Le Plus : « Docteur Folamour » / Le Moins : « L’Arc »

Le Plus : Docteur Folamour (1964). Plus qu’une satire amarrée à l’anticipation politique, Docteur Folamour est une démonstration par l’absurde, un vent de folie balayant les hautes sphères dirigeantes, un feu d’artifice de tirades fusantes et corrosives. Fable hyper-documentée sur la guerre froide et l’emballement technologique, fignolée avec diligence par le scénariste Terry Southern, grand générateur de formules incisives, la comédie sardonique de Stanley Kubrick se développe de front sur trois tableaux et opère une glissade graduelle vers un absurde caustique et ravageur, ridiculisant l’état-major américain à coups de scientifiques mégalomanes, de généraux paranoïaques et de politiciens incompétents. Une galerie de personnages loufoques, à travers laquelle Docteur Folamour, tiré d’un roman de Peter George, dénonce avec force une fascination irrépressible pour les armes, un complexe militaro-industriel sur les dents et une démence collective se profilant à l’horizon comme une fatalité. Cadrages statiques et caméra à l’épaule donneront successivement corps à l’holocauste nucléaire orchestré de son propre chef par un général désaxé, tourmenté par une banale perte de virilité, phallocrate blessé dans son orgueil et s’échinant à porter au crédit des Russes ses troubles de l’érection. Non content de ruer dans les brancards, Stanley Kubrick pulvérise son propos en une mosaïque de représentations narquoises : un kit de survie farfelu ; un panneau publicitaire vantant les vertus pacifistes de l’armée ; une étrange obsession à l’endroit des fluides corporels ; une orgie souterraine imaginée par un savant fou en vue de revivifier l’humanité ; un distributeur Coca-Cola mieux protégé que n’importe quel intérêt supérieur de la nation ; des échanges insensés entre deux chefs d’État immatures et impréparés, expédiés sans ménagement dans un chaos planétaire virant au grand-guignolesque. De toutes ces images goguenardes, sublimées par l’expérimenté Gilbert Taylor, deux resteront à jamais gravées dans le marbre cinématographique : les saluts hitlériens péniblement réprimés et le rodéo enfiévré d’un soldat fièrement perché sur une ogive nucléaire. Il fallait bien tout le talent de George C. Scott, Sterling Hayden et surtout Peter Sellers – divin dans une triple composition – pour se hisser à la hauteur vertigineuse de cet Himalaya filmique, pénétré par l’incontestable génie de Stanley Kubrick. (10/10)

Le Moins : L’Arc (2005). Certains n’y verront qu’un assemblage décoratif, une variation mineure de l’œuvre de Kim Ki-duk, réalisateur, scénariste, producteur et monteur d’un Arcrecyclant avec peine quelques vieilles lunes et obsessions déjà largement éventées. D’autres, en revanche, mentionneront un conte poétique ayant trait au désir et à la possession, indicible triangle amoureux érigeant l’exquise Han Yeo-reum en tête de gondole foudroyante et/ou magnétique. Tout porte cependant à croire que la réalité, bien plus ambiguë, se situe quelque part entre les deux. Si, à l’évidence, le cinéaste sud-coréen peine à se départir d’un certain fardeau référentiel (SamariaPrintemps, été, automne, hiver… et printemps), il nappe néanmoins son huis clos maritime d’un sentiment de trouble et d’insatisfaction judicieusement modelé, échafaudé à coups de contemplations muettes, d’allusions succinctes et de regards figés. Cramponné à une passion interdite, serpentant entre syndrome de Stockholm et insoumission juvénile, il revisite dans une veine minimaliste le Lolita de Nabokov, mettant en scène une héroïne promise à un vieil homme la tenant obstinément éloignée du monde, adolescente candide dont les perspectives ne peuvent se projeter au-delà d’un chalutier perdu en pleine mer. Une égérie dont les expectatives chavireront bientôt, ébranlées par un étudiant de passage, sensible et prévenant. Jetant par-dessus bord toute notion d’intensité, Kim Ki-duk s’abandonne continûment à un lyrisme languide, et tisse son propos au travers d’une succession de tableaux en mouvement, tantôt redondants ou trop démonstratifs. Une grammaire quelque peu ampoulée, en proie aux boursouflures et aux ankyloses. Qu’à cela ne tienne, L’Arc se singularise avant tout par les allégories murées et les symboles à double sens dont il se peuple : un arme rudimentaire multifonction (instrument de combat ou de musique, oracle) ; un calendrier préfigurant les noces tant attendues ; un bateau servant d’écrin à une innocence immaculée ; un lecteur MP3 synonyme d’ouverture au monde, etc. De quoi passer en revue, dans le désordre contemporain des sentiments, de larges pans des crispations et vacillations humaines. (6/10)

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