« Pour les grands jours, il faut que les sermons soient courts et que les saucisses soient longues. »
Ce vendredi 3 avril 2015, l’ancien Chancelier allemand Helmut Kohl fête son 85e anniversaire, l’occasion de revenir sur sa trajectoire. Colosse physique, dominant un quart de siècle de la vie politique allemande, il fut aussi un colosse politique européen issu d’une Allemagne pourtant naine politique et géante économique.
Dans son destin politique, celui dont le nom signifie « chou » en allemand a su saisir magistralement les occasions qu’il a rencontrées, et en particulier deux majeures : celle de la rupture d’une coalition par un petit parti qu’il transforma en deux semaines en désignation à la tête du gouvernement et bien sûr, celle, historique, de procéder en moins de onze mois à la Réunification des deux Allemagnes.
Homme d’appareil très tôt
À 16 ans, Helmut Kohl a adhéré à la nouvelle CDU, le parti démocrate-chrétien de Konrad Adenauer, qui venait juste d’être créée. Après des études de droit à Francfort et d’histoire et de sciences politiques à Heidelberg, il s’engagea dans l’appareil régional de la CDU de Rhénanie-Palatinat tout en menant un début de carrière managériale dans l’industrie chimique (Angela Merkel est docteur en sciences physiques). Il a soutenu à Heidelberg le 1er août 1958 sa thèse de doctorat en histoire portant sur les développements politiques dans la Rhénanie-Palatinat et la reconstruction des partis politiques après 1945.
À 29 ans, il remporta son premier mandat électif le 19 avril 1959 comme député du Land de Rhénanie-Palatinat (on pourrait dire l’équivalent de conseiller régional en France), puis un mandat municipal à Ludwigshafen (sa ville natale) en 1960, et aux élections régionales suivantes, le 31 mars 1963, il remporta la présidence du groupe CDU au Land qu’il conserva le 23 avril 1967, puis il est devenu le patron de la CDU dans le Land en 1966. Enfin, le 19 mai 1969, dauphin de Peter Altmeier (1899-1977), il fut élu ministre-président de la Rhénanie-Palatinat dans une coalition CDU-FDP (le FDP est le parti « libéral démocrate » qu’il faut comprendre dans le sens centriste), Land qu’il conserva jusqu’au 25 décembre 1976.
Leader national de la CDU dans l’opposition
Quelques mois plus tard, il fut propulsé avec une belle performance vice-président fédéral de la CDU (numéro deux) au congrès de Mayence le 17 novembre 1969. La CDU était alors présidée jusqu’au 4 octobre 1971 par Kurt Georg Kiesinger (1904-1988), ancien Chancelier du 1er décembre 1966 au 21 octobre 1969 battu par Willy Brandt (1913-1992) malgré la victoire relative de la CDU aux élections législatives du 28 septembre 1969 à cause du FDP qui avait préféré soutenir les sociaux-démocrates du SPD. Très vite, Helmut Kohl se retrouvait en rival interne de Rainer Barzel (1924-2006) qui, lui, était parvenu à se faire élire président fédéral de la CDU au congrès suivant, à Sarrebruck le 4 octobre 1971. Rainer Barzel échoua dans son opposition à Willy Brandt et perdit les élections législatives du 19 novembre 1992, si bien que Helmut Kohl fut élu assez naturellement à la présidence fédérale de la CDU au congrès de Bonn le 12 juin 1973 (avec 91,1% des mandats), fonctions dans lesquelles il fut reconduit sans discontinuité pendant plus de vingt-cinq ans, jusqu’au 7 novembre 1998.
Pendant encore plus de neuf ans, Helmut Kohl s’est bâti comme un leader incontestable de l’opposition face à la coalition SPD-FDP menée par Willy Brandt puis par Helmut Schmidt (96 ans), chanceliers. Aux élections législatives du 3 octobre 1976, candidat à la chancellerie, il permit à la CDU d’obtenir l’un de ses meilleurs scores depuis la guerre, avec 48,6% des voix et 243 sièges sur 496. Il était à six sièges d’avoir la majorité absolue et devenir Chancelier, mais le FDP resta dans la coalition avec Helmut Schmidt. Quittant ses fonctions régionales en Rhénanie-Palatinat, Helmut Kohl cumula la présidence du parti avec la présidence du groupe CDU au Bundestag (équivalent de l’Assemblée Nationale) du 13 décembre 1976 au 4 octobre 1982.
Aux élections législatives du 5 octobre 1980, il n’était pas candidat à la chancellerie et ce fut le tempétueux ministre-président de la Bavière, Franz Josef Strauss (1915-1988), de la CSU, qui fut choisi contre la volonté d’Helmut Kohl qui lui préférait le ministre-président de la Basse-Saxe Ernst Albrecht (1930-2014) et mena la CDU à l’échec électoral à cause d’une campagne beaucoup trop droitisante et incompatible avec le FDP. Après l’échec de Franz Josef Strauss, Helmut Kohl regagna très vite le leadership de l’opposition face à Helmut Schmidt.
Révolution de palais au Bundestag
Un événement le précipita même au pouvoir plus rapidement qu’espéré. Après un désaccord sur la politique économique, les centristes du FDP rompirent leur alliance avec le SPD le 17 septembre 1982 (la coalition avait duré près de treize ans). Helmut Kohl négocia alors rapidement un accord pour une coalition CDU-FDP et, à la suite d’une motion de censure, fut élu Chancelier de la République fédérale d’Allemagne le 1er octobre 1982 par 256 voix contre 235.
C’est l’un des cas institutionnels de renversement de majorité sans que le peuple n’ait eu droit au chapitre. Cependant, ce fut de courte durée puisque ce changement de coalition fut largement validé par les élections législatives anticipées du 6 mars 1983 avec une campagne sur fond de crise des euromissiles : la CDU remporta 48,7% et 244 sièges sur 498, la coalition avec le FDP obtenant 278 sièges soit plus que la majorité absolue (à noter que les Verts ont fait à cette occasion leur première entrée au Bundestag avec 5,6% des voix et 27 sièges). Il a fallu pour cela qu’Helmut Kohl organisât un échec à un vote de confiance au Bundestag le 17 décembre 1982, ce qui a conduit le 6 janvier 1983 le Président de la République Karl Carstens (1914-1992) à dissoudre l’assemblée et à convoquer des nouvelles élections (à ce jour, il y a eu trois dissolutions, avec celle du 23 septembre 1972 et celle du 21 juillet 2005).
Le FDP était dirigé par Hans-Dietriech Genscher (88 ans) du 1er octobre 1974 au 23 février 1985, et ce dernier fut d’abord ministre dans des gouvernements sociaux-démocrates avant de l’être dans des gouvernements démocrates-chrétiens : Ministre de l’Intérieur du 22 octobre 1969 au 16 mai 1974, puis Ministre des Affaires étrangères et Vice-Chancelier du 16 mai 1974 au 18 mai 1992 (fervent européen et partisan de l’amitié franco-allemande, il avait été également cité pour succéder à Jacques Delors à la Présidence de la Commission Européenne).
Chancelier de la Réunification allemande et de l’Union Européenne
En gagnant les trois élections législatives suivantes, celles du 25 janvier 1987 face à Johannes Rau (44,2% et 223 sièges ; avec le FDP, 269 sièges sur 497), celles du 2 décembre 1990 dans une Allemagne réunifiée face à Oskar Lafontaine (43,8% et 319 sièges ; avec le FDP, 398 sièges sur 662) et celles du 16 octobre 1994 face à Rudolf Scharping (41,5% et 294 sièges ; avec le FDP, 341 sièges sur 672), Helmut Kohl resta Chancelier pendant cinq législatures, jusqu’au 27 octobre 1998, soit un peu plus de seize ans, battant la longévité de Konrad Adenauer (du 15 septembre 1949 au 16 octobre 1963) et frôlant celle d’Otto von Bismarck (du 21 mars 1871 au 20 mars 1890).
Alors que l’Allemagne a toujours voulu être politiquement discrète dans le « concert des nations » en raison du passif de la guerre et de l’antisémitisme, Helmut Kohl a cherché à poursuivre l’amitié franco-allemande et la politique d’intégration européenne, seule stratégie possible pour renforcer l’économie européenne face aux États-Unis et aux pays émergents. Le 22 septembre 1984, Helmut Kohl s’est recueilli avec le Président français François Mitterrand à Verdun, les deux ennemis d’hier se tenant même la main par geste très symbolique.
La principale réalisation d’Helmut Kohl au pouvoir fut évidemment sa grande lucidité sur ce qu’il se passait à l’Est. Dès la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, Helmut Kohl a fait accélérer le déroulement de l’histoire en réalisant la Réunification de l’Allemagne en moins de onze mois, le 3 octobre 1990, malgré les réticences françaises. L’accord s’est conclu ainsi : la France soutenait la Réunification en échange de quoi l’Allemagne reconnaissait les frontières actuelles avec la Pologneet acceptait la fin du Deutsch Mark, sa monnaie forte, pour faire la monnaie unique européenne (l’euro) dont la banque centrale serait à Francfort. Auparavant, Helmut Kohl avait pris une décision politique majeure, bien qu’économiquement imprudente, la parité des deux marks, ouest-allemand et est-allemand, pour ne pas accroître les inégalités sociales entre les deux territoires.
Le principe de l’euro, tant vilipendé aujourd’hui, était le principal élément du Traité de Maastrichtsigné le 10 décembre 1991 (un an après la Réunification) et qui fut ratifié démocratiquement par le peuple français le 20 septembre 1992 par 51,0% des Français (avec 69,7% de participation). Il faut le rappeler et insister ; l’euro n’a pas été imposé aux peuples, il a été adopté en France de manière démocratique et populaire et à la suite d’un véritable débat public contradictoire dont les principaux protagonistes furent François Mitterrand et Philippe Séguin.
Le combat de trop
L’Allemagne avait cependant à faire face à une profonde crise économique pour « absorber » les conséquences sociales de la Réunification, pendant la décennie 1990, si bien que le chômage a beaucoup progressé au fil des années. Devenu de plus en plus impopulaire, avec plusieurs défaites régionales, Helmut Kohl a cependant voulu mener les élections législatives du 27 septembre 1998 qui furent un échec sans appel : la CDU n’a eu que 35,5% des voix et 245 sièges, la coalition CDU-FDP ne rassemblant que 288 sièges sur 669. Gerhard Schröder (70 ans) fut élu Chancelier le à la tête d’une coalition SPD et Verts le 27 octobre 1998 et le resta jusqu’au 22 novembre 2005, auquel a succédé l’actuelle Chancelière Angela Merkel.
Le dauphin politique d’Helmut Kohl eut des fortunes diverses, Wolfgang Schäuble (72 ans), et est encore l’actuel Ministre fédéral des Finances. Quant à Angela Merkel (60 ans), originaire de l’Allemagne de l’Est, elle fut longtemps la jeune protégée d’Helmut Kohl mais sous-estimée par lui.
Helmut Kohl a quitté définitivement le Bundestag le 22 septembre 2002 après quelques années de mise en cause dans des scandales politico-financiers de la CDU. Ne supportant plus sa maladie, son épouse Hannelore s’est suicidée le 5 juillet 2001. L’ancien Chancelier s’est par ailleurs retrouvé bloqué, le 28 décembre 2004, dans le tsunami qui a ravagé l’océan Indien.
Entré dans les livres d’histoire
Helmut Kohl a publié deux tomes de ses mémoires, le 4 mars 2004 (1930 à 1982) et le 3 novembre 2005 (1982 à 1990). Sa postérité sera aussi importante que celle de Bismarck (1815-1898), l’autre réunificateur de l’Allemagne, et celle d’Adenauer (1876-1967), le pacificateur par l’amitié franco-allemande. Pas sûr qu’Angela Merkel, habile bénéficiaire des réformes économiques de son prédécesseur Gerhard Schröder, puisse bénéficier d’une telle marque de reconnaissance dans l’histoire de l’Allemagne.
Avec le pape Jean-Paul II, le Président américain Ronald Reagan et le Président soviétique Mikhail Gorbatchev, Helmut Kohl a façonné la transition entre la guerre froide et un monde multipolaire qui cherche à se structurer autour de grandes entités économiques plurinationales. Helmut Kohl aura contribué à renforcer les pays européens en acceptant la monnaie unique européenne, faisant de l’Europe la première puissance économique du monde.
Victime d’un accident vasculaire cérébral il y a plus de cinq ans, qu’il accepte à l’occasion de son anniversaire, de la part du modeste Européen que je suis, mes remerciements émus pour l’œuvre historique qu’il a accomplie et mes vœux de meilleure santé possible pour sa retraite bien méritée.