Dans un sondage, seulement 3% des sondés voudraient la candidature de François Hollande et même si ce dernier était candidat, 81% des sympathisants du PS voudraient quand même une primaire socialiste pour 2017. Avec une telle impopularité présidentielle, Manuel Valls pourrait devenir le joker indispensable d’un PS en pleine décomposition…Le choix d’un Premier Ministre a toujours été l’une des décisions clefs d’un Président de la République sous la Ve République. Traditionnellement, le Président nommait deux Premiers Ministres par mandat, le premier plutôt issu de sa majorité parlementaire, très représentatif des partis qui le soutenaient, et le second, plus homme fidèle, pas forcément élu, pas forcément légitimé par les partis ou le suffrage universel (Georges Pompidou, Maurice Couve de Murville, Pierre Messmer, Raymond Barre, Dominique de Villepin). Cela évidemment n’exclut pas de très nombreuses exceptions, entre un François Mitterrand qui en a nommé beaucoup plus (trois à quatre par mandats) et Nicolas Sarkozyqui n’en a nommé qu’un seul, et c’est sans prendre en compte, bien sûr, l’exception des cohabitations.
L’erreur de l’option Ayrault
En ce sens, François Hollande a probablement raté son casting de mai 2012 : en choisissant carrément son double, il ne s’est pas autorisé une complémentarité dans le couple exécutif. Personnalités plutôt consensuelles, indécis, sans aucune expérience ministérielle, François Hollande et Jean-Marc Ayrault jouissaient sans doute d’une grande complicité et loyauté mais le Premier Ministre n’apportait quasiment rien au Président de la République alors qu’il fallait gérer au sein du gouvernement des ministres particulièrement encombrants : Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Christiane Taubira, Cécile Duflot, Vincent Peillon, Delphine Batho, etc.
La logique politique à l’issue de la victoire de François Hollande aurait dû mener à Matignon Martine Aubry, alors première secrétaire du PS et femme particulièrement appréciée à gauche (pour les 35 heures notamment) et très expérimentée dans les rouages de l’État (plusieurs fois ministre importante). Mais c’était sans tenir compte de la part psychologique des êtres.
La même erreur avait été commise par Jacques Chirac à l’issue de sa (triomphale) réélection en mai 2002 : ou il décidait de donner une véritable traduction de ses 82% et il proposait un large gouvernement d’unité nationale pour combattre le chômage sans arrière-pensée politicienne (c’était plus facile pour lui car il était à son dernier mandat), et dans ce cas, le choix de Jean-Pierre Raffarin aurait pu se justifier, ou, ce qu’il a finalement choisi, il restait sur une majorité uniquement circonscrite à l’UMP et alors, il aurait dû nommer à Matignon celui qui avait largement dominé la campagne présidentielle, à savoir Nicolas Sarkozy.
En nommant moins de deux ans plus tard Manuel Valls à Matignon, François Hollande a pris acte non seulement du manque d’autorité de Jean-Marc Ayrault mais également de son propre manque d’autorité, Les deux nouvelles têtes de l’exécutif ont au moins cet avantage de la complémentarité : Manuel Valls, homme qu’on dit volontiers autoritaire, sait se faire entendre et a eu une expérience significative Place Beauvau que n’avait pas eu son prédécesseur direct. Qu’on puisse le comparer à Nicolas Sarkozy avec un ou deux quinquennats d’écart ne serait certainement pas pour lui déplaire.
Qui dirige réellement la France ?
D’ailleurs, cette autorité, Manuel Valls semble l’exercer au-delà de ses ministres, même auprès du Président de la République, ce qui serait une première sous la Ve République.
C’est ce qu’il ressort d’une indiscrétion publiée dans « L’Express » le 14 mai 2014 et qui mérite donc toute la prudence du conditionnel.
L’actuel Ministre du Travail, François Rebsamen, ancien sénateur-maire de Dijon, était très remonté contre Manuel Valls. Depuis 2012, François Rebsamen voulait effectivement le Ministère de l’Intérieur mais ses propos en faveur de la dépénalisation du cannabis pendant la campagne présidentielle l’avaient écarté du poste convoité. Au moment de la formation du gouvernement Ayrault, il avait alors déclaré à son ami de trente ans François Hollande que s’il n’avait pas l’Intérieur, il n’entrerait pas au gouvernement.
Avec la nomination de Manuel Valls à Matignon, le poste se libérait naturellement. Manuel Valls avait déjà son propre candidat, Jean-Jacques Urvoas, l’actuel président de la commission des lois au Palais-Bourbon, pour faire barrage à François Rebsamen. Le 2 avril 2014, on a su le choix présidentiel : ni l’un ni l’autre, mais le hollandien Bernard Cazeneuve, ancien Ministre délégué aux Affaires européennes puis au Budget (successeur de Jérôme Cahuzac) qui, évidemment, n’était pas préparé du tout à être le « premier flic » de France. Ce n’est pas le premier (ni le dernier) à se retrouver à la tête d’un ministère auquel il n’avait même pas pensé.
Et l’hebdomadaire a retranscrit une conversation effrayante avant l’annonce officielle de la composition du gouvernement Valls. François Rebsamen aurait été très insistant auprès de François Hollande : « Tant que tu ne m’expliqueras pas pourquoi je ne peux pas avoir l’Intérieur, je n’accepterai rien d’autre ! ». La réponse présidentielle aurait été embarrassée : « Manuel t’expliquera. ».
Un autre échange aurait été encore plus éloquent sur l’influence de l’ambitieux Manuel Valls au sommet de l’État. François Rebsamen : « Quand le chef de l’État n’impose pas quelques choix personnels avant la formation d’un gouvernement, il se met en état de faiblesse vis-à-vis de son Premier Ministre. ». Et François Hollande d’avouer son impuissance : « Parce que tu crois que je ne suis pas déjà en état de faiblesse vis-à-vis de Manuel ? ».
Sous réserve d’une retranscription correcte de ce dialogue (fuite de la part de François Rebsamen ?), il est possible aussi que le Président ait joué volontairement l’impuissant pour justifier ses choix de personnes. Lors de la première cohabitation, en mars 1986, François Mitterrand avait accepté de mettre sur son refus le rejet par Jacques Chirac de François Léotard à la Défense ou de Jean Lecanuet aux Affaires étrangères. Il est des transferts de responsabilités assez commodes pour ne pas les assumer psychologiquement.
Valls et Montebourg
Au sein du Parti socialiste, il est maintenant patent que deux seules personnalités pourraient espérer avoir un avenir sur du long terme, une fois que les éléphants (François Hollande, Ségolène Royal, Martine Aubry, Bertrand Delanoë, Laurent Fabius) seront envoyés en maison de retraite : Manuel Valls, bien sûr, et Arnaud Montebourg. Ce sont les deux (seuls) poids lourds politiques du gouvernement. Ce n’est pas innocent que c’étaient les deux seuls de cette génération qui ont eu le « courage » d’être candidats à la primaire socialiste le 9 octobre 2011 alors qu’ils savaient qu’ils ne gagneraient pas. Si la décision de se présenter était prise dès le 20 novembre 2010 pour Arnaud Montebourg, Manuel Valls l’a prise seulement après l’éviction de Dominique Strauss-Kahn qu’il soutenait initialement très activement.
D’après « Le Nouvel Observateur » du 19 juin 2014, c’est d’ailleurs un « deal » entre Arnaud Montebourg et Manuel Valls, scellé en novembre 2013, qui aurait précipité la disgrâce de Jean-Marc Ayrault et l’avènement de Manuel Valls. Ce n’est pas pour rien qu’Arnaud Montebourg fut l’un des rares du gouvernement précédent à avoir élargi son champ ministériel en obtenant le Ministère de l’Économie avec son Redressement productif à Bercy. Nul d’ailleurs ne conteste que celui qui était à l’origine cantonné à la Justice s’est particulièrement investi dans sa tâche auprès des entreprises et malgré quelques déclarations à l’emporte-pièce (la politique n’est jamais loin), Arnaud Montebourg a, comme Manuel Valls, un véritable profil de « manager » (comme Nicolas Sarkozy, au contraire de François Hollande ou de François Fillon).
Mais selon toujours le même magazine, qui a titré un peu abusivement en page de couverture « La bombe Montebourg », certains laisseraient entendre qu’Arnaud Montebourg aurait programmé sa démission prochaine.
Toute son analyse proviendrait du résultat catastrophique du PS aux élections européennes du 25 mai 2014 (moins de 14% !) : si Arnaud Montebourg restait au gouvernement, il n’y aurait plus d’aile « gauche » qui pourrait relever la tête face à un FN très offensif.
Du côté de Matignon, on a, semble-t-il, minimisé cette rumeur et cette menace de démission que le ministre Montebourg aurait l’habitude de brandir à toute occasion. Mais il est clair que d’un point de vue politique, si Arnaud Montebourg n’opérait pas une action de différenciation comme l’avaient effectuée en son temps Jean-Pierre Chevènement ou même, plus récemment, Jean-Luc Mélenchon, il se ferait mécaniquement phagocyter par l’ambition de Manuel Valls.
Qui sera candidat en 2017 ?
La vraie inconnue sera l’identité des principaux candidats à la prochaine élection présidentielle en 2017. À ce petit jeu, le Front national a un tour d’avance puisqu’il n’est un secret pour personne que Marine Le Pen rempilera pour une seconde candidature.
Du côté de l’UMP, la personnalité qui aurait son investiture serait susceptible d’atteindre le second tour et d’être élu, que ce soit face au FN ou face au PS. Pourtant, aucune ne se dégage vraiment : si l’hypothèque Jean-François Copé est provisoirement levée, les velléités de l’ancien Président Nicolas Sarkozy restent fortes malgré un calendrier judiciaire peu favorable (en garde à vue ce 1er juillet 2014, puis mis en examen cette nuit pour corruption et trafic d’influence actifs la nuit suivante), et au-delà des petites ambitions d’anciens ministres UMP, deux personnalités se distinguent, peut-être prêtes à s’annihiler mutuellement, François Fillon qui poursuit un véritable travail programmatique et Alain Juppé prêt à revenir dans la course malgré son âge avancé (71 ans à l’élection de 2017). En d’autres termes, l’incertitude demeure.
Du côté des centristes, que ce soit le MoDem ou l’UDI, les perspectives sont d’autant incertaines que la forte montée du FN pourrait inquiéter plus que tout. Il n’est pas sûr que François Bayrou ait envie de se présenter une quatrième fois, et le retrait de Jean-Louis Borloo de la vie politique laisse un assez grand vide à l’UDI qui pourrait imaginer une primaire ouverte commune UDI-UMP mais cela risquerait de rompre sa fragile alliance avec le MoDem.
Au PS, l’identité du candidat de 2017 n’aurait en principe pas posé de problème si François Hollande avait été un Président comme les autres, c’est-à-dire, avec toute l’autorité et la stature reconnue des siens. Certes, certaines opérations d’envergure n’ont pas manqué de panache, en particulier la célébration du 6 juin 1944 ainsi que la mise en scène de son soutien à Jean-Claude Juncker qui aura fait énormément avancer la démocratie au sein des instances européennes en privilégiant le Parlement Européen sur le Conseil Européen (je n’insisterai jamais assez sur le fait que c’est un événement historique).
On voit bien que le couple de l’exécutif est particulièrement déséquilibré au profit du Premier Ministre. Ce n’est pas la première fois d’ailleurs, et on peut aussi citer Édouard Balladur qui était un Premier Ministre d’un très grand pouvoir en raison de la maladie présidentielle, ainsi que Dominique de Villepin qui avait une large capacité de manœuvre auprès d’un Président diminué par un accident vasculaire cérébral.
Mais Manuel Valls pourrait-il se présenter à la place de François Hollande en 2017 ? À titre de comparaison, il avait été émis une telle hypothèse en 2012, en raison de la trop grande impopularité de Nicolas Sarkozy, que ce dernier laissât la place à son Premier Ministre François Fillon. Mais les hommes sont ce qu’ils sont et croient qu’ils peuvent faire des miracles, qu’on leur donnera finalement raison.
François Hollande a tout de même levé un coin du voile le 18 avril 2014 lors d’une visite de l’entreprise Michelin : « Si le chômage ne baisse pas d’ici à 2017, je n’ai aucune raison d’être candidat ou aucune chance d’être réélu ! » avait-il susurré sans savoir qu’en mai 2014, la moyenne faisait état de 800 demandeurs d’emploi supplémentaires par jour, soit presque deux fois plus que le mois précédent (500 par jour).
Perspective qui ont réjoui le député-maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde (UDI) sur Twitter : « En évoquant l’idée qu’il pourrait ne pas se représenter en 2017, François Hollande a enfin trouvé un moyen de redonner espoir aux Français ! » (18 avril 2014).
Un sondage catastrophique pour Hollande
Justement, un sondage sur le sujet est particulièrement cruel pour le Président François Hollande. À l’annonce des résultats des élections européennes du 25 mai 2014, je m’étais permis de l’appeler « Monsieur 6% » en rapport avec le pourcentage d’électeurs inscrits qui s’étaient porté sur les partis qui appartiennent au gouvernement. Or, ce sondage le remettrait même à un niveau deux fois moindre, 3% !
En effet, le sondage réalisé par OpinionWay pour « Le Figaro Magazine » publié le 29 mai 2014 (téléchargeable ici), auprès de 2 502 personnes interrogées du 21 au 23 mai 2014 (donc avant les élections européennes), portait sur « le candidat du Parti socialiste à la présidentielle de 2017 » et est sans complaisance pour l’Élysée.
La question était de savoir laquelle des personnalités proposées les sondés préféraient comme candidat du PS en 2017. Et François Hollande n’arriverait qu’en troisième position pour l’ensemble des Français (toute opinion confondue) avec seulement …3% ! Martine Aubry (10%) et Manuel Valls (26%) seraient devant lui.
Évidemment, il est plus cohérent de ne prendre que l’opinion des sympathisants PS mais celle-ci serait à peine plus empathique : seulement 15% des sympathisants PS voudraient François Hollande comme candidat, contre 40% Manuel Valls et 16% Martine Aubry. Arnaud Montebourg serait très à la traîne avec seulement 3% des sympathisants PS (et étrangement, un peu plus, 4%, pour l’ensemble des Français, surtout soutenu par des électeurs de Jean-Luc Mélenchon en 2012).
Autre question qui ne trompe pas : le souhait que le PS organise une primaire pour désigner son candidat en 2017 (comme en 2011) même si François Hollande se représente. 81% des sympathisants la souhaiteraient tandis que seulement 65% de l’ensemble des Français.y seraient favorables.
En clair, il y a un réel rejet de la part même des sympathisants socialistes (et plus généralement de tous les Français) d’une nouvelle candidature de François Hollande qui ne doit son élection que par défaut en opposition à Nicolas Sarkozy.
Manuel Valls candidat en 2017 ?
Fort d’un tel sondage qui met le doigt sur la très grande fragilité de François Hollande, Manuel Valls pourrait en profiter pour faire avancer l’idée que sa propre candidature serait la meilleure solution électorale d’un PS en complète dilution.
Mais il resterait alors à convaincre François Hollande lui-même… et à ne pas dilapider son petit capital de sympathie après trois ans d’exercice du pouvoir à la tête du gouvernement.