Le nouveau gouvernement, dont la composition a été annoncée vendredi, va prêter serment samedi devant le roi. Les nationalistes flamands, qui ont emporté haut la main les élections législatives avec 33 % des voix, se taillent la part du lion dans les portefeuilles régaliens, ce qui est logique : finances, intérieur, défense (et fonction publique). Seules les affaires étrangères leur échappent, Didier Reynders conservant le poste. La N-VA obtient aussi l’asile et l’immigration (ce qui promet un tour de vis supplémentaire), la lutte contre la fraude et la présidence de la chambre des députés. Bart De Wever, le patron des nationalistes, reste, lui, en dehors du gouvernement, préférant conserver sa mairie d’Anvers conquise de haute lutte sur les socialistes flamands du SPA.
Charles Michel sait qu’il tente là un quitte ou double en s’alliant avec trois partis flamands, les chrétiens-démocrates (CD&V), les libéraux (Open-VLD) et, surtout, les indépendantistes de la N-VA de Bart De Wever, le diable absolu pour les Francophones (environ 40 % de la population). S’il échoue à contenir les revendications sécessionnistes flamingantes, à purger les finances publiques et à renouer avec la croissance, les Francophones ne lui pardonneront jamais d’avoir tenté cette aventure et son parti pourrait être rayé de la carte en 2019. Ce n’est pas pour rien que cette alliance a d’abord été baptisée « kamikaze » par la presse francophone. Il a fallu tout le talent des « spin doctors » du MR pour réussir à imposer le plus neutre « suédoise », en référence aux couleurs des quatre partis de la majorité.
Cette coalition, inédite dans l’histoire du pays, est née d’une humiliation infligée par le PS francophone, la principale force politique du sud du pays, au MR. Paniqué à l’idée de voir naitre un gouvernement des droites, tant au niveau des trois régions (de véritables États fédérés) qu’au niveau fédéral, le PS a formé début juin une majorité à Bruxelles et en Wallonie en s’alliant avec le centre-gauche du CDH, alors que le MR espérait gouverner, comme d’habitude, à tous les niveaux avec le PS.
Dès lors, le MR a voulu se venger et a ouvert la porte à un gouvernement des droites en acceptant de s’allier avec la N-VA, ce qui ouvrait la porte à une majorité où les francophones seraient largement minoritaires (23 députés MR sur les 63 du collège francophone dans une chambre qui compte 150 élus). Mais faire payer l’affront socialiste n’est pas la seule motivation des libéraux (et de ses alliés flamands non indépendantistes) : en constituant un gouvernement des droites, ils espèrent siphonner la N-VA, celle-ci prospérant surtout sur l’exaspération des Flamands face au refus des réformes des socialistes francophones, l’indépendance n’étant qu’un des sous-produits de cette exaspération. Dans cette optique, les réformes libérales seraient donc l’antidote à la N-VA.
La Belgique s’est ainsi réveillée jeudi en apprenant le recul de l’âge légal de la retraite de 65 à 67 ans (en 2030) et un gel temporaire des salaires. Mais ce libéralisme restera très tempéré, sous l’influence du CD&V : par exemple, il n’est pas question de toucher au très généreux système d’assurance chômage ou à une fiscalité sur le travail pourtant confiscatoire. Mais les syndicats et le PS sont d’ores et déjà l’arme aux pieds, ce qui annonce des lendemains douloureux… Les Flamands, eux, ne s’intéressent pas outre mesure à ce gouvernement : ce n’est pas un hasard si le CD&V a renoncé au poste de Premier ministre auquel il avait droit pour celui de commissaire européen, ce qui en dit long sur ses priorités…