Les bagages sont faits. Demain soir, je dormirai à Kampala… une petite semaine, puis retour au nid. Je ferai bercer mon chagrin par ma maman. Toute à la joie de la retrouver, elle, mes sœurs, ma famille… mais toute au chagrin de commencer à me demander… Que deviennent-ils ? Celles et ceux qui ont partagé ces neuf mois de vie.
La dernière bière bue sur les escaliers de ma chambre. Un doux moment sous le ciel somptueux de Jinja. Il n’y avait pas un nuage et, à la nuit tombée, les étoiles brillaient. Les ciels de Jinja me resteront comme un miroitement de couleurs. Des ciels qui savaient se couvrir de colère, se déverser sur un sol assoiffé, et s’apaiser aussi vite qu’ils avaient crevé.
Les soldats sont partis un à un, désertant la classe pour l’examen. Sur la pointe des pieds, avec ces beaux sourires que je rencontrais chaque matin. Bien sûr, nous avons échangé les adresses, bien sûr. Mais je sais ce qu’il en est de la vie et du temps qui effacent les traces sur le sable…
Déjà, s’inscrit comme une virgule nostalgique ces rires et ces grognements qui ont rythmé mes jours : les crocodiles dans la Seine, à Paris, que des étudiants rêvaient de voir ; ou encore la question du « groupe-vache », quand ils ont lu « le groupe-classe » dans un texte d’étude. Ces petits bonheurs d’un beau métier… ces petits malheurs des inéluctables adieux. Je reverrai quelques un d’entre eux à Kampala, avant de tourner la page. Parce que je ne sais pas si je reviendrai un jour, c’est loin l’Ouganda.
La vie est rude en Afrique, mais plutôt douce en Ouganda, si je compare avec les images d’autres pays. Mes étudiants étaient des militaires, ils iront, pour certains, sur des théâtres d’opérations, et, dans ce cas, à la guerre, du moins dans des pays en guerre.
Avec le temps, le chagrin naissant, que je ne réalise pas encore, s’atténuera. Ces petits gosses, dans les allées du camp, m’ont offert mon dernier « Mzungu, bye ! »… à Jinja. Demain, je dormirai à Kampala.
Déjà… que deviendront-ils ?