La « symphonie » grecque d’Alexis Tsipras

Photo Kostas Tsironis / REUTERS

En Grèce, où je viens de passer une semaine, personne ne doute qu’un accord («symfonia» en grec) sera trouvé avec l’Union européenne, la BCE et le FMI. Le syndicat communiste, le PAME, prépare même une manifestation pour protester contre cette «capitulation» attendue de la part d’un parti, Syriza, en qui il ne voit que la continuation du PASOK (socialiste) sous de nouveaux habits :

il ne manque aux affiches et aux tracts que la date de la manif, comme l’explique en souriant Nikolas Thodorakis, le secrétaire national chargé des relations internationales. De fait, l’accord est en vue : les négociations se sont accélérées ces dernières heures entre Athènes, Bruxelles et Washington.

On est loin, très loin, des déclarations matamoresques de l’immédiat après 25 janvier, date des dernières élections législatives grecques qui ont vu la victoire de la gauche radicale, lorsque Yanis Varoufakis, tout juste nommé ministre des Finances, expliquait au New York Times que son pays pouvait se passer des 7,2 milliards d’euros que devaient lui verser ses créanciers comme solde du second programme d’aide (1). Depuis, le principe de réalité s’est imposé à la nouvelle équipe : le pays est de nouveau en récession (0,5 % de croissance attendue pour 2015 contre 2,5 % avant les élections), les Grecs retirent en masse leur argent des banques locales (35 milliards d’euros en six mois), mettant en péril le système bancaire qui ne survit que grâce aux prêts de la Banque centrale européenne (BCE), les investissements, tant locaux qu’étrangers, se sont effondrés (-7,5 %), les exportations chutent, les banques ne prêtent plus à personne faute de liquidités et l’État a cessé de payer ses factures aux entreprises afin de pouvoir continuer à verser salaires et retraites…

Avant-goût de «Grexit»

Cet avant-goût de «Grexit», une sortie de la Grèce de la zone euro, a convaincu Alexis Tsipras qu’il lui faudrait en passer par un accord avec ses créanciers pour obtenir les fameux 7,2 milliards d’euros et éviter la faillite et surtout lancer la négociation d’un troisième programme, la Grèce n’ayant aucune chance de revenir sur les marchés avant très longtemps : on estime qu’il faudra encore prêter au pays environ 50 milliards d’euros pour assurer son financement jusqu’en 2030 et ainsi lui assurer une certaine tranquillité… Comme le dit le très raisonnable Georges Stathakis, le ministre grec de l’Économie, «la conclusion d’un accord est la seule voie, il n’y a pas d’autres possibilités».

Mais comment y parvenir sans risquer de se voir désavouer par son parti dont une grosse minorité est prête à tenter une sortie de la zone euro au nom des principes ? C’est tout l’enjeu de la partie d’échecs que joue actuellement Tsipras qui sait que l’accord sera beaucoup plus dur que ce qu’il espérait, notamment parce que le généreux système de retraite local sera touché — pourtant l’une de ses lignes rouges —.

Comme le rappelle Elias Nikolakopoulos, professeur de sciences politiques à l’Université d’Athènes et proche de Syriza, «Tsipras n’a pas été élu pour sortir de la zone euro : entre 75 et 80 % des Grecs veulent rester dans la zone euro, ce qui représente une lourde contrainte».

Autrement dit, un Grexit, même accidentel, se paierait très cher sur le plan intérieur. Pour faire porter la responsabilité d’un éventuel échec à ses créanciers, il les accuse, comme il l’a fait dans une tribune publiée par Le Monde.fr, dimanche, de faire preuve d’intransigeance. Mais l’objectif de ce «blame game» est en réalité double : il met aussi en scène sa résistance afin de montrer à son peuple qu’il s’est battu jusqu’au bout pour protéger la Grèce. «Tsipras parviendra à vendre un accord aux Grecs, je lui fais confiance», estime Nikolakopoulos qui connaît son homme.

La vraie bataille se joue au sein de Syriza

La vraie bataille, en réalité, est interne à Syriza qui reste, il ne faut pas l’oublier, une confédération de partis qui vont de l’ultra gauche (y compris violente) à la social-démocratie, le parti ayant recueilli de très nombreux transfuges du PASOK qui ont voulu survivre au naufrage de leur parti (dix ministres sur quarante en sont issus). Le rapport de force entre «fondamentalistes», si l’on peut dire, incarnés par la présidente de la Vouli, le parlement monocaméral grec, Zoé Konstantopoulou, et «réalistes», camp auquel appartient Tsipras, s’établit à environ 45/55. Le 24 mai, le comité central du parti a ainsi rejeté par 95 voix contre 75 une motion appelant à faire défaut vis-à-vis du FMI et donc à sortir de l’euro… Autrement dit, Tsipras est majoritaire au sein de Syriza, même si c’est de peu, et cela est fondamental, car ses statuts imposent une discipline de vote : si le comité central accepte l’accord trouvé avec les créanciers, les députés Syriza devront voter en sa faveur ou quitter le parti. «Cela n’évitera pas des déperditions», prévient Nikolakopoulos, «qui pourront aller de 4-5 à plus d’une dizaine».

Tout se jouera à la Vouli

Si Tsipras obtient un blanc-seing de son parti, le vote au sein de la Vouli ne sera en tous les cas pas problématique. Certes, il n’y dispose que d’une courte majorité de 12 sièges (sur 300), grâce à son allié, ANEL, un parti de droite radicale (13 sièges). Même en cas de déperdition, les 17 députés du centre gauche de To Potami (la rivière) ont déjà annoncé qu’ils voteraient l’accord tout comme une partie du PASOK (socialistes). Et Nouvelle Démocratie (droite) devrait s’abstenir. Mais s’il gagne au sein de la Vouli grâce aux voix de l’opposition, cela signifiera qu’il n’a plus de majorité, ce qui l’obligera à convoquer de nouvelles élections à la rentrée (en juillet et en août, les Grecs sont en vacances). Nikolakopoulos estime que de telles élections seront en tout état de cause nécessaires : George Papandréou, l’ancien premier ministre socialiste, n’avait pas voulu convoquer des élections anticipées à l’automne 2010 pour faire valider le premier mémorandum, ce qu’il a payé très cher, le PASOK ayant depuis été quasiment absorbé par Syriza. «Un référendum serait une autre solution, mais on sait très bien que la réponse sera aléatoire».

L’opération devrait être sans risque pour Tsipras : sa cote de popularité est importante et Syriza a, dans les sondages, près de 20 points d’avance sur ND, les électeurs conservateurs continuant à fuir leur parti… Bénéfice supplémentaire, il pourrait, au passage, se débarrasser d’une partie de son extrême gauche qui lui cause bien des soucis. Bien sûr, il faudra qu’il avance à pas comptés jusque ce rendez-vous électoral, toute réforme douloureuse pour telle ou telle partie de la population pouvant conduire au retournement d’un électorat particulièrement volatil. D’où l’importance de la mise en scène actuelle : il faut qu’il apparaisse comme le bouclier de son peuple, celui qui a évité des sacrifices trop importants. Le FMI, le plus dur des créanciers de la Grèce, devrait tenir compte des contraintes de politique intérieure grecque et lâcher du lest afin de permettre à Tsipras de gagner la délicate partie de politique intérieure qu’il mène.

(1) 1,8 milliard du Mécanisme européen de stabilité (MES), environ 2 milliards représentant des ristournes d’intérêts consentis par la BCE sur la dette grecque qu’elle détient et 3,2 milliards prêtés par le FMI.

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