Hollande paralyse le couple franco-allemand

C’était au lendemain du 13 juillet, à l’issue d’un Sommet européen dramatique au cours duquel on a frôlé le « Grexit ».

Ébranlé par six mois de négociations tendues avec Athènes, conscient de l’image désastreuse donnée par une Europe qui aurait humilié la Grèce à la suite d’un « diktat » allemand, François Hollande, lors de l’entretien traditionnel du 14 juillet, a promis de s’attaquer aux dysfonctionnements de la zone euro, notamment en instaurant un parlement chargé de la contrôler et un budget propre destiné à venir en aide aux pays en difficulté. L’Élysée s’est ensuite activé auprès des médias, leur annonçant une grande initiative pour la rentrée qui s’inscrirait dans le cadre de la lettre franco-allemande du mois de mai appelant à un renforcement de la gouvernance économique de la zone. En septembre, lors de la conférence de presse semestrielle du chef de l’État, on a vu… En fait, on n’a rien vu, Hollande se concentrant sur la question des réfugiés. Une répétition de la séquence du printemps 2013 lorsque François Hollande avait déjà annoncé des propositions de  réformes de la zone euro qui ne sont jamais venues.

Depuis son élection, en 2012, le Président de la République joue au chat et à la souri avec le sujet européen par crainte à la fois de fâcher son partenaire allemand, qui a une vision de l’avenir européen radicalement différente, et, surtout, de relancer le débat hexagonal sur l’Europe dont il a vu, en 2005, qu’il échappait à toute rationalité et pouvait avoir des effets explosifs sur le PS. Il s’applique donc, depuis trois ans, à ne pas sortir des aimables généralités sur l’Europe, comme il l’a de nouveau fait mercredi à Strasbourg, devant le Parlement européen, où il a pris la parole avec la chancelière Angela Merkel sur le thème des valeurs européennes.

L’Élysée a prévenu : il n’y aura aucune annonce programmatique…

Ce mutisme présidentiel sur un sujet central de la vie politique donne l’impression que le couple franco-allemand est désormais déséquilibré au profit d’une chancelière qui sait ce qu’elle veut et surtout ce qu’elle ne veut pas. Autrement dit, alors qu’il y a une parole politique forte outre-Rhin, il n’y a aucune parole politique de même niveau dans l’Hexagone, même si Pierre Moscovici, lorsqu’il était ministre des Finances, ou Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie, ont avancé, en solitaire, une série de propositions : création d’un trésor européen et d’un budget de la zone euro, mutualisation d’une partie de l’assurance–chômage, parlement de la zone euro, convergence fiscale, ministre des Finances de la zone euro, présidence permanente de l’Eurogroupe (instance où siègent les ministres des Finances).

Bien que ces réflexions aient été menées avec le SPD allemand (socio-démocrates), il leur manque l’onction présidentielle pour devenir une base de négociations avec Berlin.

Même si Angela Merkel et son puissant ministre des finances, Wolfgang Schäuble, tous deux membres de la CDU (chrétiens-démocrates) estiment que la zone euro peut fonctionner en pilotage automatique, chaque pays devant se contenter de respecter le règlement de copropriété de la monnaie unique (le Pacte de stabilité), ils sont d’accord pour introduire un contrôle parlementaire et ne sont pas fermés à davantage de solidarité financière entre les pays de la zone euro. Mais à une condition : que ces innovations majeures passent par une modification des traités européens comme l’exige la Cour constitutionnelle fédérale allemande. Et  c’est là où ça coince : l’Élysée ne veut pas en entendre parler par crainte d’être obligé d’organiser un référendum. Le traumatisme de 2005 explique donc largement la prudence présidentielle.

Ces contraintes réelles ou supposées de politique intérieure ont donc remisé au placard les initiatives ambitieuses franco-allemandes, comme ont su en prendre Mitterrand-Kohl, Chirac-Schröder et, dans une moindre mesure, Sarkozy-Merkel. Pour autant, il serait inexact de croire que la France ne joue plus aucun rôle. Le gouvernement tente d’innover à « traité constant », comme le veut l’expression consacrée, c’est-à-dire sans se lancer dans un mécano institutionnel à haut risque. Paris a ainsi pesé avec succès pour que la Grèce reste dans la zone euro, alors que Berlin était favorable à une sortie ordonnée, et pour qu’elle bénéficie d’un troisième plan d’aide dont l’Allemagne ne voulait pas. En réalité, depuis le début de la crise de la zone euro, Berlin s’est montré d’une souplesse remarquable, acceptant à peu près tout ce qu’elle refusait d’abord, de la création du Mécanisme européen de stabilité (MES) à l’Union bancaire. Mieux, elle s’est accommodée de l’évolution doctrinale de la Banque centrale européenne (BCE) qui a jeté par-dessus bord l’héritage de la Bundesbank en rachetant à tour de bras les dettes publiques (60 milliards par mois). Autant d’évolutions qu’il n’a pas été facile de faire accepter par le Bundestag et l’opinion publique allemande rétive à une « Union de transferts ».

Le problème est qu’on arrive à la limite de l’acceptable pour l’Allemagne : les emprunts européens, par exemple, sont tout simplement contraire aux traités actuels selon Berlin, ce qui explique que Hollande, qui les avait défendus lors de sa campagne de 2012, les ait enterrés.

En outre, cette prudence du Président français devient suicidaire. Ainsi, pour ne pas modifier les traités, la France voudrait faire du Parlement européen limité aux députés membres de la zone euro l’instance de contrôle (forcément consultative sans modification des traités) de la zone euro. Le problème est que sa composition est tout sauf démocratique, les grands pays étant sous-représentés : alors qu’il faut 70.000 Maltais pour élire un député, 883.000 Français sont nécessaires… Enfin, ce refus de s’emparer du sujet européen laisse le champ libre aux eurosceptiques et aux europhobes qui peuvent à leur aise dénoncer cette Europe technocratique, égoïste et coupée des peuples.

N.B.: article paru dans Libération du 6/10

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