Brigitte Fontaine sur Off-TV lors de la présentation à Saint-Malo de son dernier disque « J’ai l’honneur d’être » (Universal)
NEWS NEWS NEWS Aujourd’hui produite par Universal, éditée par les Belles Lettres, consacrée par un documentaire (Brigitte Fontaine. Reflets et Crudités, 2013), invitée aux Bouffes du Nord, après avoir été un des figures de la scène underground française, l’écrivaine et chanteuse Brigitte Fontaine a connu entre les années 1979 et 1993 un long silence discographique et médiatique. Retour sur cette époque difficile pendant laquelle, insubmersible, elle n’a jamais cessé d’écrire.
Elle s’avance dans une lumière basse, ombre frêle et noire, portant une longue jupe de gaze et des brodequins, accompagnée par une guitare électrique. A ses pieds, entre les enceintes, sous les percussions, des centaines de souris blanches en plâtre envahissent la scène du théâtre des Bouffes du Nord. Le ton est donné…
Elle s’assoit à une table, éclairée d’un spot rouge, se saisit d’un feuillet pour lire un texte de sa voix grave, moqueuse et essoufflée. « C’est clair, tous les chemins mènent à ma nuit et je ne peux être sauvée que par moi, mais je ne m’appartiens pas car on m’a donnée. Je suis une flaque. » C’est un extrait de « Madelon », le monologue poignant d’une femme maltraitée, tyrannisée, qu’elle a écrit en 1978 (Seghers, 1979). Le public applaudit à tout rompre. Il s’est déplacé pour cela : retrouver la force des mots de Brigitte Fontaine, cette écriture à la fois cinglante et émouvante, jamais banale ni mièvre, toujours pleine de pépites, qu’elle distille depuis 50 ans au long de ses chansons et ses livres.
« Nymphette de plus de 20.000 ans », comme elle aime à dire, l’écrivaine et chanteuse Brigitte Fontaine connaît depuis les années 2000 un vrai « revival ». En 2001 et 2004, elle a obtenu deux disques d’or pour ses albums Kékéland (avec Noir Désir, Matthieu Chedid et Sonic Youth) et Rue Saint-Louis en l’île. En 2007, elle a chanté sur la scène du théâtre d’Angoulême pour le Festival international de la bande dessinée, elle s’est produite à l’Olympia entourée de Jacno, Arthur H, Christophe, Jacques Higelin et Jean-Claude Vannier, et elle a été invitée au Printemps de Bourges. En septembre 2013, elle a sorti son 18e album, J’ai l’honneur d’être(Universal).
« On a dit que j’étais folle, j’ai chanté « Je suis inadaptée », mais j’ai l’honneur d’être » résume-t-elle, rieuse, mystérieuse : une rencontre avec Brigitte Fontaine est toujours scandée de formules électriques – et un moment intense, tant la chanteuse fait de chaque entretien avec un journaliste une performance où elle improvise, part dans toutes les directions, s’amuse. Les treize chansons du disque grincent, émeuvent, tanguent. Elle avoue aimer fort la première, « Crazy Horse » : « Je m’appelle Lola. Je suis une paria. Une mudjahida. L’alpha et l’omega. L’ogresse seule et folle. Serpillère espagnole. »
De celle « Au diable Dieu », elle dit : « J’aime bien le titre. Le reste, c’est un peu n’importe quoi, mais je ne veux pas me dévaloriser ! ». Pourtant, le texte déménage : « Au diable Dieu. Ce vieux mafieux. Roi des bigots. Secte d’escrocs. De collabos. Niqueur d’ados. Brûleurs de vierges. Lécheurs de cierges. » Qui ose encore chanter avec une telle virulence aujourd’hui ?
Si elle est aujourd’hui produite par Universal, éditée par les Belles Lettres, consacrée par un documentaire (Brigitte Fontaine. Reflets et Crudités, de Thomas Bartel et Benoît Mouchart, 2013), invitée aux Bouffes du Nord, elle a connu entre les années 1979 et 1993 un long silence discographique et médiatique – ou, comme le dit son ami l’éditeur Benoit Mouchard, auteur d’une monographie de son œuvre (Brigitte Fontaine. Intérieur/extérieur, Le Castor astral, 2011), « les temps difficiles, mais jamais amers, de ce que certains ont appelé la traversée du désert »
DES HAPPENINGS LITTÉRAIRES ET CHANTÉS
Flash-back sur le début de cette longue éclipse, les années 1978-1979. A l’époque, Brigitte Fontaine et son compagnon, le musicien multi-instrumentiste Areski, son principal compositeur, sont deux figures de la scène underground française. Ils ont enregistré chez Saravah, en toute liberté, plusieurs disques exploratoires, réalisés sans moyens, parfois sur deux pistes, où Brigitte Fontaine fait du slam avant l’heure et où Areski préfigure la world music. L’un d’eux, Comme à la radio, enregistré en 1970 avec le groupe de free-jazz Art Ensemble of Chicago, est devenu un disque culte, qui a été réédité en 2013 pour les Etats-Unis.
Soutenu par quelques inconditionnels (Libération, Télérama, L’Echo des savanes), ignoré des grands médias, le duo tourne ces années-là dans de petites salles, des universités, des festivals, donnant lieu à des happenings littéraires et chantés. Le public est maigre. Leur dernier disque, Vous et nous (Saravah, 1977), ne marche pas, malgré l’extraordinaire texte dit par Brigitte Fontaine, Patriarcat, un poème féministe en prose accompagné au moog et au bandonéon. Il faut dire que, en cette fin des années 1970, les expériences alternatives, contestataires, hippies s’essoufflent.
En 1979, Areski et Fontaine, décidés à explorer des nouvelles sonorités, s’attellent à un nouveau disque avec le groupe de jazz-rock Edition spéciale. Les textes sonnent comme toujours, mais les chansons sont étouffées par l’orchestre. Brigitte Fontaine elle-même trouve le rendu final « toc ». C’est un échec. La vie devient difficile pour le duo. « Ils en ont mangé, des pâtes, ces années-là, se souvient Arthur H, le fils de Jacques Higelin. L’insuccès n’a rien changé pour Brigitte. Elle ne se laisse jamais abattre. Du moment qu’elle écrit, elle renaît, elle repart. Elle est comme une fleur qui exhale toujours son parfum particulier. »
Fin 1979, Brigitte Fontaine se lance dans l’écriture d’une pièce de théâtre, L’Inconciliabule. Elle le dit elle-même : écrire est sa manière de défier le destin. « Quoi qu’il m’arrive, j’écris. Ça me prend d’un coup, sans prévenir, que ce soit une chanson ou un livre. Ça vient de Dieu sait où… Je suis envoûtée, emportée, je guide le mouvement. Depuis le début, l’écriture est ma première passion.C’est le seul moment où je me sens libre. »
L’été 1980, sur un coup de tête, Areski et Fontaine « s’envolent » pour les Etats-Unis à bord du paquebot Queen Elizabeth, car Brigitte Fontaine déteste l’avion. Ils veulent tenter l’aventure au Canada, où le Théâtre Petit-Champlain les a engagés. Après un court séjour à New York – parfois problématique, car Brigitte déteste les ascenseurs –, les voilà au Québec.
Après une série de concerts, bien accueillis, ils partent pour Montréal tenter leur chance. Cela se passe mal : ils ne décrochent aucun contrat, bientôt ils regrettent d’être partis. Paris, les amis leur manquent. Brigitte Fontaine se souvient : « Je n’aime pas le Canada, ni le Québec, ni les Etats-Unis. Ce fut un voyage maudit ! » Benoît Mouchart tente d’expliquer ce rejet : « Brigitte et Areski ne voulaient surtout pas faire une musique de boîte de nuit, une musique qui “s’entend”. On “écoute” Brigitte Fontaine, on savoure les arrangements, le texte, sa présence. On peut comprendre qu’ils aient eu du mal à s’imposer aux Etats-Unis et à Montréal, en pleine fièvre disco. »
« MALGRÉ TOUT ASSEZ ZARB »
De retour à Paris, en novembre 1980, le duo se consacre à la pièce L’Inconciliabule, qui traite avec humour et férocité des relations entre les femmes et les hommes. Un texte « malgré tout assez zarb », sourit aujourd’hui Brigitte Fontaine, pour reprendre aussitôt : « Je l’aime, cette pièce. Denis Lavant l’a jouée, c’est dire ! Nous étions contents de faire du théâtre. Areski le premier, il est un acteur formidable. C’était une nouvelle expérience. » Ils jouent au Lucernaire, au New Morning, au festival « off » d’Avignon, puis, en 1981-1982, ils tournent dans toute la France. Mais les salles sont parfois presque vides. Des amis les rejoignent le temps de quelques chansons, comme Georges Moustaki au New Morning. Ils jouent en Belgique et en Suisse : cet éloignement des salles musicales et des studios va durer trois ans.
En septembre 1983, le Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, leur propose d’accueillir L’Inconciliabule pour trois semaines. Brigitte Fontaine voit là une occasion de se relancer comme chanteuse. Le couple prépare un spectacle, Welcome pingouin, qui entremêle des chansons et des extraits de leur pièce. La chanteuse déclare au Quotidien de Paris : « Nous voulons faire la même chose [qu’avant], mais déployée, plus visible, pour un grand nombre. Après avoir travaillé “ sous la terre”, vient un moment où tout doit être visible. » Ils croient à leur retour. Ils ont changé d’allure : fini le style bohème des seventies – cheveux courts et cuir pour elle, Areski a rasé sa barbe et porte galure.
Le duo fait appel à un groupe de rock, mais le soir de la première, les musiciens se révèlent tels des amateurs qui multiplient les effets larsen. C’est un nouvel échec. Nicole Courtois, l’ancienne femme de Jacques Higelin et la mère d’Arthur H, voit souvent Brigitte Fontaine à cette époque. « Elle et Areski n’avaient pas un rond, raconte-t-elle. Ils avaient des dettes. Ils ramaient. Mais ils ont toujours eu des amis qui les dépannaient et les admiraient. Brigitte aimait aller à l’Eau salée, une maison d’hôte près de Carpentras tenue par une proche. Là-bas, elle donnait un coup de main au restaurant, et surtout, elle continuait d’écrire. Elle n’a jamais cessé. Elle est comme une feuille sur une rivière, elle ne coule jamais. »
Début 1984, sur une musique d’Areski, Brigitte Fontaine enregistre un 45-tours sous son seul nom, Les Filles d’aujourd’hui (Carrere). Mais le disque, très mal diffusé, ne se vend pas. Du côté des professionnels de la musique, on la croit finie. Ancienne attachée de presse, Nicole Courtois estime qu’au cours des années 1980, Brigitte Fontaine n’est pas la seule à être oubliée des programmations et des journaux. « La chanson rive gauche, à texte, poétique, a été laminée. Les chanteurs engagés et régionalistes sont devenus tout à coup ringards pour les médias. Des gens comme Béranger, Maxime Le Forestier, Michel Jonasz et Gilles Servat, qui remplissaient les salles, ont beaucoup souffert. Quelqu’un comme Alain Bashung vivait dans la dèche avant son succès Gaby. Les radios, les journaux voulaient des têtes nouvelles, des “produits” nouveaux. Les auteurs ne les intéressaient plus. »
« LE TEMPS DES VACHES MAIGRES »
En mai 1985, une nouvelle chance s’offre au duo : le Théâtre de Paris leur propose de monter un spectacle de théâtre musical avec une dizaine de musiciens et un metteur scène. Brigitte Fontaine dit sa volonté de changement à la revue Paroles et musique (n° 50) : « Les spectacles où l’on s’amuse, où l’on rigole et l’ont fait ce qu’on veut, c’est fini. Donc, on va être obligé de faire des gros coups. Autrement, on ne peut plus survivre. » Les représentations sont cependant annulées. Quand on parle aujourd’hui de cette période difficile à Brigitte Fontaine – « le temps des vaches maigres et de clandestinité professionnellee », selon Benoît Mouchart –, elle répond : « A quoi ça sert de parler du passé ? Le passé, c’est crasseux. Le passé nous étouffe. Il nous empêche d’aller de l’avant. Il faut toujours continuer à aimer la vie et à créer. »
Ces années 1985-1986, à Paris, à la maison de l’Eau salée, Brigitte Fontaine écrit beaucoup. Un récit poétique, Paso doble (Flammarion), puis une pièce avec l’écrivaine algérienne Leïla Derradji, Les Marraines de Dieu – le dialogue drôle et lyrique de deux femmes se préparant pour aller au « bal des coquettes sales ». Le livre reste confidentiel, la pièce ne fait pas beaucoup d’entrées. Dans la monographie de la chanteuse, Leïla Derradji relativise cependant ces échecs. « Je trouve important de redire que, même dans la dérive la plus noire, Brigitte a gardé le souffle de l’inspiration : elle ne s’est jamais tarie. Ce qu’elle a vécu n’était pas une traversée du désert au sens propre. »
En 1987-1988, Brigitte Fontaine cherche à placer un nouvel album, French Corazon (EMI), où figure un morceau au nom surréaliste : Le Nougat. En vain. C’est alors qu’au printemps 1988, une jeune journaliste nippone, Reiko Kidachi, vient l’interviewer pour le Marie-France Japon, sans se douter qu’elle va changer le cours de la vie de la chanteuse. Francophile, cultivée, elle adore Brigitte Fontaine, bien distribuée au Japon. Au cours de l’entretien, elle découvre avec stupéfaction que personne ne veut produire son disque en France. Elle prend sur elle de contacter les maisons de production nippones. L’une d’entre elles donne rapidement son accord : elle enregistre le disque et organise un tour de Brigitte Fontaine au Japon. « La seule idée de prendre l’avion était un cauchemar, raconte la chanteuse. Mais j’étais bien obligée, il fallait faire ce disque. On était presque dans la misère à l’époque. Je dis “presque” parce que, la misère, je l’ai connue, bien avant, quand j’étais jeune – je veux dire ne pas manger pendant plusieurs jours. »
Après un traitement homéopathique et beaucoup de Valium, Brigitte Fontaine s’envole pour le Japon, enregistre l’album et donne huit concerts à Tokyo. Reiko Kidachi, aujourd’hui disparue, témoigne de son succès dans l’ouvrage de Benoît Mouchart : « La venue de Brigitte au Japon relevait de la légende, c’était un événement musical majeur. Les salles étaient pleines à craquer, on refusait du monde tous les soirs. »« Cela a duré deux mois, se souvient Brigitte Fontaine. Après Tokyo, on a pris le TGV pour Kyoto. J’ai eu le temps de ne rien voir – de toute façon, je n’ai pas une âme de touriste. Ensuite, on est arrivé à Nagoya, je crois. Et on a fini à Osaka, dans un club rock, une petite salle. Ça a été formidable ! On était tous comme des fous ! Les gens pleuraient et riaient en même temps de nous voir sur scène, et il y avait plein de monde dehors ! »
RETOUR DIFFICILE À PARIS
Malgré ce succès, le retour à Paris n’est pas très encourageant. Après les applaudissements, rien en vue pendant plusieurs mois. En octobre 1988, une ouverture : Brigitte Fontaine chante pendant trois semaines au Café de la danse, à Paris. Il faudra cependant attendre fin 1989 pour qu’EMI distribue le disque. Cette fois, les critiques sont élogieuses : Le Nougat devient le titre phare du disque. La peintre Olivia Clavel, figure du groupe de graphistes Bazooka, décide de réaliser le clip de la chanson. « J’adore Brigitte. C’est une fée, une poète de chaque instant, la princesse de l’île Saint-Louis. La maison de disque ne voulait pas avancer un centime, alors j’ai réalisé le clip gratuitement, à la paint box. » La chaîne M6 le passe sur « Boulevard des clips », où il rencontre un franc succès en 1990. Seul problème : la maison de disques ne fait rien pour promouvoir l’album. « Le clip n’était pas distribué, poursuit Olivia Clavel. Les petits cadres des maisons de disques avaient peur d’elle. Ils pensaient qu’elle était folle, alors qu’elle est juste incapable d’être hypocrite. Elle ne veut pas faire de concession avec son art. »
« Le Nougat », clip réalisé par la peintre Olivia CLAVEL
En 1991, Lionel Pradines, nouveau chef de produit chez EMI, tombe par hasard sur French Corazon en vidant le bureau de son prédécesseur. « Je pose l’album sur la platine, raconte-t-il dans la monographie de Brigitte Fontaine. Je réécoute Le Nougat, que j’avais entendu sur Nova, et je découvre Hollywood, Leïla, Folie furieuse, etc. Evidemment, c’était une claque. » Il décide de ressortir le disque, dans une pochette d’Olivia Clavel pour être raccord avec le clip. Et cette fois, Brigitte Fontaine renoue vraiment avec le succès. En 1992, le disque est réédité trois fois, remixé, assorti d’une reprise du titre D’ailleurs chanté avec Jacques Higelin. Elle remonte sur la scène du Bataclan en avril 1993. Son retour tant attendu a lieu. Mieux vaut tard que jamais : la presse salue son talent d’écrivaine, ses hauts et ses bas, et sa vie d’artiste…
Depuis, Brigitte Fontaine a conquis un public et acquis une reconnaissance méritée de poète : elle n’a plus disparu de la scène. Olivier Poubelle, son nouveau tourneur, le patron d’Astérios Spectacles, qui gère des salles parisiennes du Bataclan, la Flèche d’or, les Bouffes du Nord, La Maroquinerie et Les Trois Baudets, a ces mots : « Les artistes l’admirent. Peu ont cette constance, cette qualité sur la durée. Elle a fait très peu de concessions, c’est rare dans ce métier. Elle lui redonne sa noblesse. Pourtant, cela a été dur pour elle. L’auteur-compositeur Jean-Claude Vannier, qui a signé les arrangements de Que je t’aime (1969) pour Johnny Halliday et composé Histoire de Melody Nelson (1971) avec Serge Gainsbourg, dit d’elle : « Pour devenir un grand artiste, il faut se consacrer à temps complet à son art, sans hésiter. Il n’y a pas d’autre choix. Brigitte Fontaine fait partie de ces gens-là» .
« Brigitte Fontaine est l’un de nos grands poètes, renchérit le chanteur Matthieu Chedid, dit M, qui a repris sept de ses textes sur son album Mister Mistère(Barclay, 2009). Quand je cherche de la force littéraire, je fais appel à elle. Même quand elle écrit des textes crus ou féroces, elle reste élégante. Classique. Elle m’a fait dire des paroles que je n’aurais jamais cru chanter. »
M, Etienne Daho (voir l’entretien ci-dessous), Jean-Claude Vannier, Arthur H, Olivia Clavel et Benoît Mouchart, qui a supervisé son recueil de textes Mot pour mot, aux Belles Lettres (2011), disent tous la même chose : Brigitte Fontaine est une poète exceptionnelle, du niveau de Serge Gainsbourg. Certains la placent même plus haut, estimant qu’elle n’a jamais cédé à la facilité des jeux de mots, comme le Gainsbarre vieillissant. D’où la déclaration d’Arthur H : « Même au plus bas, elle ne s’est pas laissée atteindre, c’est ce qui m’impressionne le plus. C’est une leçon. »
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A écouter :
J’ai l’honneur d’être (13 chansons) de Brigitte Fontaine (Universal 2013).
French corazon de Brigitte Fontaine (EMI, 1990, rééd. 1999).
Salades de filles (11 chansons) de Jean-Claude Vannier (Alceste musique, 2014, 12 €).
L’Or d’Eros d’Arthur H (textes érotiques, avec le guitariste Nicolas Repas ( livret 52 pages inclus, 25,€, Naïve, 2014).
A lire :
Portrait de l’artiste en déshabillé de soie de Brigitte Fontaine (Actes Sud, 2012).
Mot pour mot de Brigitte Fontaine (Les Belles Lettres, 2011).
Brigitte Fontaine. Intérieur/extérieur de Benoît Mouchart (Le Castor astral, 2011).
A voir :
Brigitte Fontaine. Reflets et crudité de Benoît Mouchart (La Huit production, 2013).
Le chanteur-compositeur Etienne Daho a travaillé avec Brigitte Fontaine sur l’album Genre humain (Virgin, 1995). Par la suite, la chanteuse lui a écrit deux chansons – Jungle pulse et Toi jamais toujours. Il nous parle de leur collaboration et de son amitié pour elle
Comment avez-vous rencontré Brigitte Fontaine ?
C’était en 1984. Alain Maneval m’a invité dans l’émission au ton très libre qu’il faisait sur Europe 1 et il m’a demandé d’inviter des gens que j’appréciais. J’ai fait appel à Brigitte Fontaine, dont j’aimais les disques depuis longtemps – Brigitte Fontaine est folle (1968), bien sûr, mais aussi Comme à la radio (1969) et L’Incendie (1974). Je l’avais vue jouer avec Areski deux ou trois fois quand j’étais étudiant à Rennes. C’était toujours des moments de liberté, d’échappée… Surtout, au-delà du côté un peu délirant et surréaliste, il y avait l’écriture. J’ai tout de suite aimé les textes et le choix d’un parcours différent. Après l’émission, je suis allé déjeuner avec elle dans l’île Saint-Louis. C’est comme ça que tout a commencé.
Comment en êtes-vous venu à travailler avec elle ?
La première fois, c’était sur l’album Genre humain. Nous étions au milieu des années 1990, un moment compliqué, car elle n’avait plus de maison de disques. Mais elle venait de sortir Le Nougat, sa créativité était intacte ! L’idée a germé que ce soit moi qui prenne les rênes de quelques maquettes sur son prochain disque. J’ai choisi quatre ou cinq titres – Conne, Le Train, Genre humain. Je suis entré dans son univers en y amenant un peu de pop, d’autres couleurs… Elle m’a suivi, elle était contente d’explorer d’autres tonalités. Je faisais par ailleurs un petit matraquage chez Virgin pour qu’ils signent un contrat avec elle, ce qu’ils ont fait. A l’époque, Brigitte n’avait plus envie de confidentialité, elle voulait qu’on connaisse son travail. Le disque a bien marché.
Que diriez-vous du personnage ?
J’ai avec elle une relation de confiance très tendre, très douce. Beaucoup de gens ont peur d’elle ou la croient cinglée. Mais quand on travaille avec elle, Brigitte est très présente, elle maîtrise vraiment l’histoire. Parfois, souvent par malaise, elle fait de la provocation, parfois très drôle, parfois très embarrassante. Cela attire les gens des médias pour de mauvaises raisons, ils se disent : « Ça va être un grand moment de télé, elle va faire n’importe quoi ! » Cela m’énerve et m’attriste. C’est une artiste exceptionnelle, elle a du génie, c’est une Gainsbourg. Elle est au même niveau, plus haut même au niveau de l’écriture. C’est une littéraire absolue. Une classique d’aujourd’hui.
Que dire de son parcours, si atypique ?
C’est un parcours de liberté quoi qu’il arrive. Elle n’a jamais fait le choix de l’argent, ce qui est quand même assez rare ! Elle a choisi de suivre son chemin, qui peut sembler décousu – de la chanson, du théâtre, de l’écriture. Elle a fait des incursions douloureuses à la télé : en 2004, elle a fait une émission avec Marc-Olivier Fogiel (« On ne peut pas plaire à tout le monde ») qui lui donne encore des boutons. En 2002, Les Victoires de la musique, où elle a enfin été primée, ont été un cauchemar pour elle. Il y a dans son premier album une chanson intitulée Je suis inadaptée. C’est un peu ça, elle ne sait pas s’adapter au système.
Certains se sont moqués d’elle, à une époque. Maintenant, beaucoup l’admirent…
Parce qu’elle a un parcours admirable. La liberté et l’audace finissent toujours par payer, même si cela vient tard. Elle a aujourd’hui des fidèles qui connaissent sa valeur. Est-ce qu’elle aurait pu s’ouvrir davantage au public ? Après Le Nougat, peut-être, car certaines de ses chansons pourraient être populaires. Mais il me semble que, globalement, le grand public ne peut pas comprendre tout ce que fait Brigitte – ses poèmes, son théâtre, ses livres.
Elle a connu une longue éclipse ; comme l’a-t-elle vécue ?
Elle est toujours malheureuse de ne pas enregistrer. Elle a des choses à dire, une langue à elle, c’est une véritable artiste ! Elle a besoin que ses textes existent. Sa grande force, c’est sa créativité. Elle écrit vite, avec force, elle pourrait facilement faire deux ou trois albums par an. Elle a vécu durement ce silence. Elle était vraiment grisée quand ça a recommencé à marcher, dans les années 1990. Elle avait été méjugée, elle est aujourd’hui reconnue par la nouvelle génération : Bertrand Cantat, Matthieu Chedid ou Philippe Katerine ont travaillé avec elle.