Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, veut la peau de la Grèce. Mais pour faire passer la pilule tant auprès des Grecs que des marchés, l’homme de fer de Berlin propose à la fois une restructuration de la dette (qu’il refusait jusque-là) et que la sortie soit seulement temporaire : au bout de cinq ans, la Grèce serait réadmisse dans l’euro. Une illusion ou un mensonge, c’est selon : la sortie du pays serait définitive.
Que la sortie soit « temporaire » ou non, elle implique de toute façon un retour à la drachme. Comme les liens avec la Banque centrale européenne seraient immédiatement coupés, le manque de liquidités conduira les banques grecques à l’effondrement : le gouvernement sera donc contraint de les nationaliser (cela ne lui coûtera qu’une drachme symbolique…) afin d’éviter leur disparition. Pour les recapitaliser, faute d’argent européen, il devra saisir en partie les comptes bancaires encore détenus sur place par les Grecs.
Dans le même mouvement, Athènes mettra fin à l’indépendance de la Banque centrale grecque afin de piloter l’émission de la nouvelle drachme, ce qui sera l’affaire d’un mois, deux maximum, sans doute au taux de une drachme=un euro. L’euro sera alors une monnaie sans cours légal dans le pays.
Mais la valeur de la drachme s’effondrerait rapidement sur le marché. Pour rappel, le peso argentin a perdu 80 % de sa valeur face au dollar en un an lors de la rupture du lien qui l’unissait au billet vert en 2001. En clair, le pouvoir d’achat des Grecs suivrait le même chemin, la balance commerciale grecque étant gravement déséquilibrée (Athènes importe son énergie, mais aussi des produits agricoles et bien sûr les produits manufacturés). L’inflation atteindra rapidement des sommets. Ce sera l’euthanasie des épargnants, mais aussi celle des petites gens qui n’ont pas planqué des euros sous leur matelas ou à l’étranger. Afin de défendre la valeur de sa monnaie et de juguler l’inflation, le gouvernement sera tentéd’augmenter les taux d’intérêt, ce qui étranglera davantage une économie déjà exsangue.
La bonne nouvelle est que la Grèce sera soulagée d’une partie du fardeau de la dette, Berlin offrant de la restructurer. Ce qui permettra ainsi au pays de se financer à nouveau sur les marchés. Mais à quels taux ? Quel investisseur sera prêt à prendre des risques dans un tel chaos ? En clair, soit la Grèce se contente de ce qu’elle gagne, soit elle enrichit les marchés… jusqu’à la prochaine faillite.
Le pire est que la drachme ne permettra que d’acheter des produits locaux et encore. A la différence de l’Argentine, la Grèce change de monnaie alors que son économie est totalement « euroïsée ». Et elle le restera : les entreprises, qui devront payer les importations non pas en drachmes dévaluées, mais en euros ou en dollars, exigeront d’être payées en euros. Or, les Grecs en ont énormément en leur possession. En claire, la vraie monnaie du pays restera l’euro. C’est le vieux principe de « la bonne monnaie chasse la mauvaise »…
L’économie informelle, qui représente déjà sans doute plus de la moitié du PIB grec, explosera (l’euro n’ayant pas cours légal, les transactions se feront sous la table), ce qui privera l’Etat grec de recettes fiscales. Le gouvernement devra prendre des mesures brutales de contrôle et de surveillance de l’économie et de la société, sinon la Grèce deviendra vite un « fail State », ce qui est autre chose qu’un Etat dysfonctionnel. Bref, il faudra plus de cinq ans au pays pour espérer se redresser après un tel choc. Les critères de Maastricht lui resteront pour longtemps inaccessibles (taux d’intérêt, inflation, déficit, dette, indépendance de la Banque centrale) et il faudra encore plus longtemps pour que ses partenaires la réadmette (à l’unanimité) dans une zone euro qui, si elle survit, aura frôlé la catastrophe à cause d’elle. Athènes, si elle sort, ne pourra pas lancer : « I’ll be back ».
N.B.: article (version longue) paru dans Libération du 13 juillet