Grandeur et décadence de Bernard Tapie

« Arrêtons de trouver sans cesse des excuses aux électeurs du FN. Arrêtons de dire que Le Pen est un sal*ud mais que ses électeurs doivent être compris, qu’ils ont des problèmes difficiles. Si l’on juge que Le Pen est un sal*ud, alors ceux qui votent pour lui sont aussi des sal*uds ! ».

Puis, lisant une déclaration de Le Pen : « « En favorisant par trop les handicapés et les faibles dans tous les domaines, on affaiblit le corps social en général. On fait exactement l’inverse de ce que font les éleveurs de chiens et de chevaux. » : Celui qui, à ces mots, décide encore d’aller voter Le Pen, j’appelle ça un sal*ud. Et je continuerai jusqu’à la fin de mes jours à appeler ça un sal*ud. » (Bernard Tapie, début 1992).

C’est ce mardi 29 septembre 2015 qu’en principe, un nouveau procès démarrera avec en vedette inquiète le célèbre entrepreneur déchu puis réhabilité. Bernard Tapie est venu d’un milieu défavorisé et s’est enrichi dans les affaires grâce à son bagou incroyable, à sa capacité à convaincre, à bluffer, à s’endetter aussi. Loin d’être un vrai industriel (« capitaine d’industrie »), il a surtout flairé les bon coups. Touche-à-tout, entrepreneur, chanteur, pilote automobile, animateur d’émission télévisée, dirigeant sportif (football, voile et cyclisme)… il fut même homme politique.

L’audace, il l’avait déjà démontré avec ses multiples aventures d’entrepreneur, de l’assistance aux personnes à insuffisance cardiaque (une idée très novatrice) au rachat de la marque Manufrance. Il a même réussi à acheter en 1979, très en dessous de leur valeur, les châteaux de l’ancien empereur du Centrafrique Jean-Bedel Bokassa (vente finalement annulée le 10 décembre 1981). Il s’est ensuite spécialisé dans le rachat à très faible prix des actifs des entreprises en dépôt de bilan, en renégociant très favorablement leurs dettes, en réduisant leur masse salariale et en diversifiant leur marché. Ainsi, pour l’achat à un franc symbolique, Bernard Tapie a pu revendre avec une forte plus-value des entreprises comme La Vie claire en 1980, Terraillon en 1981 (revendue 125 millions de francs en 1986), Look en 1983 (260 millions de francs en 1988), Testut en 1983, Wonder en 1984 (470 millions de francs en 1988), Donnay en 1988 (100 millions de francs en 1991), etc.

Et aussi Adidas acheté en juillet 1990 pour 1,6 milliard de francs et revendu 2,085 milliards de francs le 15 février 1993. C’est à cause de cette revente d’Adidas réalisée par le Crédit Lyonnais que l’affaire qui a engendré le procès de cette semaine a lieu.

Bombardé dans l’arène politique

François Mitterrand fut littéralement fasciné par ce beau parleur qui n’avait peur de rien, cet audacieux qui faisait confirmer le vieil adage sur la fortune (sa première rencontre date de fin 1987 par l’entremise de Jacques Séguéla) et il lui a donné une place prestigieuse au sein de la République, Ministre de la Ville dans son dernier gouvernement personnel, celui de Pierre Bérégovoy. Il ne l’a pas été longtemps, en raison d’une mise en cause judiciaire : du 2 avril 1992 au 23 mai 1992 puis du 26 décembre 1992 au 28 mars 1993.

L’homme ne manquant ni d’idées, ni d’audace, ni d’énergie, son maroquin n’était pas forcément immérité. Il avait même acquis une légitimité électorale grâce à la gauche. Il avait été élu député à Marseille en 1989 avec 50,9% des voix grâce à une élection partielle, détrônant le député PR sortant, Guy Tessier, dans une terre déjà à l’époque très fertile pour le Front national (son suppléant fut le professeur Jean-Claude Chermann qui siégea à l’Assemblée Nationale lorsqu’il fut ministre). Il fut réélu à Gardanne dans une autre circonscription (la 10e au lieu de la 6e des Bouches-du-Rhône) le 28 mars 1993 avec seulement 44,5% des voix à la faveur d’une triangulaire provoquée par le maintien du candidat du FN (il a dû démissionner le 5 septembre 1996 à cause de son inéligibilité et lors de l’élection partielle, Bernard Kouchner a tenté en vain de prendre la succession). Il avait aussi mené la bataille des élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur le 22 mars 1992 (il a dirigé la liste des Bouches-du-Rhône et le professeur Léon Schwartzenberg, celle des Alpes-Maritimes) : ses listes ont échoué face à celles de Jean-Claude Gaudin, président sortant du Conseil régional de PACA qui fut réélu. Il a également été élu conseiller général des Bouches-du-Rhône le 27 mars 1994 avec 68% des voix.

En pointe contre le FN …et contre Rocard

André Bercoff a raconté notamment le courage politique de Bernard Tapie, celui en 1992 d’aller à un meeting du FN à Orange, en présence de Bruno Gollnisch, s’y faire huer et finalement y prendre la parole. Il leur avait alors tenu des propos que les gens dans la salle avaient appréciés. Il leur disait qu’il ne fallait plus de nouveaux immigrés et qu’il fallait les renvoyer en bateau et couler les bateaux : « On prend tous les immigrés, hommes, femmes, enfants. On les met sur des bateaux, et on les envoie très loin d’ici. [Acclamations de la salle]. Et quand ils sont assez loin, pour être sûr qu’ils ne reviennent pas, on coule les bateaux. [Acclamations de la salle] ».

Toute la salle a applaudi. Alors Bernard Tapie a repris son sérieux en disant que c’était à cause de ces applaudissements en faveur d’un quasi-appel au meurtre qu’il s’était engagé résolument contre le FN : « Je ne me suis pas trompé sur vous. J’ai parlé d’un massacre, d’un génocide, de tuer hommes, femmes et enfants. Et vous avez applaudi. Demain, au moment de vous raser ou de vous maquiller, lorsque vous vous verrez dans la glace, gerbez-vous dessus ! ». Cette anecdote prend d’autant plus de relief qu’il y a aujourd’hui des dizaines de milliers de personnes qui meurent de traverser la Méditerranée dans des conditions précaires.

Cela a aussi donné quelques duels épiques (et sans réel intérêt politique) entre Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen que personne (à part Bernard Stasi) n’osait affronter à la télévision (en septembre 1989 sur TF1 ; le 1er juin 1994 sur France 2, etc.).

Instrument précieux dans la manœuvre mitterrandienne pour éliminer la candidature inévitable de Michel Rocard à l’élection présidentielle suivante, Bernard Tapie a joué les trouble-fête aux élections européennes du 12 juin 1994 en terrassant le PS dirigé justement par le perpétuel rival de François Mitterrand. En tout cas, même si ce n’était pas dans ses intentions premières, sa mission avait été remplie au mieux : en raflant 12,0% des voix aux européennes, sa liste avait laminé le PS en faisant chuter la liste menée par Michel Rocard à …14,5%, soit plus de 11% de retard sur la première liste, celle menée par Dominique Baudis(« un missile nommé Bernard Tapie tiré depuis l’Élysée »). Cela aurait même pu lui donner quelques ailes pour concourir à la course élyséenne, sauf que là, c’était du sérieux, ce n’était plus pour des petits joueurs comme Pierre Dac en 1965, Coluche en 1981 ou Yves Montand pour 1988.

Noyé dans les affaires judiciaires

D’ailleurs, il n’en avait plus les moyens, de se présenter à l’élection présidentielle d’avril 1995, ni non plus de se présenter aux municipales de juin 1995 à Marseille (le vrai objectif pour éviter la première élection de Jean-Claude Gaudin), car il fut abattu par une série d’affaires judiciaires (financières et sportives) l’a conduit à être en faillite personnelle à partir du 25 mars 1994 (par l’action du Crédit Lyonnais qui l’a noyé financièrement et qui l’a ensuite assigné en redressement judiciaire), à se justifier à un premier procès en mars 1995, puis rendu inéligible et démis de tous ses mandats électoraux en septembre 1996 (jusqu’en 2003) et même à être en prison pendant six mois, précisément du 3 février 1997 au 25 juillet 1997 (il avait été condamné en appel le 28 novembre 1995 à deux ans de prison dont huit mois ferme pour « complicité de corruption et subordination de témoins » dans l’affaire du match truqué de l’Olympique de Marseille le 20 mai 1993 à Valenciennes).

Sa faillite personnelle a été le résultat de sa volonté de revendre tout son groupe industriel (un groupe qui avait plus de 1 milliard de francs d’actifs et plus de 5 000 salariés) en raison de sa nomination au gouvernement Bérégovoy, condition sine qua non de François Mitterrand pour le nommer. Mais il a tout perdu, tant ses affaires que les positions ministérielle et électives. Probablement fut-il la victime de rocardiens (le Crédit Lyonnais était présidé par un rocardien pendant dix ans de 1993 à 2003) qui voulaient l’éliminer définitivement du jeu politique après sa victoire aux européennes.

Le président du tribunal de commerce de Paris qui prononça la liquidation de Bernard Tapie fut nommé peu après à la présidence du CDR : « Vous vous faites juger par un homme qui sait que quelques mois plus tard, il vous aura pour adversaire. Même en Centrafrique, on n’ose plus faire des choses pareilles ! » (Bernard Tapie en 1998). Le CDR (Consortium de réalisation) était un organisme public chargé de régler entre 1995 et 2006 le passif du Crédit Lyonnais (lui-même en quasi-faillite en 1993 à cause de ses participations douteuses à l’étranger ; son sauvetage aura coûté 14,7 milliards d’euros au total à l’État, en novembre 2013, soit 812 euros par contribuable français), en d’autres termes, il reprenait toutes les créances douteuses (soit 28,3 milliards d’euros dont Executive Life) du Crédit Lyonnais qui se voyait ainsi assaini.

Après les affaires et la politique, le cinéma et le théâtre

Hors-jeu en politique, Bernard Tapie apporta néanmoins son soutien à Jacques Chirac pour le second tour de l’élection présidentielle de 2002 pour faire barrage à Le Pen et partisan en 2006 de la candidature de Dominique Strauss-Kahn, il a finalement soutenu la candidature de Nicolas Sarkozy (qu’il connaît bien depuis une trentaine d’années) après la désignation de Ségolène Royal.

Il s’est retrouvé avec des dettes monstrueuses avec l’État, au point que ses cachets comme acteur de séries télévisées, de films (notamment avec Claude Lelouch) ou de comédien au théâtre (un nouveau job qui disait bien ce que cela voulait dire : la politique, ce n’est que du théâtre) furent saisis par l’État… jusqu’au jour où une miraculeuse médiation lui assura le jackpot de plusieurs centaines de millions d’euros.

L’arbitrage inespéré

En effet, les procédures judiciaires très longues ont défavorisé Bernard Tapie. Dès le 7 novembre 1996, le tribunal de commerce de Paris a pourtant condamné le CDR à lui payer une provision de 91,5 millions d’euros. Mais la cour d’appel annule cette provision. Le 12 octobre 1998, Bernard Tapie a alors réclamé 990 millions d’euros au CDR (donc à l’État, donc aux contribuables) pour préjudice sur la vente d’Adidas. Le 12 novembre 2004, la cour d’appel de Paris a autorisé une médiation entre Bernard Tapie et le CDR mais celle a échoué. Le 30 septembre 2005, la cour d’appel a condamné le CDR à payer 135 millions d’euros à Bernard Tapie et fixé le préjudice à 66 millions d’euros, mais le Ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Thierry Breton, a conduit le CDR à se pourvoir en cassation : le jugement du 30 septembre 2005 fut alors cassé le 9 octobre 2006 par la Cour de cassation.

Or, un nouveau jugement en appel pourrait être très défavorable à l’État avec un délai d’environ cinq ans : en effet, le risque était que la vente d’Adidas fût annulée, ce qui signifierait un préjudice de la valeur d’Adidas au jour du jugement qui se situerait aux alentours de …7 milliards d’euros ! Par ailleurs, le Crédit Lyonnais, qui était le mandataire de Bernard Tapie, aurait manqué à ses devoirs de loyauté et de neutralité et aurait gagné 1,6 milliard de francs de plus-value dans la vente d’Adidas grâce à une option levée le 26 décembre 1994 (cette version est néanmoins contestée par le Crédit Lyonnais). Le 17 novembre 1995 à la Bourse de Francfort, l’entreprise Adidas valait en capitalisation boursière …3,28 milliards de Deutsche Mark, soit près de 11 milliards de francs (cinq fois plus que ce que cela a rapporté à Bernard Tapie).

Le 25 octobre 2007, les deux parties (Tapie et CDR) ont accepté une résolution par un tribunal arbitral. Pour l’État, représenté par la Ministre de l’Économie et des Finances Christine Lagarde, un nouveau procès aurait coûté encore trop cher en avocats (déjà quinze ans de procédure) et lui aurait fait risquer gros. Pour Bernard Tapie, son intérêt était de réduire au maximum les délais pour être renfloué au plus vite. Résultat, trois personnalités furent nommées à ce tribunal arbitral : Pierre Mazeaud, président de ce tribunal, proche du RPR, Jean-Denis Bredin, proche du PRG (même parti que Bernard Tapie), désigné par le Crédit Lyonnais, et Pierre Estoup, désigné par Bernard Tapie.

L’avocat d’affaires Jean-Denis Bredin, que Pierre Joxe a refusé de citer, aux côtés des deux autres juges-arbitres, dans un documentaire sur la chaîne Public-Sénat « Tapie et la République : autopsie d’un scandale d’État » réalisé par Thomas Johnson et diffusé le 26 septembre 2015, sous prétexte qu’il n’était « pas connu », l’est au contraire très bien des milieux mitterrandiens puisqu’il est le père de l’ancienne ministre PS Frédérique Bredin du 16 mai 1991 au 30 mars 1993 (il a même été élu le 15 juin 1989 à l’Académie française, ce qui en a fait un « inconnu immortel ») et ce fut d’ailleurs dans son cabinet d’avocat très réputé, cofondé avec Robert Badinter (le cabinet Bredin-Prat), que les négociations de la revente d’Adidas auraient eu lieu (selon le journaliste Laurent Mauduit).

Le 7 juillet 2008, le tribunal arbitral décida de condamner le CDR à payer à Bernard Tapie 403 millions d’euros : 234 à titre matériel, 115 au titre des intérêts, 45 de préjudice moral (jugement rendu public le 11 juillet 2008). Il faut bien noter que le préjudice évalué par le tribunal arbitral (45 millions d’euros) est énorme quand on le compare aux préjudices en cas d’erreur judiciaire ou médicale par exemple, de quelques dizaines de milliers d’euros, et dans l’histoire judiciaire, jamais il n’avait dépassé le million d’euros. En revanche, il faut aussi le comparer à l’évaluation de ce préjudice par la cour d’appel de Paris dans son jugement du 30 septembre 2005, qui était de …66 millions d’euros. Argument qu’a rappelé le tribunal administratif de Paris dans son jugement rendu public le 8 octobre 2009 pour débouter les recours engagés par les socialistes et les centristes. Jugement qui justifia également le recours à un arbitrage « eu égard aux risques sérieux d’une nouvelle condamnation, et même d’aggravation de la première condamnation, compte tenu de la gravité des autres fautes du groupe bancaire retenues par la cour d’appel et non censurées par la Cour de cassation, et de l’étendue du préjudice restant à déterminer, qui ne pouvait plus être limité au tiers du manque à gagner et qui devait inclure les effets de la liquidation judiciaire ».

Voici alors Bernard Tapie renfloué et de nouveau riche. Décidément, la vie est très instable chez cet homme qui, du coup, s’est recyclé dans un groupe de presse provençal (à partir du 19 décembre 2012, grâce, selon certains journalistes, à une recommandation de Claude Bartolone, ami de Bernard Tapie, auprès de François Hollande) et dans un nouveau yacht (encore).

Conséquence de l’arbitrage du 7 juillet 2008, le tribunal de commerce de Paris a ordonné le 6 mai 2009 la révision des jugements de liquidation des deux holdings, Finance Bernard Tapie et Groupe Bernard Tapie qui a abouti le 2 avril 2010 à la relaxe des accusations de banqueroute, qu’il attendait depuis mars 1994.

Protestations politiques et suite judiciaire

L’annonce du jugement arbitral a provoqué de nombreux remous dans la classe politique, en particulier dans le cadre d’un antisarkozysme très à la mode à l’époque, notamment à gauche (avec Jean-Marc Ayrault et François Hollande) et au centre (avec Charles de Courson mais aussi François Bayrou dont l’un de ses proches conseillers était Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit Lyonnais) tandis que Christine Lagarde renonça à contester le jugement le 28 juillet 2008 pour éviter des frais supplémentaires à l’État. Bernard Tapie a alors été auditionné le 10 septembre 2008 par la commission des finances de l’Assemblée Nationale dirigée par Didier Migaud. Évoquant une campagne de publicité du Crédit Lyonnais qui mettait en parallèle son nom et une poubelle, Bernard Tapie avait notamment souhaité que cela n’arrivât pas à un de ses interlocuteurs questionneurs …Jérôme Cahuzac !

Le 10 mai 2011, le procureur général de la Cour de cassation Jean-Louis Nadal, saisi par Jean-Marc Ayrault (député), a saisi la Cour de Justice de la République (qui juge les ministres) pour « abus d’autorité » contre Christine Lagarde, alors que Jean-Louis Nadal avait recommandé lui-même en 2004 de recourir à un compromis. L’autorité de Jean-Louis Nadal fut en outre contestée par son engagement politique aux côtés de Martine Aubry pendant la primaire socialiste d’octobre 2011. Nouveau Ministre de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici a déposé le 28 juin 2013 deux recours devant la cour d’appel de Paris pour réviser l’arbitrage du 7 juillet 2008 (dont le principal recours fut jugé irrecevable le 10 avril 2014). Christine Lagarde fut finalement mise en examen le 26 août 2014 pour « négligence » (elle était devenue le 5 juillet 2011 directrice générale du FMI).

Nouveau feuilleton judiciaire

L’affaire fit régulièrement ses gros titres dans les journaux, avec perquisitions et mises en cause notamment de Claude Guéant, comme secrétaire général de l’Élysée, et Stéphane Richard, directeur de cabinet de Christine Lagarde (devenu le 24 février 2011 président-directeur général de France Télécom puis Orange). L’un des juges-arbitres du tribunal arbitral, Pierre Estoub, fut aussi impliqué car il n’avait pas évoqué son lien d’amitié avec l’avocat de Bernard Tapie dans cette affaire.

Après quatre jours de garde à vue, Bernard Tapie fut lui aussi mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » le 28 juin 2013, une partie de ses biens immobiliers et comptes bancaires furent saisis et mis sous séquestre par le juge à titre conservatoire. Le revoici pauvre et il peut reperdre tout son honneur après ce qu’il considérait comme sa réhabilitation (en deux temps : l’arbitrage du 7 juillet 2008 et la relaxe dans les accusions de banqueroute le 2 avril 2010).

Après que le parquet général s’est prononcé le 25 novembre 2014 en faveur de la révision du jugement du 7 juillet 2008, la cour d’appel de Paris a carrément annulé le 17 février 2015 le jugement du tribunal arbitral. Son président, Jean-Noël Acquaviva, spécialiste des questions d’arbitrage, connaît donc très bien le dossier de l’affaire Adidas et aurait dû présider (sans beaucoup de complaisance pour Bernard Tapie) l’audience qui jugerait l’affaire sur le fond fixée le 29 septembre 2015. Mais, après seulement deux ans en fonction dans son poste, il vient d’être promu au 1er septembre 2015 conseiller à la Cour de cassation par la séance du 16 juillet 2015 du Conseil supérieur de la magistrature confirmée par le décret de François Hollande du 6 août 2015 (JO n°0182 du 8 août 2015). Cela signifie qu’il ne présidera plus la cour d’appel lors de la séance du 29 septembre 2015.

Certains adversaires de Bernard Tapie, en particulier le journaliste d’investigation Laurent Mauduit, en ont déduit (le 27 août 2015 sur Mediapart) que Jean-Noël Acquaviva aurait été écarté volontairement du dossier pour donner plus de chance à Bernard Tapie et permettre le report de l’audience du 29 septembre 2015, le temps pour le nouveau président de bien connaître ce dossier complexe, ce qui laisserait le temps à la Cour de cassation (Bernard Tapie a contesté le jugement du 17 février 2015) de donner son avis sur la compétence d’une cour d’appel à annuler un arbitrage (avant d’avoir un jugement sur le fond).

Et le journaliste n’a pas oublié d’évoquer des liens d’amitié de Bernard Tapie avec le Président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone, mais aussi avec la Ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui fut élue députée européenne (son deuxième mandat national) le 12 juin 1994 sur la liste PRG menée par …Bernard Tapie (en quatrième position), au même titre que Noël Mamère, Catherine Lalumière, Jean-François Hory, le syndicaliste André Sainjon et la féministe Antoinette Fouque (disparue le 20 février 2014).

Il est clair que cette affaire Adidas, très longue et très complexe à comprendre tant sur le plan financier que judiciaire, est un exemple flagrant de graves dysfonctionnements, tant du côté de la Place Vendôme que de Bercy, qu’il y a eu des torts de tout côté, des erreurs, fautes, incompatibilités, etc. et qu’il serait plus facile, à l’observateur extérieur, de n’avoir qu’une idée simpliste du sujet qui se résumerait à la sympathie ou à l’antipathie qui lui inspirerait Bernard Tapie.

Épilogue

Bernard Tapie se croyait réhabilité mais voici que l’Élysée a changé de locataire et qu’il y a une suspicion de favoritisme dans l’arbitrage. C’est ce qui va être jugé à partir de ce mardi 29 septembre 2015 à 9 heures 30 à la cour d’appel de Paris. L’affaire est donc assez compliquée (voir ci-avant). Tapie a voulu racheter Adidas, le Crédit Lyonnais lui a proposé l’emprunt et aurait voulu lui racheter l’entreprise à une valeur inférieure à ce que la banque allait obtenir en la revendant, tout en liquidant les entreprises de Bernard Tapie pour éliminer toute contestation ultérieure. Ici, c’est donc bien Bernard Tapie, malgré toutes les fautes qu’on pourrait lui imputer, la victime d’une banque d’État à la fois déloyale et partiale.

Pour Bernard Tapie, son existence est donc de nouveau remise en jeu car si la conclusion de l’arbitrage était annulée, il devrait rembourser tout l’argent qui lui a servi à sortir de la nasse il y a sept ans .

La politique, pour Bernard Tapie, c’est : plus jamais ça ! Et cause de divorce s’il y revenait. Une profonde erreur. Avec la politique, il a tout perdu et s’est retrouvé face à des murs de verre. Son école n’était pas l’ENA mais celle de la vie. Avec beaucoup d’aspérité et de sournoiseries, sans doute des fautes, des maladresses, des négligences, de la mauvaise foi, de l’audace incroyable et bien sûr, un art de vendre inégalé. Il s’est cru capable de redonner de l’oxygène à la classe politique de plus en plus anémiée par la montée du FN (cela fait trente ans que cela dure). Illusionné par l’illusionniste en chef de la Ve République, à savoir François Mitterrand, il avait accepté de lâcher son empire financier (il a fait partie des vingt premières fortunes de France à la fin des années 1980) pour un poste de ministre pendant quelques semaines. Il a cru qu’il était devenu un véritable leader national en totalisant sur son nom plus de 12% des électeurs au niveau national. Il pensait aussi capter la mairie de Marseille et avoir une influence déterminante sur les élections présidentielles. Peut-être est-ce le sort de toutes les personnalités électrons libres qui, brillantes et devenues leader des radicaux, ont finalement buté sur des impossibilités politiques (je pense en particulier à Jean-Jacques Servan-Schreiber, et, dans une moindre mesure, à Jean-Louis Borloo qui fut aussi un ami de Bernard Tapie).

Montée et décadence d’un homme qui rencontre une nuée d’opposants politiques et judiciaires lorsqu’il émet le moindre signe susceptible de revenir dans l’arène politique. En reprenant surface dans un groupe de presse régional, il a de nouveau inquiété la classe politique qui a réagi de nouveau très vivement. L’avenir dira si Bernard Tapie ressortira de ce procès blanchi ou de nouveau entaché. On parlera de complot socialiste contre lui et sans doute avec raison. On dira qu’il n’a jamais été tout clean sur lui non plus, et on aura raison aussi. Mais quoi qu’on pense de sa personnalité, qui agace, qui titille, qui révulse, parce que ses valeurs sont celles du fric roi des années 1980, celles qui a tué toutes valeurs réelles d’un État républicain en panne de transcendance nationale, mais aussi qui rassure, qui combat, qui rassemble derrière une audace capable de lutter efficacement contre un populisme et un extrémisme qui n’ont jamais cessé de progresser ces dernières décennies, Bernard Tapie paraît, dans l’affaire Adidas, comme une véritable victime d’un géant bancaire aux investissements douteux (qui, déjà en 2003, avait dû débourser 771 millions de dollars d’amende aux États-Unis), aux pratiques très floues (avec des sociétés offshore) et soutenus par la haute technocratie de l’État français qui, depuis l’ère Miitterrand, mélange allègrement service de l’État et pantouflages très fructueux dans des groupes privés…

À 72 ans, Bernard Tapie a son avenir derrière lui mais sa bataille reste celle de l’ego, son honneur est en jeu, plus que sa fortune personnelle. David et Goliath. Bref, si l’homme, vieillissant mais toujours aussi énergique, n’est pas à plaindre, il va se retrouver une nouvelle fois à affronter le Goliath étatique qui n’aura pas forcément raison de lui. Il se pourrait qu’après un tel nouveau procès, cela coûterait encore plus cher à l’État, et donc aux contribuables que nous sommes, donnant du coup implicitement raison aux initiateurs de la procédure d’arbitrage…

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