Car il n’est pas question de faire de cadeaux aux impétrants, chaque groupe politique se faisant un plaisir de passer sur le gril les commissaires surtout s’ils ne sont pas de son camp. Et, même s’ils sont aidés par les fonctionnaires de la Commission, il est difficile de pallier l’incompétence ou la bêtise de certaines personnalités en quelques jours. Surtout, nul n’est à l’abri d’un dérapage. Ainsi, en 2004, l’Italien Rocco Buttiglione, à qui José Manuel Durao Barroso voulait confier le portefeuille de la justice, des libertés et de la sécurité, a explosé en plein vol en affichant son homophobie et son machisme… Résultat, le président de la Commission a dû demander à Silvio Berlusconi de désigner un autre candidat. La Lettone Ingrida Udre, victime de son incompétence, a elle aussi été remplacée par Andris Piebalgs et le Hongrois Laszlo Kovacs est passé de l’énergie à la fiscalité… En 2009, la Bulgare Rumiania Jeleva, manifestement plus à l’aise sur les pistes de danse que sur les questions de développement, a dû laisser sa place à l’excellente Kristalina Georgevia.
Mais les commissions parlementaires compétentes chargées d’auditionner les candidats n’ont pas le pouvoir de demander le retrait d’un commissaire qui n’aurait pas convaincu. Elles livrent simplement une appréciation globale, sans plus. «Si on votait sur chaque commissaire, comme la tentation existe chez beaucoup de députés, on passerait à un régime d’Assemblée», explique l’eurodéputé français (UMP) Alain Lamassoure : «il ne faut pas aller jusque-là». En fait, c’est le rapport de force politique qui détermine le sort des commissaires les plus contestés. En effet, le président de la Commission doit estimer si le maintien de ces derniers risque de le priver d’une majorité (simple) lors du vote d’approbation de son collège. En 2004, Barroso, mal conseillé par son entourage, a tenté un passage en force, persuadé que les députés n’oseraient pas refuser l’investiture par crainte de provoquer une crise politique. Ce n’est qu’au tout dernier moment qu’il a pris conscience du danger et a donc demandé aux gouvernements le remplacement de deux commissaires. En 2009, il a su se montrer plus raisonnable…
Mais à l’époque, l’enjeu était, pour le Parlement, de montrer son pouvoir et de rappeler à Barroso, qui proclamait qu’il était «au service des États membres», que Commission dépendait aussi des élus… Aujourd’hui, la donne politique est totalement différente : pour la première fois, c’est le Parlement qui a imposé aux Etats la nomination du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker dont la famille politique (les conservateurs du PPE) avait gagné les élections européennes du 25 mai. Autrement dit, l’exécutif européen est désormais sans contestation possible l’émanation du Parlement, même si les commissaires restent encore désignés par les États. Dès lors, pratiquer le tir aux pigeons au risque d’affaiblir politiquement le nouvel exécutif serait contre-productif : les États n’aiment rien tant qu’une Commission faible et ils adoraient Barroso…
Autant dire que les auditions ne seront pas aussi sportives que par le passé d’autant qu’une grande coalition réunissant les conservateurs, les socialistes et les libéraux soutient Juncker : «même si la tentation est forte d’éliminer certains commissaires, la logique politique de la grande coalition devrait empêcher qu’on en arrive là», espère Alain Lamassoure. «Mais si les socialistes ne respectent pas les accords passés, prévient-il, alors on aura les mains libres. Si quelqu’un fait sauter un fusible PPE, un fusible PSE sautera»…
Cela étant, personne n’exclut le meurtre symbolique d’un ou plusieurs commissaires n’appartenant ni au PPE, ni au PSE. A Strasbourg, tout le monde pense au conservateur britannique Jonathan Hill dont le parti siège sur les bancs de l’ECR, un groupe politique marginalisé au sein du Parlement… Propulsé aux services financiers (et donc à l’Union bancaire), l’ancien président de la chambre des Lords est fortement contesté en raison de son passé de lobbyiste et des soupçons de conflit d’intérêts qui ont entaché son passage au ministère de l’éducation. La position de la libérale slovène, Alenka Bratusek, est elle aussi très fragile : elle s’est auto désignée commissaire alors qu’elle était Premier ministre et n’a plus le soutien du gouvernement de gauche issu des élections anticipées de juillet dernier: celui-ci tient même en réserve une remplaçante pour occuper son poste de vice-présidente de la Commission chargée de l’Union énergétique… Reste, dans ce cas, à voir comment réagiront les Libéraux.
L’équilibre de la terreur entre le PPE et le PSE devrait en revanche permettre à plusieurs personnalités contestées de passer entre les gouttes. C’est le cas du conservateur espagnol Miguel Arias Canete (changement climatique et énergie), qui a quand même pris soin de vendre toutes les participations qu’il détenait dans les compagnies pétrolières, du conservateur hongrois Tibor Navracsics, chargé du dossier éminemment symbolique de la culture, de l’éducation, de la jeunesse et de la citoyenneté ou du socialiste français Pierre Moscovici titulaire du portefeuille des affaires économiques et financières. Mais, encore une fois, les auditions réservent toujours des surprises.