C’est la stratégie du faible au fort : la Grèce est persuadée que ses créanciers sont terrorisés par la perspective d’un « Grexit » qui ne pourrait qu’aboutir à l’explosion de l’euro et entraîner le monde dans un nouvel hiver économique. Ils n’ont donc d’autres choix que de lui faire des concessions, sauf à couler avec elle. En face, la zone euro et le Fonds monétaire international (FMI) sont tout aussi persuadés que le gouvernement d’Alexis Tsipras ne tentera jamais un défaut de paiement – suivi d’un retour à la drachme-, car cela se traduirait par un cataclysme pour l’économie locale et une colère de son peuple qui ne l’a pas élu pour cela.
La zone euro se sent d’autant plus en position de force qu’elle ne craint plus vraiment la chute du petit domino grec (2 % du PIB de la zone), car elle s’est considérablement renforcée en cinq ans. Si en 2010, la Grèce était un problème européen, en 2015, c’est un problème gréco-grec, pense-t-on dans les capitales européennes. On saura vite qui a raison : si aucun compromis n’est trouvé dans les prochains jours, Athènes sera en faillite le 30 juin.
En réalité, personne ne sait ce qui se passera en cas d’échec des négociations entre la Grèce et ses créanciers, la réaction des marchés étant par nature imprévisible. En septembre 2008, les autorités américaines assuraient ainsi à leurs partenaires que la faillite de Lehman Brother’s n’aurait aucune conséquence puisqu’il s’agissait d’une banque non systémique. On a vu… Autrement dit, jouer avec le « Grexit », c’est jouer à la roulette russe avec l’économie mondiale.
Que Syriza ait adopté dans les négociations avec ses créanciers une position très idéologique, marquée par une méconnaissance des contraintes diplomatiques et financières européennes et mondiales, n’est pas une surprise. Composée d’environ 45 % d’antieuropéens, cette confédération de plusieurs partis de gauche radicale voit dans le FMI et l’Europe une force d’occupation étrangère qu’il convient de défaire… Mais on aurait tort de ne voir que cette crispation idéologique là.
Car le FMI est tout aussi caricatural que Syriza, même s’il a su le dissimuler en militant pour la restructuration de la dette grecque (mais, bien sûr, uniquement pour la partie détenue par les Européens…). De fait, c’est lui, et non la zone euro, qui exige la réforme immédiate de l’intenable système de retraites, l’assouplissement du marché du travail ou le passage de 11 % à 23 % de la TVA sur l’électricité, déjà l’une des plus chères d’Europe. On voit qu’on est là dans la théologie ultralibérale la plus pure : pourquoi ne pas laisser la Grèce choisir ses priorités à condition qu’elle parvienne à équilibrer son budget ? Si elle veut financer ses retraites au détriment de l’éducation, des investissements ou de la santé, qu’elle l’assume vis-à-vis de son opinion publique.
Qui cédera le premier dans cet affrontement ? Tsipras, quitte à perdre le pouvoir ? Le FMI, quitte à renforcer Syriza qui apparaîtra comme le grand vainqueur de ce bras de fer ? Ou aucun des deux, quitte à faire exploser l’euro ?