La découverte d’un nouveau virus géant très différent des autres pourrait révolutionner la définition du vivant et mettre en évidence l’un des nouveaux fléaux qui guettent l’humanité en cas de réchauffement climatique.
Après l’explosion thermonucléaire globale, les catastrophes climatiques majeures, la météorite qui fonce contre la Terre, la conquête des Martiens (ou de tout autre être différent et inconcevable physiologiquement, araignées géantes, etc.), voici une nouvelle version de l’Apocalypse terrestre : l’invasion du monde d’aujourd’hui par des virus géants d’hier.
Cela pourrait faire penser à la bande-annonce d’un film catastrophe mais l’hypothèse est pourtant plausible maintenant. Des chercheurs ont réussi à mettre en « réveil » un virus géant vieux de… 30 000 ans. C’est la découverte annoncée le 8 septembre 2015 par la publication d’un article sur le Mollivirus sibericum (accessible ici) à la suite des travaux réalisés par un laboratoire du campus de Luminy, à Marseille.
Depuis qu’il y a un réchauffement climatique, le permafrost de Sibérie est en train de fondre. Cela permet quelques découvertes, comme des bébés mammouths congelés depuis 50 000 ans. Cela permettrait aussi de faire ressortir dans la nature des microorganismes congelés depuis des dizaines de milliers d’années, voire des centaines de milliers et même des millions d’années.
4 nouvelles espèces de virus géants
Ce n’est pas le premier virus géant découvert. C’est le quatrième. Le premier, appelé Mimivirus (famille des Megavirus), fut annoncé le 28 mars 2003 [B. La Scola et al., « A giant virus in amoebae », « Science », vol.299, n°5615, p.2033] par la même équipe sous la direction de Didier Raoult et Jean-Michel Claverie. Le caractère viral avait été détecté à partir d’un organisme récupéré en 1992 dans une tour de climatisation industrielle à Bradford, en Angleterre, et pris à l’origine pour une bactérie. Mimivirus pour « Mimicking microbe virus » mais aussi pour rappeler « Mimi l’amibe » dont le père, médecin militaire, de Didier Raoult avait imaginé les aventures lorsque ce dernier était enfant pour lui expliquer la théorie de l’Évolution.
La même équipe dirigée par Jean-Michel Claverie et Chantal Abergel, du Laboratoire Information génomique et structurale de Marseille associé au Laboratoire Biologie à Grande Échelle de Grenoble, au Génopole d’Évry, aux hôpitaux de Marseille, au CEA et à l’INSERM, avait découvert le 29 juillet 2013 une des deux espèces de Pandoravirus (l’une dans le sédiment d’un lac à Melbourne en Australie et l’autre dans les sédiments côtiers du Chili) qui totalisent environ un million de paires de bases et entre 1 500 et 2 500 gènes [N. Philippe et al., « Pandoraviruses : amoeba viruses with genomes up to 2.5 Mb reaching that of parasitic eukaryotes », « Science », vol. 341, n°6143, p.281].
Cette équipe avait aussi réussi à isoler le Pithovirus sibericum, à partir d’une carotte de glace vieille de 30 000 ans issue du permafrost sibérien. Le virus géant présentait alors des propriétés inédites [M. Legendre et al., « Thirty-thousand-year-old distant relative of giant icosahedral DNA viruses with a pandoravirus morphology », PNAS, vol. 111, n°11, p.4274 publié le 4 mars 2014].
Le Mollivirus sibericum
C’est aussi dans la glace à plusieurs centaines de mètres de profondeur du permafrost que les chercheurs ont dénicher le Mollivirus sibericum, privé d’oxygène, ce qui lui a procuré un « instinct » de conservation très élevé.
Le Mollivirus sibericum est donc le quatrième type de virus géant trouvé au monde. Les chercheurs ont pu le repliquer en infectant des amibes du genre Acanthamoeba. Heureusement, celui-ci n’est pas dangereux pour l’homme mais ce qui est particulièrement surprenant, c’est qu’il est de nouveau actif après 30 000 ans d’inactivité.
Avant la publication de l’article scientifique, les chercheurs l’ont passé à la moulinette très fine de la caractérisation, en particulier pour analyser son génome, ses ARN messagers (qui transforment les gènes en protéines), etc.
Sa taille est de six dixièmes de micromètre, ce n’est pas un record (détenu par le Pandoravirus ; le virus Ebola peut atteindre, lui aussi, un micromètre) mais c’est malgré très grand, plus grand que certaines bactéries. Son génome est lui aussi très complexe avec 651 523 paires de bases dans son ADN (DNA en anglais). Il faut rappeler que le virus de la grippeou celui du sida ne comportent qu’une dizaine de paires de bases, et le virus Ebola n’a que 19 000 paires de bases malgré sa taille.
Au contraire des précédents virus géants, le Mollivirus sibericum est très original. Après la multiplication, il récupère près d’une centaine de protéines (là, c’est un record) dont onze font partie des composants des ribosomes, ces usines à protéines situées dans le cytoplasme des cellules hôtes. Au contraire des ribosomes, les virus ne savent pas produire des protéines avec les informations de l’ADN. Cette originalité est encore très mystérieuse car on ne sait pas encore à quoi peuvent servir ces protéines.
Une collaboration réussie avec la Russie
Jean-Michel Claverie a expliqué pourquoi son équipe avait poursuivi ses recherches dans le permafrost sibérien : « C’était un pari. Après la découverte des premiers virus géants, nous voulions savoir s’ils étaient des exceptions, comme cette limace de mer capable de photosynthèse, ou bien s’ils représentaient de nouvelles familles d’organismes. Alors, nous cherchons partout où il y a des amibes puisqu’ils en sont des parasites. Et c’est le cas du pergélisol. ». La diversité des virus géants déjà mis en lumière montre que ceux-ci ne sont pas rares dans la nature. Et pas uniformes non plus.
C’est un laboratoire de l’Académie des sciences de Russie à Pouchtchino, près de Moscou, qui avait contacté Jean-Michel Claverie en 2012 après avoir découvert qu’une plante congelée depuis 32 000 ans avait pu « renaître ». Ils avaient aussi réussi à faire « renaître » des bactéries figées dans des sols datant de plus d’un million d’années. Spécialistes de l’étude des microorganismes dans le permafrost, ces chercheurs russes avaient proposé une collaboration avec les chercheurs marseillais pour rechercher des virus.
Vieux de 30 000 ans
C’est donc le second virus géant de plus de 30 000 ans (d’espèce et de genre différents) que cette équipe de biologistes marseillais a découvert dans le permafrost qui a su résister à une si longue période sans perdre son pouvoir infectieux et sa capacité de réplication.
Les deux virus de Sibérie sont très différents l’un de l’autre. Ainsi, le Pithovirus est très autonome car il se réplique dans le cytoplasme comme le virus responsable de la variole, alors que le Mollivirus a besoin du noyau de la cellule parasitée pour se répliquer, comme des virus courants (Papillomavirus, Herpesvirus, etc.). Par ailleurs, les deux virus géants ont des protéines inconnues mais très différentes l’un de l’autre. Plus qu’une découverte, c’est un champ d’horizon très étendu d’inconnus qui s’ouvre aux chercheurs.
Risques sanitaires ?
Pour l’instant, ces seuls virus géants ne sont capables d’infecter que des amibes dont ils sont les parasites, et l’homme ne risque rien. Mais rien n’interdit d’imaginer qu’il existe de nombreuses autres espèces de virus géant encore paralysées dans le permafrost qui ne demandent qu’à resurgir du passé, et qui pourraient infecter l’homme.
C’est cette inquiétude qu’il ne faut pas prendre à la légère, notamment en cas d’activités industrielles et de forage dans le permafrost, favorisées par une durée plus longue de dégel dans l’année, car cela pourrait faire apparaître de nouvelles maladies virales. Certes, 30 000 ans, à l’échelle de l’Évolution, c’est très faible et les virus géants de cette époque devraient être proches de ceux de maintenant ; de plus, l’homme devrait avoir développé des défenses immunitaires contre les « vieux » virus. Mais il pourrait y en avoir des nettement plus anciens, d’une époque antérieure à l’apparition de l’Homo sapiens.
En effet, les chercheurs russes ont maintenant la capacité de prélever sans contamination dans le permafrost des carottes de tourbe gelée remontant jusqu’à 3 millions d’années. L’équipe marseillaise poursuit donc ses investigations en remontant le temps.
Revoir la définition d’un être vivant
Au-delà de cette crainte d’une contamination nouvelle, c’est aussi une piste très intéressante pour conforter la thèse encore très discutable qui voudrait que les virus soient des êtres vivants. Or, ces virus géants, plus élaborés que certaines bactéries, seraient peut-être les restes d’organismes très anciens qui seraient très différents des trois branches connues du monde vivant, à savoir les archées, les bactéries et les eucaryotes (dont nous, homo sapiens, faisons partie aux côtés des autres animaux, végétaux, champignons, amibes, etc.). Ces trois branches ont pour ancêtre commun LUCA (last universal commun ancestor). Le Big Bang des paléontologues.
Cela signifierait qu’il aurait existé une quatrième branche dont les virus seraient les vestiges et qui n’aurait pas réussi à se développer comme les trois autres, les virus seraient alors réduits à se retrouver seulement des parasites des eucaryotes.
Une recherche donc passionnante qui vaudra peut-être les supputations nouvelles sur les origines de l’être humain, avec la découverte dans une grotte à Maropeng, près de Johannesburg, en Afrique du Sud, de nombreux ossements d’une nouvelle espèce d’hominidé, l’Homo naledi [Lee R. Berger et al., « Homo naledi, a new species of the genus Homo from the Dinaledi Chamber, South Africa« , publié le 10 septembre 2015], annonce qui va encore un peu plus désarçonner la réflexion sur le chaînon manquant. Mais c’est une autre histoire…