Le pape François au Congrès US et à l’ONU : protégeons la vie humaine !

» Voici arrivée l’heure où s’impose une halte, un moment de recueillement, de réflexion, quasi de prière : repenser à notre commune origine, à notre histoire, à notre destin commun. Jamais comme aujourd’hui, (…) n’a été aussi nécessaire l’appel à la conscience morale de l’homme.

Car le péril ne vient, ni du progrès, ni de la science, qui, bien utilisés, pourront (…) résoudre un grand nombre des graves problèmes qui assaillent l’humanité. (…) Le vrai péril se tient dans l’homme, qui dispose d’instruments toujours plus puissants, aptes aussi bien à la ruine qu’aux plus hautes conquêtes. » (Discours de Paul VI à l’Organisation des Nations Unies à l’occasion du vingtième anniversaire de l’Organisation, le 4 octobre 1965).

Jamais dans ce monde si mouvementé, si troublé, si agité par les guerres, le terrorisme, la crise économique et sociale, jamais les paroles de la philosophe Simone Weil n’ont été aussi nécessaire qu’aujourd’hui : « Seul est éternel le devoir envers l’être humain comme tel. ». La semaine dernière, le pape François a sans aucun doute répondu à ce besoin à l’occasion de deux discours historiques.

Et c’est certainement le rôle du pape de rappeler de temps en temps le devoir envers l’être humain. Au contraire de la plupart des chefs d’État plus préoccupés par les circonstances à court terme, par le jeu électoral, par les visions à la petite semaine, et parce qu’il n’a rien de matériel à marchander, le pape, plus que d’autres, a la capacité de prononcer des discours avec une vision large, globale et à long terme, comme tous les grands leaders du monde devraient avoir (et comme aussi des scientifiques tels que Bernard d’Espagnat).

C’est ce qu’a fait le pape François lors de son petit périple sur le continent américain, « son » continent, qu’il a commencé à La Havane le 20 septembre 2015 (où il a rencontré dans sa retraite Fidel Castro : « C’est mon devoir de bâtir des ponts et d’aider tous les hommes et toutes les femmes, de toutes les manières possibles, à faire de même. », a-t-il évoqué le 24 septembre 2015), qu’il a poursuivi lors d’une visite officielle aux États-Unis (il a rencontré Barack Obama le 22 septembre 2015), et qu’il a achevé aux Nations Unies.

Durant son passage, il a reçu les ovations des peuples qu’il a rencontrés, une ferveur qui rappelle celle de Jean-Paul II, le pape voyageur, qu’il n’égalera pas simplement parce qu’il n’en aura pas le temps (il aura 79 ans en décembre). Après avoir prononcé un discours historique au Parlement Européen le 25 novembre 2014 à Strasbourg, il vient de se rendre dans deux enceintes essentielles, au Congrès des États-Unis à Washington le 24 septembre 2015 (accueilli par Joe Biden, Vice-Président des États-Unis et à ce titre, Président du Sénat américain) et à l’Assemblée générale de l’ONU à New York le 25 septembre 2015 (accueilli par Ban Ki-Moon, Secrétaire Général de l’ONU).

J’évoque dans cet article le contenu de ces deux discours historiques dont la densité la rigueur intellectuelles ne peuvent pas étonner de la part d’un pape.

Discours devant le Congrès américain le 24 septembre 2015

C’est la première fois qu’un pape s’est exprimé devant le Congrès des États-Unis. Celui-ci rassemble les deux assemblées, la Chambre des Représentants et le Sénat.

Le pape François n’est pas une personnalité à mettre sa langue dans sa poche. C’est pour cela qu’il ne varie pas l’orientation de ses discours en fonction de ses interlocuteurs, aussi amis soient-ils, aussi protocolaire soit l’exercice. Je ne suis donc pas étonné que le pape a insisté sur le plus grand anachronisme de la société américaine : la peine de mort. Comment est-il possible qu’un peuple qui se dise éclairé des principes de liberté et de responsabilité individuelles puisse encore accepter le principe de la peine de mort ?

Pour les abolitionniste, la position du pape, celui-ci comme tous ses prédécesseurs, n’est pas exceptionnelle. L’Église catholique a toujours défendu le principe de protection de la vie humaine et aussi la capacité de rédemption de tout être humain, même les plus cruels. C’est en revanche moins fréquent que le pape se déplace jusqu’au cœur de la démocratie américaine pour le dire les yeux dans les yeux au législateur américain.

Les paroles pontificales ont été d’autant plus fortes qu’elles n’ont pas eu l’air de trop marteler : « La Règle d’Or [voir plus bas] nous rappelle aussi notre responsabilité de protéger et de défendre la vie humaine à chaque étape de son développement. Cette conviction m’a conduit, depuis le début de mon ministère, à défendre, à différents niveaux, la cause de l’abolition mondiale de la peine de mort. Je suis convaincu que ce chemin est le meilleur, puisque chaque vie est sacrée, chaque personne humaine est dotée d’une dignité inaliénable, et la société ne peut que bénéficier de la réhabilitation de ceux qui sont reconnus coupables de crimes. Récemment, mes frères Évêques, ici aux États-Unis, ont renouvelé leur appel pour l’abolition de la peine de mort. Non seulement je les soutiens, mais aussi j’apporte mes encouragements à tous ceux qui sont convaincus qu’une juste et nécessaire punition ne doit jamais exclure la dimension de l’espérance et l’objectif de la réhabilitation. ».

Le discours du pape (texte intégral ici) était articulé autour de quatre figures historiques américaines, Abraham Lincoln (assassiné il y a cent cinquante ans), Martin Luther King, Dorothy Day et Thomas Merton.

Son premier sujet était le fondamentalisme religieux à combattre absolument.

Ce n’est pas anodin que ce soit justement un chef religieux, écouté et apprécié, qui le dise. Aucune religion ne devrait prôner la guerre : « Notre monde devient de plus en plus un lieu de violent conflit, de haine et d’atrocités brutales, perpétrées même au nom de Dieu et de la religion. Nous savons qu’aucune religion n’est exempte de formes d’illusion individuelle ou d’extrémisme idéologique. Cela signifie que nous devons faire spécialement attention à tout type de fondamentalisme, qu’il soit religieux ou de n’importe quel autre genre. Un équilibre délicat est nécessaire pour combattre la violence perpétrée au nom d’une religion, d’une idéologie ou d’un système économique, tout en sauvegardant aussi la liberté religieuse, la liberté intellectuelle et les libertés individuelles. ».

Mais là encore, il ne s’agit pas de dire qu’il y a des bons ou des méchants, et c’est dans l’enceinte du pays qui a conçu l’idée de « l’Axe du Mal » que le pape veut rejeter tout manichéisme simpliste, toute bipolarité qui nuit à la raison humaine (c’est aussi, à une moindre conséquence, le problème de la démocratie française où la bipolarisation prend beaucoup trop d’importance) : « Le monde contemporain, avec ses blessures ouvertes qui affectent tant de nos frères et sœurs, exige que nous affrontions toute forme de polarisation qui le diviserait en deux camps. Nous savons qu’en nous efforçant de nous libérer de l’ennemi extérieur, nous pouvons être tentés de nourrir l’ennemi intérieur. Imiter la haine et la violence des tyrans et des meurtriers est la meilleure façon de prendre leur place. (…) Notre réponse doit au contraire être une réponse d’espérance et de guérison, de paix et de justice. Nous sommes appelés à unir le courage et l’intelligence pour résoudre les nombreuses crises géopolitiques et économiques actuelles. ».

Ce qui l’a amené à évoquer le problème des réfugiés, un problème qui préoccupe aussi les États-Unis (en pleine campagne électorale) sur son propre sol avec l’arrivée de beaucoup de Mexicains : « Dans ce continent aussi, des milliers de personnes sont portées à voyager vers le Nord à la recherche d’une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leurs proches, à la recherche de plus grandes opportunités. N’est-ce pas ce que nous voulons pour nos propres enfants ? Nous ne devons pas reculer devant leur nombre, mais plutôt les voir comme des personnes, en les regardant en face et en écoutant leurs histoires, en essayant de répondre le mieux possible à leur situation, de répondre d’une manière toujours humaine, juste et fraternelle. Nous avons besoin d’éviter une tentation fréquente de nos jours : écarter tout ce qui s’avère difficile. ».

Le pape a dit très haut quelques évidences : « Nous, le peuple de ce continent, nous n’avons pas peur des étrangers, parce que la plupart d’entre nous étaient autrefois des étrangers. Je vous le dis en tant que fils d’immigrés, sachant que beaucoup d’entre vous sont aussi des descendants d’immigrés. ».

Il a alors énoncé sa « Règle d’Or » (évoquée ici déjà plus haut) qui n’est qu’une formule de bon sens rappelée par un Évangéliste : « Souvenons-nous de la Règle d’Or : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour les autres aussi » (Mt 7, 12). Cette règle nous indique une direction claire. Traitons les autres avec la même passion et compassion avec lesquelles nous voulons être traités. Cherchons pour les autres les mêmes possibilités que nous cherchons pour nous-mêmes. Aidons les autres à prospérer, comme nous aimerions être aidés nous-mêmes. ».

Tout ce que le pape François a dit aux Américains est évidemment valable pour les peuples européens, et en particulier pour le peuple français : aider les autres à prospérer, c’est s’aider à prospérer soi-même. En d’autres termes, que l’immigration est une chance pour le pays d’accueil. Une nouvelle variante de cet « adage » : Aide-toi et le Ciel t’aidera !

À un an de l’élection présidentielle américaine de 2016, très ouverte avec le départ de Barack Obama, le pape François a aussi donné aux responsables américains sa définition du bon dirigeant : « Un bon dirigeant politique est quelqu’un qui, ayant à l’esprit les intérêts de tous, saisit le moment dans un esprit d’ouverture et de pragmatisme. » (en faisant allusion aux retrouvailles diplomatiques avec Cuba et aussi avec l’Iran).

Comme on le voit, le pape n’a pas manqué d’audace lors de sa visite aux parlementaires américains.

Discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 2015

Le lendemain, le pape est venu parler aux représentants de la planète réunis pour la session annuelle habituelle mais un peu particulière cette année puisque c’est le soixante-dixième anniversaire de l’ONU. Son (lointain) prédécesseur, le pape Paul VI, était venu honoré de sa présence l’Assemblée générale de l’ONU il y a cinquante ans, en 1965, pour le vingtième anniversaire de l’ONU (dont il a rappelé quelques phrases retranscrites au chapeau de cet article). Et par la suite, Jean-Paul II (deux fois, en 1979 et en 1995) et Benoît XVI (une fois, en 2008) étaient venus s’exprimer à cette tribune exceptionnelle.

L’autre particularité de cette session, c’est qu’elle se tient à deux mois de la très importante Conférence de Paris où il sera question de trouver un accord mondial pour réduire au mieux le réchauffement climatique.

[caption id="attachment_6110" align="alignnone" width="300"] Pope Francis addresses the United Nations General Assembly in New York, September 25, 2015. REUTERS/Tony Gentile - RTX1SFZN[/caption]

Le discours du pape (texte intégral ici) a donc repris le thème central de sa dernière encyclique (sur laquelle je reviendrai), à savoir l’écologie, et il considère qu’il ne peut y avoir de défense de l’environnement sans défense de l’être humain (et réciproquement). En d’autres termes, on ne peut pas, sous prétexte de favoriser la Nature, défavoriser l’humain.

C’est le sens de son message sur le droit à l’environnement : « Il faut affirmer qu’il existe un vrai « droit de l’environnement’’ pour un double motif. En premier lieu, parce que nous, les êtres humains, nous faisons partie de l’environnement. Nous vivons en communion avec lui, car l’environnement comporte des limites éthiques que l’action humaine doit reconnaître et respecter. L’homme, même s’il est doté de « capacités inédites » qui « montrent une singularité qui transcende le domaine physique et biologique » (Encyclique Laudato si’, n. 81), est en même temps une portion de cet environnement. Il a un corps composé d’éléments physiques, chimiques et biologiques, et il peut survivre et se développer seulement si l’environnement écologique lui est favorable. Toute atteinte à l’environnement, par conséquent, est une atteinte à l’humanité. En second lieu, parce que chacune des créatures, surtout les créatures vivantes, a une valeur en soi, d’existence, de vie, de beauté et d’interdépendance avec les autres créatures. Nous les chrétiens, avec les autres religions monothéistes, nous croyons que l’Univers provient d’une décision d’amour du Créateur, qui permet à l’homme de se servir, avec respect, de la création pour le bien de ses semblables et pour la gloire du Créateur. Mais l’homme ne peut abuser de la création et encore moins n’est autorisé à la détruire. ».

Le pape François a donc mis en parallèle « l’ambition du profit et du pouvoir » et le danger que court l’être humain en tant qu’espèce : « La crise écologique, avec la destruction d’une bonne partie de la biodiversité, peut mettre en péril l’existence même de l’espèce humaine. Les conséquences néfastes d’une mauvaise gestion irresponsable de l’économie mondiale, guidée seulement par l’ambition du profit et du pouvoir, doivent être un appel à une sérieuse réflexion sur l’homme : « L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi nature » (Benoît XVI, Discours au Parlement Fédéral d’Allemagne, le 22 septembre 2011). ».

Toujours centré sur la personne humaine, le pape François a mis en garde contre une gestion de l’économie qui s’oppose à l’épanouissement humain, contestant notamment le principe d’austérité imposé aux peuples (les plus pauvres sont mis au rebut, obligés de vivre des rebuts : la traite des être humains, le commerce d’organes, l’exploitation sexuelle des enfants, l’esclavage dans le travail, le trafic de drogue et d’armes, le terrorisme et le crime organisé), et réclamant un « minimum absolu » qui a « sur le plan matériel, trois noms : toit, travail et terre ; et un nom sur le plan spirituel : la liberté de pensée, qui comprend la liberté religieuse, le droit à l’éducation et les autres droits civiques ». Droit à l’éducation notamment « pour les filles, exclues dans certaines régions du monde ».

Le pape a répété sa demande que les décisions soient prises toujours dans l’objectif de l’humain : « Dans les guerres et les conflits, il y a des êtres humains concrets, des frères et des sœurs qui sont nôtres, des hommes et des femmes, des jeunes et des personnes âgées, des enfants qui pleurent, souffrent et meurent, des êtres humains transformés en objet mis au rebut alors qu’on ne fait que s’évertuer à énumérer des problèmes, des stratégies et des discussions. ».

Protéger la vie humaine en toute occasion

Au cours de ces deux rencontres institutionnelles, le pape François a donc rappelé la doctrine de l’Église catholique, à savoir que ce qui est le plus important, c’est la vie humaine et la protection et l’épanouissement de toutes les personnes, y compris les exclus et les laissés-pour-compte.

Et parmi les préoccupations sociales, économiques et politiques, il a rajouté cette préoccupation écologique qui est devenu un point essentiel dans le développement de l’humanité. Historiquement, c’est peut-être l’Église catholique qui en a parlé le plus tardivement, mais elle le fait aujourd’hui avec une véritable force et une authenticité qu’on aimerait bien retrouver à travers le courant écologiste dans le paysage politique française…

Quand il a commencé son discours à l’ONU, il avait remercié ses interlocuteurs : « Merci des efforts de tous et de chacun en faveur de l’humanité ! ». Alors, j’aimerais remercier le pape François, moi aussi, de ses nombreux efforts pour défendre, d’une voix haute ce qui devrait être le bien universel le plus précieux, chaque vie humaine.

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