Le Plus/Le Moins est une chronique cinématographique hebdomadaire. Vous y découvrirez, toujours avec concision, le meilleur et le pire de mes (re)découvertes.
Et cette semaine…
Le Plus : La Garçonnière (1960). Tout historien du cinéma qui se respecte sait que l’année 1960 est à marquer d’une pierre blanche. À tour de rôle, des œuvres de la trempe de Psychose, La Servante, La Dolce Vita, Le Voyeur, L'Avventura ou À bout de souffle ont investi les salles obscures, certaines amorçant des tendances, d’autres les renversant. Même Billy Wilder y est allé de son petit chef-d’œuvre, orchestrant la lettre, l’esprit et l’image d’une Garçonnière éblouissante de maîtrise, aujourd’hui encore encensée et invariablement célébrée. S’inspirant de Brève rencontre, de David Lean, cette comédie à double étage dissimule derrière les chassés-croisés amoureux une radiographie frontale des mœurs américaines, renvoyant le puritanisme et la bigoterie à leur extrême vulnérabilité. La société qui y est représentée marche à rebours, trébuche sur des valeurs suppliciées, ne jure que par l’ivresse, le dédain et la désaffection. On y consomme les femmes comme des savonnettes, troquant volontiers l’équilibre existentiel contre un plaisir fugace aux fondements fragiles. C.C. Baxter, morne et solitaire bureaucrate, prête régulièrement son appartement aux couples adultères. Sa carrière commence à prendre de l’essor, mais il ne gravit les échelons qu’à l’aune des services rendus. Coutumier malgré lui des errances nocturnes, il arpente nonchalamment les trottoirs, sans but, pendant que des amants volages s’étreignent chaleureusement sur son canapé. En quête d’avancement, ce M. Tout-le-monde s’apprête toutefois à tomber sur un os, et non des moindres : la femme qu’il convoite ardemment n’est autre que la maîtresse de son patron, lui-même comptant parmi ses nombreux locataires occasionnels. Un triangle amoureux à géométrie variable, duquel découlera des manipulations et duperies en cascades, une femme brisée à la manière du miroir, une tentative de suicide avortée dans l’urgence et un vent de légèreté nimbé de mélancolie. Respectivement photographié et mis en musique par Joseph LaShelle et Adolph Deutsch, La Garçonnière emploie une mécanique limpide et rigoureuse en faveur d’une critique acerbe du système capitaliste, curieusement sous-tendu par des réseaux d’influence tricotés sournoisement, mus par les intérêts personnels et répondant à des logiques indéfendables. Entre satire sociale, drame et comédie romantique, Billy Wilder déblaie le terrain, tranche dans le vif et réactive, peut-être, les résidus de sa formation de journaliste. Aux commandes d’une œuvre plaisamment sapide, quintuplement oscarisée, il flatte l’œil, stimule l’imagination et s’en remet à un CinemaScope aussi sombre qu’exigeant, traversé par des seconds rôles exquis et un casting impeccable – Jack Lemmon, Shirley MacLaine, Fred MacMurray, etc. Une chronique humaine truculente, chauffée à blanc, sondant des existences embourbées dans un style délicieusement éthéré. (10/10)
Le Moins : Nos pires voisins (2014). S’il fallait désigner un thème cher à l’écurie Apatow, nul doute que le refus de vieillir pointerait en bonne place. Les furieuses pérégrinations échafaudées çà et là se prêtent en effet davantage à l’ivresse estudiantine qu’aux responsabilités grisantes de l’âge adulte. On sera dès lors peu surpris par la tonalité du dernier Nicholas Stoller, farce régressive réunissant Seth Rogen et Rose Byrne dans le rôle de parents trentenaires allergiques aux assignations sociales, mais se heurtant néanmoins aux outrances d’une fraternité universitaire sise à deux pas de chez eux. Comédie ennuagée s’égrenant en saynètes frivoles, Nos pires voisins narre par le menu les plans de la famille Radner pour réduire au silence, voire déloger, des étudiants aussi bruyants qu’indésirables. Très vite, le rêve américain tombe en lambeaux : le couple central peine à s’épanouir sexuellement, refuse les impératifs induits par leur récente parentalité et en arrive même à souhaiter la vente d’une habitation chèrement acquise, devenue une sorte de purgatoire duquel on ne réchappe pas. Les ingrédients correctement dosés, la mayonnaise aurait sans doute pris. Mais les gags et pitreries tombent trop souvent à plat, tandis qu’un air de déjà-vu plane en permanence sur le métrage. La troupe ensauvagée de Zac Efron a beau épuiser le voisinage, elle s’échine en revanche à épargner nos neurones et zygomatiques, impassibles, si pas statufiés. Pis, les scénaristes nous gratifient d’un florilège de clichés éculés sur les confréries étudiantes : flânerie, chambardement, stupéfiants, débauche. Une paresse que ne parviendront jamais à occulter les apparitions, anecdotiques, d’un Christopher Mintz-Plasse ou d’une Lisa Kudrow. (4/10)