Le Plus : « Le Cuirassé Potemkine » / Le Moins : « Under the Skin » (#47)

Le Plus/Le Moins est une chronique cinématographique hebdomadaire. Vous y découvrirez, toujours avec concision, le meilleur et le pire de mes (re)découvertes.

Et cette semaine…

Le Plus : Le Cuirassé Potemkine (1925). Considéré comme l’un des pères du montage, au même titre que David Wark Griffith ou Abel Gance, Sergueï Eisenstein a codifié tout un système d’agencement de l’espace dès sa seconde réalisation, l’épique et hypnotique Cuirassé Potemkine. Échafaudé dans l’enthousiasme et l’urgence, en seulement quatre mois, ce monument du film de propagande, commandé par la firme d’État Goskino, célèbre avec éclat les vingt ans de la Révolution russe de 1905, à la lisière de l’Histoire et de la fiction. Spectacle en tout point étourdissant, ce pantomime soviétique s’inspire à la fois de la peinture constructiviste de Kasimir Malevitch, du théâtre de Vsevolod Emilievitch Meyerhold et du kabuki japonais, irriguant ses séquences d’un lyrisme déchirant et d’une expressivité sans commune mesure. Du haut de ses vingt-six printemps, Sergueï Eisenstein impressionne, déroute et se trouve partout à la manœuvre : à la réalisation, au scénario, au montage, et même devant la caméra. Esthétisant le désespoir à coups de lumières contrastées, de gros plans saillants et de métaphores évocatrices, il narre par le menu, avec conviction, la mutinerie du cuirassé, la solidarité du peuple d’Odessa, la quête irrépressible de liberté et les décimations perpétrées par les soldats du tsar, massacres parfaitement représentés dans la séquence de l’escalier, authentique chorégraphie de mouvements et de désagrégations. Héros pluriel et anonyme, l’amas populaire entend se dresser avec abnégation face à la tyrannie et l’aliénation. Les trois lions sculptés dans la pierre symbolisent son éveil progressif, tandis que le drapeau rouge battu par le vent s’érige en stimulus déterminant, justification du soulèvement en marche. Référence universelle, Le Cuirassé Potemkine se déploie de figurations anthologiques – l’oppression, la révolte, la perdition – en tableaux glaçants, désolés, au seuil de l’abomination. Promis au fameux « montage des attractions », fait de chocs, de ruptures et de vallonnements rythmiques, il aligne les formes, les symboles et les métonymies, répandant en parallèle son influence comme une saignée. Tourbillon d’idées et de visions, le chef-d’œuvre d’Eisenstein a ainsi exercé une emprise éprouvée sur des cinéastes tels que Brian De Palma, Terry Gilliam, Woody Allen ou encore David Zucker, sans omettre les hommages rendus çà et là, notamment par Les Nuls et Les Simpson. Longtemps encore, on se souviendra de ce landau dévalant furieusement les marches de l’escalier démesuré d’Odessa, de ces plans serrés de viandes avariées, de cet enfant inerte gisant dans les bras d’une mère éplorée, de ce lorgnon coincé dans les cordages ou encore de ces scènes de mutinerie et de massacres. Longtemps encore, on évoquera les partitions enfiévrées de Dmitri Chostakovitch et Edmund Meise ; la photographie soignée de Vladimir Popov et Édouard Tissé ; cette caméra fixe, capturant une réalité biaisée par le prisme idéologique ; le mariage des plans larges et rapprochés, suggérant tour à tour la dynamique des masses et la détresse personnelle. À jamais, on sondera la portée de ces montages parallèles, de ces découpages et agencements savamment étudiés, de ces variations d’échelles et de valeurs picturales. Car Le Cuirassé Potemkine paraît, au bas mot, aussi inépuisable que les récoltes de la NSA. C’est dire… (9/10)

Le Moins : Under the Skin (2013). Comme Spring Breakers en son temps, Under the Skin est une œuvre appelée à faire débat, à diviser la critique. Frisant souvent l’abstraction, l’épopée de Jonathan Glazer a tout de l’expérience sensorielle envoûtante, iconoclaste, à la prétention arty difficilement réfutable. Un ovni formellement abouti, ténébreux, en rupture avec une aseptisation désormais généralisée. S’attaquant à des sujets aussi vastes que l’identité, l’errance, la mort, le désir ou encore l’humanité, ce récit de science-fiction, minimaliste et par trop schématique, s’appuie exclusivement sur un alien prenant l’apparence d’une femme pulpeuse (Scarlett Johansson), croqueuse d’hommes invétérée, sillonnant les rues écossaises à la poursuite d’une proie esseulée, vouée à disparaître dans les limbes en succombant à la tentation charnelle. Une construction scénique qui se répétera à l’infini, comme une ritournelle lancinante, balançant constamment entre l’hypnotique et… l’ennuyeux. L’audace n’ayant jamais été une promesse d’efficacité, Under the Skinen arrive très rapidement à s’ankyloser, ne cherchant jamais à se départir d’un maniérisme boursouflé, ni à dépasser et transfigurer le cadre initialement posé. Ainsi, lorsque Daniel Landin sublime l’imagerie, il ne fait qu’empiler les couches de vernis sur une coquille vide, un espace aussi large pour un scénario ténu que l’est un costume d’ogre pour Debbie Reynolds. Des étendues béantes qui permettent à chacun d’y glisser à peu près toutes les projections, même les plus fantasmées. L’interrogation du statut de sex-symbol ? Anecdotique. Les caméras cachées ?  Insignifiantes, si pas grotesques. L’uniformité des comportements ?  Une hypothèse aussi improbable que l’avènement de DSK en gardien des mœurs. Les plus réfractaires – les moins crédules ? – se contenteront alors de quelques références à peine voilées (David Lynch, notamment), de contemplations interminables et de dialogues d’une pauvreté absolue – censés constituer, imagine-t-on, le baromètre d’une humanité désincarnée. Bien qu’artisan d’un trip sensoriel réussi et d’une adaptation à la beauté picturale édifiante, Jonathan Glazer se fourvoie quand il s’agit d’affiner son propos, d’en préciser le sens. Suffit-il vraiment de filmer un supermarché, un gâteau, une noyade, une immolation, un neurofibromateux anxieux ou des parades amoureuses pour porter un regard pertinent sur l’état du monde ?  À la somptuosité des paysages et des visions nocturnes se juxtapose ainsi l’impression, tenace, d’une intelligence très artificielle. Comme si la préciosité visuelle avait fini par contaminer une narration réduite à sa portion congrue. (4/10)

Qu’est ce que la fleur de la vie ?
Qui est réellement Pierre Cornu ?