mais l’interaction entre le champ et la « matière ».
Et c’est d’ailleurs cette propriété qui a été utilisée suite à l’hypothèse émise par de Broglie, mise en forme par Schrödinger et sa fameuse équation qui décrit l’évolution d’une fonction d’onde associée à une particule mais avec une représentation non réelle puisque l’onde est complexe. Cette onde est associée à la particule mais seule la mesure expérimentale permet d’actualiser la particule comme une réalité physique et phénoménale. La fonction d’onde possède un statut particulier. Elle ne s’interprète pas avec les notions classiques. Il faut alors la considérer comme un outil mathématique inclus dans le dispositif permettant d’étudier le monde des particules en convenant, avec la convention de Copenhague, que seule la mesure quantique permet de donner l’information permettant de décrire les caractères physiques de la particule. Avant la mesure, on ne sait rien de cette particule décrite par un ensemble de possibilités à l’image des cases dans une roulette de casino. Tant que la roue ne n’est pas arrêtée, on ne sait pas qui a gagné.
Certains ont refusé le côté idéaliste de l’interprétation orthodoxe de Copenhague et ont essayé de reformuler la mécanique quantique dans une orientation dite réaliste. C’est ce qui fut tenté par le physicien Bohm qui a développé l’idée émise par de Broglie sur l’onde pilote. Avec l’image d’une particule représentée par une écume à la surface d’une mer qui figure l’onde pilote. Cette théorie réaliste n’a pas apporté de grands changements dans la compréhension du monde quantique depuis 1927. La seule avancée récente concerne la décohérence qui effleure la nature de l’expérience quantique avec le processus de réduction de la fonction d’onde. L’autre énigme qui a tant fait gloser concerne le phénomène de non séparabilité qui est associé à un autre processus, celui de l’intrication. Deux particules ayant interagi conservent une « mémoire » de l’interaction.
La physique quantique, ce sont des milliers d’articles et des centaines d’ouvrages qui racontent comment se présente le monde physique avec ses particules et aussi comment la théorie quantique n’a pas dévoilé l’énigme de la nature puisque, conformément à la docte boutade de Feynman, personne ne comprend la mécanique quantique. On ne peut que trouver étrange cette situation épistémologique dans laquelle les cosmologistes tentent de concilier une théorie du cosmos incomplète, la relativité générale, avec une théorie quantique que personne ne comprend. Au final, l’honnête homme du 21ème siècle comprend une chose et sait pourquoi la cosmologie quantique est vouée à l’échec. Avec en ligne de mire non seulement une cosmologie mais aussi une physique quantique en crise.
Si l’on voulait caractériser en quelques lignes la crise de la cosmologie, on évoquerait le problème de l’univers bloc. Pour faire simple, la relativité générale a une valeur astronomique évidente mais elle est locale et rien n’autorise à la prendre comme une loi applicable à un univers entier, d’autant plus qu’elle échoue à décrire l’espace-temps comme une émergence avec la flèche du temps qui n’apparaît pas. Il y a derrière cette énigme cosmologique l’énigme thermodynamique avec son cortège de spéculations sur l’information et deux percées fructueuses, avec le principe holographique déduit de la théorie des cordes et une spéculation qui ne fait pas consensus, celle menée par Eric Verlinde sur la conception entropique de la gravité newtonienne. Mais ce n’est pas tout car la cosmologie semble graviter autour de l’entropie et l’information. On mentionnera les réflexions de Lee Smolin sur la variété et la complexité dans l’univers ainsi que les réflexions sur un nouveau concept dérivé mais distinct de l’entropie introduit par des cosmologistes alternatifs (Barbour, Koslowski, Mercati). Ce concept a été désigné avec le néologisme « entaxy ». Je n’entrerai pas dans les détails de cette idée novatrice qui permet de concevoir l’évolution du cosmos et sa complexité.
La mécanique quantique est elle aussi secouée par les questions d’ordre ontologique. La position de Copenhague ne satisfait pas ceux qui souhaitent aller plus loin que l’usage d’un formalisme à des fins empiriques ou techniques. Que veut bien nous dire la physique quantique sur les détails de la Nature ? Le problème majeur de cette mécanique quantique, c’est qu’elle tente d’isoler les composants matériels pour les décrire avec des notions classiques. Et la grande leçon c’est que la Nature ne se plie pas aux règles, canons, conventions et autres normes choisies par les scientifiques. Pour comprendre la Nature, il faut lâcher du « lest épistémologique » et reconsidérer l’approche. C’est ce qu’ont fait sans succès Bohm et les physiciens réalistes. Actuellement, quelques approches alternatives se complètent, mettant au centre du dispositif ontologique la notion d’information. Des options novatrices émergent, notamment avec l’utilisation de la description de Madelung qui en 1927, suggéra une alternative à l’équation de Schrödinger. Quelques physiciens se sont penchés récemment sur cette approche qui complique les choses mais permet de remonter à quelques images physiques. La mécanique quantique de Madelung est en fait une hydrodynamique quantique qui reconduit vers une approche réaliste et substantielle du monde quantique avec des connivences thermodynamiques et une différence marquée avec la mécanique de Bohm. Avec l’hydrodynamique de Madelung, le monde quantique se rapproche de l’univers entropique en permettant notamment de concevoir un paramètre qui n’est plus le potentiel quantique de Bohm et qui se rapproche de l’information de Fischer.
La physique quantique ouvre un chemin inédit vers la compréhension de la Physis. Tant que l’on voudra forcer la physique quantique pour la plier ou la raccorder ou l’interpréter avec la mécanique classique, le sens intime de la Nature nous échappera. La leçon à tirer, c’est que la physique quantique doit être radicalisée en accentuant sa spécificité tout en l’éloignant des règles classiques. Il faut rendre la physique quantique étrangère à la mécanique classique pour lui redonner une signification classique qui n’est plus mécanique mais d’un genre nouveau, pour faire simple, d’un genre entropique, informationnel, avec une option statistique qu’il faut théoriser avec rigueur pour retrouver également la flèche du temps qui ordonne les informations. C’est la seule voie pour résoudre cette crise qui s’avère des plus passionnantes en ce 21ème siècle. La mécanique quantique nous impose de rompre avec la science réductionniste.
Afin de bien situer le changement de paradigme je rappelle les débuts « agités » de la mécanique quantique avec les correspondances de Bohr destinées à raccorder les deux mécaniques, la nouvelle et l’ancienne dite classique. L’intention de Bohr était d’établir un lien entre deux descriptions du monde physique. Mais dans l’optique du nouveau paradigme, il faut aller au-delà des descriptions et tenter d’expliquer la Nature. Avec toujours en ligne de mire la conjecture systémique destinée à expliquer comment on construit un monde classique avec une « composition » de tranches quantiques. Les formulations réalistes et notamment celles dérivées de Madelung montrent que le monde classique n’est plus nécessairement celui de Newton ou Einstein mais celui de l’entropie et de la dynamique des fluides. Cette conception doit accorder une place prépondérante à l’information et sa « circulation ». Et pour aller le plus loin dans cette direction, je rappelle ma nouvelle conception monadologique avec les expressions et réceptions d’informations quantiques (on verra que ce sont des résonances ». L’hydrodynamique quantique est parfaitement compatible avec la monadologique quantique. Le monde classique qui émerge du quantique n’est pas celui de Newton mais un monde dans lequel les informations permettent à la « matière quantique » de s’ordonner. C’est ce monde dans lequel nous vivons.
Retrouver les flèches du temps
Nous pouvons maintenant élucider l’incroyable égarement de la physique moderne et contemporaine en mettant en évidence la conjecture systémique et la méthodologie moderne qui a étudié non pas la Physis (Nature) mais des « coupes » phénoménologiques extraites d’un fond ontologique comprenant la Physis et le Physicien réunis par une interface qui n’est qu’une « tranche » de réalité. Le phénomène est à l’interface, voire une interface dotée d’une forme et où transitent des informations.
Comment donner une image parlante de la situation. Imaginons un glacier. La physique quantique consisterait à prendre une carotte pour sonder l’épaisseur de glace et analyser chaque couche. Alors que la cosmologie classique étudie la surface du glacier et comment il se déplace dans le temps. Ces images permettent de saisir les défis de la physique contemporaine. La physique quantique a permis de sonder la matière mais elle repose sur un déficit ontologique. Il faut reconstituer une cohérence et un ensemble global à partir de la matière quantique. Cet ensemble repose sur l’information ordonnée et comme on le verra, il faut introduire une flèche du Temps qui crée de l’ordre. Le problème de la cosmologie est inverse. L’ordre global est décrit pour sa partie astronomique et cosmologique mais il manque la dimension monadologique, autrement dit l’intérieur du cosmos, avec ses éléments monadologiques fait de «morceaux » de matière quantique, voire de « fluide quantique ». Cette dimension quantique crée de la nouveauté et de la complexité dans le cosmos. Il faut alors ouvrir la boîte d’Einstein pour introduire une flèche quantique du Temps qui elle, fonctionne en modifiant ou perturbant l’ordre classique du cosmos.