Le Plus/Le Moins est une chronique cinématographique hebdomadaire. Vous y découvrirez, toujours avec concision, le meilleur et le pire de mes (re)découvertes.
Et cette semaine…
Le Plus : La Planète des singes : l’Affrontement (2014). Dans un futur proche, alors que la grippe simienne a décimé l’essentiel de l’espèce humaine, une nation de singes dotés de capacités extraordinaires, chapeautée par le bienveillant César, se structure et se développe sereinement, investissant en masse la forêt de Muir Woods, sise à quelques encablures d’un San Francisco dévasté. Une autocratie dont la relative quiétude se verra bientôt menacée par l’intrusion inconsidérée d’un groupe d’hommes armés et apeurés, rescapés miraculeux d’une pandémie dévastatrice. Après Franklin Schaffner, Tim Burton et Rupert Wyatt, c’est à présent au tour de Matt Reeves de s’atteler à une adaptation libre de La Planète des singes, le célèbre et encensé roman de Pierre Boulle. Avec un budget estimé entre 120 et 170 millions de dollars, ce blockbuster science-fictionnel déploie à grands frais une cascade d’effets spéciaux numériques, de saisissants décors apocalyptiques et un torrent de séquences haletantes, d’une puissance picturale et expressive édifiante. Un spectacle épique, démarrant en trombe et assenant les horions comme des déclamations de Quintilien. Avec méthode et conviction. À peine l’ouverture esquissée que, déjà, les dés sont jetés : sublimée par le coaching de mouvement et les dispositifs de « motion capture », l’immersion au cœur de la communauté simiesque émerveille, fascine, faisant de la chasse inaugurale une démonstration probante de déplacements étudiés et de mimétisme troublant. Une grandeur formelle qui trouvera une résonance particulière dans les heurts collectifs, où les renversements de perspective, les vues subjectives, les orgies pyrotechniques et les plans saillants n’auront de cesse de magnifier le récit, de captiver et polariser les attentions même les plus distraites. En maître imperturbable de son instrument, Matt Reeves plante son trépied dans les forêts de Vancouver ou de La Nouvelle-Orléans, et immortalise avec maestria ces hordes de singes sillonnant les bois à l’assaut d’une métropole désolée, un refuge en ruines, ultime retranchement d’une humanité désormais barricadée et plus précaire que jamais. Dénué de temps morts, La Planète des singes : l’Affrontement n’interroge pas seulement les conflits raciaux, la résilience ou l’élan vital, il entend aussi démêler les nœuds intérieurs et les ambivalences, échappant ainsi au manichéisme des espèces – à défaut de celui des personnalités, ô combien archétypales. Si la réalisation tient toutes ses promesses et n’usurpe aucun superlatif, une question restera néanmoins à jamais en suspens : que serait-il advenu si la version finale du script n’avait été confiée au spécialiste des suites et remakes décriés qu’est Mark Bomback ? Aurions-nous tout de même eu droit à un scénario cousu de fil blanc, à quelques entorses narratives, à des parenthèses larmoyantes, à l’un ou l’autre personnage frisant la vacuité (à l’instar de Gary Oldman) ? Faute de sophistication dans le texte, l’étoile est bel et bien écornée. Ni les quelque soixante caméras mo-cap et témoins, ni même l’interprétation exceptionnelle d’un Andy Serkis pleinement investi, définitivement passé maître dans l’art du « performance capture », ne suffiront à excuser les faiblesses conceptuelles d’une œuvre cadenassée, narrativement paresseuse, qui méritait pourtant un manuscrit à la hauteur de ses prouesses techniques. (7/10)
Le Moins : Twixt (2012). L’affranchissement et la confusion. Une mixture frigorifique empruntant tant à David Lynch qu’à Edgar Allan Poe et Stephen King. Une fiction sur la fiction, un miroir tendu, sans colonne vertébrale, mais avec du cœur. Le dernier Francis Ford Coppola tient autant du bon grain que de l’ivraie. Une cavalcade nocturne dans une brume éthérée. Une lente dérive le long d’une variation mineure du septième art. Voilà maintenant plus de vingt ans que le réalisateur américain peine à donner la pleine mesure de son cinéma, s’embourbant joyeusement dans une esthétisation exacerbée et une approximation narrative forcément préjudiciable. Depuis sa conversion au numérique, il semble avoir sacrifié son sens de la mise en scène, le troquant volontiers pour une liberté de ton essentiellement faite de promesses, allant même jusqu’à affirmer, sans détour aucun, que le public d’aujourd’hui ne jure plus que par le récit. Comme si le propos scénaristique pouvait impunément se dissocier et faire son deuil du langage filmique. Comme si l’un et l’autre n’étaient pas intimement liés, et voués à le demeurer perpétuellement. Résultat : quelques panoramiques lâchés çà et là en guise de miettes et le refus catégorique d’animer des plans presque anesthésiés. Renvoyant à Dementia 13 et Dracula par son imagerie, l’irrégulier Twixt pose une réflexion sincère sur l’artiste et son œuvre, sonde la culpabilité, l’alcoolisme et la solitude, tout en érigeant son antihéros, écrivain maudit et assailli de remords, en pendant fictionnel de Coppola, lui-même père endeuillé. Réalisateur et scénariste, le cerveau de la trilogie du Parrain désigne la perte comme thème sous-jacent et se repaît d’une tonalité gothique et onirique que ne renierait pas un certain Tim Burton. Alignant les teintes contrastées, les figures clownesques et fantasmagoriques, il ignore les sentiers battus et finit en toute logique par naviguer à vue. Se montrant économe en moyens et mouvements de caméra, il s’attache manifestement à appliquer à la lettre sa nouvelle conception du cinéma contemporain, une doctrine exclusivement portée sur les enjeux scénaristiques. Tourné en seulement sept semaines, notamment dans le domaine viticole de son maître d’œuvre, Twixt se veut finalement inégal, formaliste, parfois involontairement comique et souvent décousu. Une déception fleurant bon la fin de règne. Il n’en restera cependant pas moins une distribution réussie – Val Kilmer, Bruce Dern, Ben Chaplin, Elle Fanning –, une photographie léchée et une authenticité louable. (5/10