Indépendance professionnelle et morale ; ou l’ingérence de la justice dans la médecine

« Redonnons un peu de fraîcheur au mot de dignité, ne réduisons pas la dignité à la dignité d’apparence. (…) La dignité est le respect dû à la personne : ne touchez pas l’Intouchable ! » (Philippe Pozzo di Borgo).

Affaire Vincent Lambert ou l' »ingérence » de la justice sur la médecine

Ce n’était pas une surprise car la rapporteure publique avait recommandé cette position lors de l’audience du 29 septembre 2015 : le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la requête d’arrêt des traitements de Vincent Lambert formulée par son neveu. Pour justifier cette décision, les juges administratifs ont considéré que les médecins du CHU de Reims qui s’occupent de Vincent depuis septembre 2008 avaient le droit de suspendre, comme ils l’ont fait le 23 juillet 2015, le processus d’arrêt des traitements, en vertu de leur « indépendance professionnelle et morale ».

Quelques jours auparavant, dans la matinale de France Inter le 6 octobre 2015, la Ministre des Affaires sociales Marisol Touraine avait même anticipé cette décision judiciaire en déclarant : « Aucune cour de justice n’impose à un hôpital d’arrêter des traitements. La CEDH a dit que c’était possible et l’hôpital a choisi jusqu’à maintenant de prendre un peu de temps. C’est cette situation difficile et douloureuse dans laquelle nous sommes. ». Par ailleurs, le 3 octobre 2015, le parquet de Reims a saisi un juge des tutelles pour Vincent Lambert.

Il y a depuis deux ans une certaine « ingérence » de la justice sur la médecine. Ce n’est certes pas vraiment une ingérence car heureusement, nous sommes dans un État de droit et les lois doivent s’appliquer et donc, en cas de contentieux, comme c’est le cas ici, gravement, pour la famille de Vincent, le droit doit s’appliquer et la machine judiciaire fonctionner. Mais on a toujours le tournis quand ce droit, si cher, si protecteur, en vient à demander à des juges, administratifs, d’apprécier des décisions médicales. À chacun son métier, juge et médecin, c’est très différent.

Je dis cela en sachant pertinemment qu’on pourra me répondre que le juge n’est pas non plus agent immobilier, banquier, vendeur, producteur, consommateur, etc. et pourtant, il a à juger sur de nombreux conflits dans tous les domaines. La petite différence, ici, c’est que la vie de Vincent est en jeu et est soumise à ces aléas de la justice. On pourra aussi me dire que c’est la justice qui l’a sauvé en mai 2013 lorsqu’une première procédure l’avait privé de nourriture et quasiment d’hydratation pendant un mois, ce qui a montré d’ailleurs une étonnante faculté de survie.

Le tribunal a donc statué sur le droit des médecins à interrompre une procédure d’arrêt de traitements, pas sur la pertinence, ou pas, d’arrêter les traitements. Or, l’arrêt des traitements, réclamé par le neveu en raison de je ne sais quelle idéologie de la culture de la mort, est fondé sur deux idées : l’acharnement thérapeutique et la volonté de Vincent.

Le problème avec Vincent, c’est qu’il n’est pas sous « acharnement thérapeutique » comme beaucoup continuent encore à le proclamer de façon mensongère sans l’avoir visité (à cet égard, la vidéo réalisée par un ami de Vincent est très significative) mais qu’il est en situation d’handicap complexe et de grande dépendance (comme mille sept cents personnes en France). Il n’a pas de machine pour respirer artificiellement. Il vit sans attirail. Son seul lien médical consiste régulièrement à se nourrir et à s’hydrater de manière artificielle (avec un tube dans l’estomac, qui n’est certes pas un dispositif anodin). On imagine bien que s’il n’a plus cette hydratation et nutrition artificielles, il mourra de faim et de soif. C’est élémentaire.

Et encore, d’après ses parents, Vincent commencerait à réussir à déglutir, ce qui lui permettrait de s’affranchir de la machinerie pour boire et manger, à condition qu’il puisse rééduquer ses gestes de déglutition dans les meilleures conditions. Ce qui ne semblerait pas le cas au CHU de Reims.

En fait d’acharnement thérapeutique, Vincent fait preuve plutôt d’une forte volonté à vivre, d’un acharnement à continuer à vivre, tant en résistant à un mois de jeûne (ce qui, dans son état, a relevé de l’exploit) qu’en cherchant à progresser dans la déglutition.

Pour ce qui est de sa volonté, il est faux de dire que Vincent a laissé une consigne particulière : en tant qu’infirmier, il connaissait l’existence des directives anticipées mais il n’en a rédigé aucune comme le propose pourtant la loi du 22 avril 2005. De même, il n’a désigné aucune personne de confiance qui aurait pu justement départager l’opposition entre son épouse et ses parents (entre parenthèses, je ne vois vraiment pas en quoi le neveu s’immisce dans ce conflit familial déjà difficile, à quel titre, celui de remettre de l’huile sur le feu ?).

Le seul fait apporté serait le témoignage de l’épouse qui affirme que Vincent lui aurait dit préférer mourir dans ce cas-là, ne pas subir d’obstination déraisonnable. Mais on permettra de douter de la sincérité d’un tel témoignage venu très tardivement, dans la mesure où, d’une part, comment prévoir un tel accident et surtout, pourquoi prévoir ce type d’accident et pas un autre ? et d’autre part, c’est le plus important à mon sens, pourquoi mettre en avant ce témoignage seulement en 2013, soit plus de quatre ans après l’accident et pourquoi avoir gardé son mari en vie pendant ces quatre années …contre sa propre volonté selon elle ? La réponse est sans doute dans la vie, très difficile, forcément, de cette épouse mais cela reste du domaine de l’intime et de la vie privée. Personne ne lui a reproché de ne plus avoir la force d’accompagner Vincent, d’autant plus que les parents sont désormais là depuis deux ans auprès de lui (ont même déménagé de la Drôme exprès pour cela).

Dans tous les cas, le doute doit se faire au bénéfice de la seule option non irréversible, à savoir, le maitien en vie qui n’a rien d’inutile parce qu’une vie, dans tous les cas, n’a aucune vocation utilitariste.

Vincent est victime d’une offensive d’idéologies croisées. Pourtant, la moindre humanité, ce n’est pas d’agiter des grandes idées, c’est de s’occuper de son sort particulier, unique, comme beaucoup d’accidentés de la vie. Personne ne répond à cette question que posent ses parents depuis plus d’un an : pourquoi Vincent ne peut-il pas être transféré dans une structure médicalisée spécialisée dans son type de handicap complexe ? L’absence de réponse ne paraît en tout cas pas être du domaine de l’humanitaire…

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