Les manuels scolaires connaissent des mises à jour régulière. Rien d’étonnant, dès lors, que le savoureux pastiche de l’incontournable Lagarde et Michardconcocté par les « Tontons flingueurs de la littérature », l’écrivain et universitaire Pierre Jourde et l’éditeur Eric Naulleau (qui publia, notamment, Claudio Magris), bénéficie, lui aussi, d’une actualisation. Il est généralement admis, à cette occasion, de parler d’édition « revue, corrigée et augmentée » ; les deux compères préfèrent ici évoquer une « édition augmentée et aggravée ». La formule, judicieusement choisie, annonce sans détour le ton décapant du livre.
Cette troisième mouture du Jourde & Naulleau (Chiflet & Cie, 302 pages, 15 €) reprend la structure de la précédente, publiée en 2008 (dont il fut question dans ces colonnes). Comme dans le célèbre manuel, chaque auteur fait l’objet d’une notice biographique, suivie d’extraits de ses œuvres, d’exercices et de corrigés. La présence de notes de bas de page et d’une bibliographie confirme, si besoin était, la rigueur dont les deux pédagogues font preuve dans leur approche des littérateurs du XXIe siècle. Mais la comparaison se limite à cet aspect formel.
Car Pierre Jourde et Eric Naulleau ne s’appliquent pas, à l’opposé de leurs prédécesseurs, à présenter les écrivains prestigieux de leur temps ; leur choix se porte sur ceux qu’ils considèrent comme les représentants les plus emblématiques des fausses gloires des Lettres, des génies autoproclamés, des grands auteurs cathodiques, des plumitifs à la mode, des coqueluches de la critique officielle, des chevaliers de la boursoufflure, des vidames du néant, des grimauds dont les ouvrages doivent moins au talent de leur plume qu’à celui d’un directeur du marketing, sans oublier les révoltés de salon.
Le résultat, absolument hilarant, continue de faire grincer bien des dents dans les pages spécialisées de la presse, comme le prouvent les extraits de la « critique officielle » qui suivent la page de garde : « Absence totale de drôlerie » (Livre hebdo), « médiocre, volontiers grossier, jamais drôle » (Télérama), « la pensée est molle, le ton volontairement vulgaire, à la limite du pipi-caca » (Le Nouvel Observateur). On ne pardonne guère à ce duo de dissidents de mettre en lumière les postures des uns et les impostures des autres, d’autant qu’ils ne font pas secret de puiser quelques références chez Pierre Dac et Michel Audiard, lesquels n’ont jamais été en odeur de sainteté dans l’intelligentsia conformiste… Raison de plus pour se précipiter sur l’ouvrage : il est des blâmes qui valent tous les compliments.
Dès les premières pages, même s’il peut ne pas partager tous les agacements qui lui sont soumis, le lecteur découvre la dimension hautement comique de ce détournement. Car Pierre Jourde et Eric Naulleau ont le stylo vengeur et le bras séculier. Les aigles fondent sur les vieilles buses (et les moins vieilles) de la littérature contemporaines, de « A » (comme Olivier Adam) à « Z » (comme Florian Zeller), en passant, entre autres, par Christine Angot, Patrick Besson, Madeleine Chapsal, Philippe Labro, Bernard-Henri Lévy ou Dominique de Villepin.
Usant d’un humour au deuxième, voire troisième degré, d’une irrésistible causticité, de références subtiles et de charges sabre au clair, les deux malfaisants décortiquent les textes, soulignent l’écart qui existe entre leur médiocrité et l’enthousiasme qu’ils suscitent sous les plumes officielles, proposent des exercices aux corrigés corrosifs. La méthode irrévérencieuse se révèle d’une efficacité si redoutable que certains journalistes, dès la première édition, crurent que les extraits choisis, pourtant parfaitement authentiques, étaient des pastiches…
Dans le présent volume, les Tontons alignent quelques nouvelles cibles éparpillées, façon puzzle, notamment l’inénarrable François Bégaudeau et Christophe Conte. Certains exercices ont été ajoutés (en particulier pour Christine Angot, Anna Gavalda et Marc Lévy), des corrections ont été apportées (ici un prénom modifié, là un paragraphe supprimé, ajouté ou remanié) et des biographies complétées. Celle de BHL s’enrichit ainsi de quelques belles pages au vitriol se rapportant à Jean-Baptiste Botul, au désastre théâtral d’Hôtel Europe, à la pantalonnade libyenne (vite devenue déculottée). Autant d’évolutions et de variantes qui feront les délices des spécialistes de la critique génétique, qui ne manqueront pas de relever au passage la présence d’une poignée de coquilles à rectifier dans les tirages futurs.
Ce concentré de (délicieux) mauvais esprit, qui tranche avec la bien-pensance ambiante, assure à qui s’y plonge un excellent moment de lecture. Et l’on se demande quels nouveaux noms figureront dans la prochaine édition de ce Panthéon qui prend, plus que jamais, des allures de nécropole, sinon de cimetière des vanités.
Illustration : Raoul et Paul Volfoni, in Les Tontons flingueurs.