Ou comment un adolescent a pu être exécuté quatre-vingt et un jours après un double meurtre odieux, sans aucune preuve matérielle, sans aucun témoignage valide, après cent cinquante minutes d’un procès bâclé suivi de dix minutes de délibération : que Dieu ait pitié de votre âme !Triste anniversaire que ce lundi 16 juin 2014. Il y a soixante-dix ans, c’était certes le Débarquement, mais aux États-Unis, en Caroline du Sud, George Stinney a trouvé la mort. Qui est George Stinney ? Un simple enfant, un adolescent de 14 ans qui a été condamné à mort puis exécuté pour deux meurtres dont il n’était probablement pas le coupable.
L’histoire est évidemment émouvante. Le 23 mars 1944 au matin, dans un fossé plein de boue à Alcolu, une petite ville industrielle du comté de Clarendon, en Caroline du Sud, les corps de deux fillettes sont retrouvés sans vie, Betty June Binnicker (11 ans) et Mary Emma Thames (8 ans).
George Junius Stinney Jr, un garçon de 14 ans (né le 21 octobre 1929 à Alcolu), était la dernière personne à les avoir vues vivantes, la veille. Garçon mince, pas très fort, doux, bon élève d’une famille pauvre, il gardait des vaches avec sa sœur.
En effet, les deux fillettes lui avaient parlé peu de temps avant leur disparition. Elles étaient parties en vélo pour cueillir des fleurs et avaient traversé la propriété des Stinney. Elles s’étaient adressé à George Stinney et à sa petite sœur Katherine pour savoir où trouver une certaine espèce de fleur sauvage, des passiflores officinales (passiflora incaranta). George Stinney ne le savait pas.
Comme les fillettes n’étaient pas rentrées à la maison le soir, des centaines de bénévoles ont aidé les secours pour les rechercher et leurs corps ont été découverts le lendemain matin, avec des traces de coups et de blessures graves à la tête : Betty avait reçu au moins sept coups sur la tête, et Mary des coups provenant d’une barre de fer qui avaient fissuré le crâne sauf pour deux coups qui l’avaient perforé. Aucune trace d’agression sexuelle n’a été détectée sur le corps de Marie et une légère contusion sur les organes génitaux de Betty, mais les hymens des deux filles étaient restés intacts. Une tige de fer de quinze pouces a été retrouvée un peu plus loin.
C’est George Stinney lui-même qui était venu spontanément à la police au moment où on les avait recherchées. Il fut arrêté dès le 24 mars 1944 et accusé le lendemain du meurtre des deux filles sans qu’aucun indice ni pièce à conviction n’ait été trouvée.
Le père de George Stinney a été licencié immédiatement et toute la famille (les parents et les frères et sœurs) a dû fuir la ville sous peine d’être lynchée par les habitants, ce qui a isolé George dans sa prison.
Le procès s’est déroulé le 24 avril 1944 et n’a duré que deux heures et demi, l’après-midi. La seule « preuve » apportée lors de ce procès fut le témoignage de trois policiers qui ont prétendu que George Stinney avait avoué les deux meurtres, mais cette confession n’a eu aucune trace écrite (aucun procès verbal) et le prévenu a refusé d’avouer au procès. La déposition des trois policiers n’a même pas été contestée par l’avocat commis d’office qui avait des ambitions électorales dans l’État et n’avait convoqué aucun témoin pour sa défense ni n’a fait appel à la suite du verdict.
Après quelques minutes de délibération, les jurés déclarèrent George Stinney coupable et le condamnèrent à mort. Tous les justiciables de plus de 14 ans étaient considérés comme des adultes au regard de la justice de Caroline du Sud. La décision du juge Philip Henry Stoll : « And may God have mercy on your soul ! » [Que Dieu ait pitié de votre âme].
Malgré la protestation de quelques organisations, le gouverneur de l’État, Olin Dewitt Talmudge Johnston, refusa de gracier le jeune condamné et George Stinney fut électrocuté le 16 juin 1944 à dix-neuf heures trente, dans la prison de Columbia. Les médias étaient tous tournés vers la Normandie.
La chaise électrique était trop grande pour lui, les électrodes avaient du mal à se maintenir sur le corps, et son masque aussi était trop grand, si bien que la quarantaine de témoins, dont les parents des victimes, a pu apercevoir son visage après le premier électrochoc de 2,4 kilovolts, laissant apparaître des yeux grand ouverts remplis de larmes et de la salive dégoulinant de la bouche. Après quatre minutes, le garçon ne respirait plus et fut déclaré mort.
Malheureux concours de circonstances et aucune preuve matérielle. La justice américaine avait commis là une erreur irréparable. C’est du moins la certitude de trois avocats en 2005 après avoir enquêté sur son cas exemplaire de la barbarie qu’est la peine de mort appliquée aux enfants.
Une demande de réouverture du procès a été déposée le 25 octobre 2013 avec de nouveaux témoignages pour réhabiliter le malheureux adolescent. Les 21 et 22 janvier 2014, s’est tenue une première séance contradictoire au tribunal pour savoir ce qu’il fallait faire. Le juge a annoncé qu’il lui faudrait encore un peu de temps avant de prendre sa décision (de rouvrir ou pas le dossier).
Le témoignage de la sœur de George Stinney, Amie Ruffner, lui fournit désormais un bon alibi puisqu’elle déclare avoir été présente aux côtés de George Stinney au moment des meurtres. Le témoignage aussi d’un codétenu de George Stinney, Wilford Hunter, qui affirme qu’il a toujours nié devant lui d’avoir été l’auteur de ces crimes : « Il m’a dit : pourquoi me tueraient-ils pour quelque chose que je n’ai pas fait ? ».
Et il y aurait aussi le témoignage d’un proche du supposé vrai coupable aujourd’hui décédé qui aurait avoué son double crime sur son lit de mort, un notable de la ville dont un membre de la famille aurait été un membre du jury, qui pourrait être une pièce nouvelle et essentielle au dossier.
Le témoignage de James Gamble, le fils du sheriff de l’époque, qui avait alors 17 ans, est toutefois différent. Il reste convaincu de la culpabilité de George Stinney. En 2003, il a expliqué qu’il avait été assis sur la banquette arrière de la voiture, à côté de George Stinney quand son père l’a conduit à la prison de Columbia, à une cinquantaine miles de la ville, pour éviter son lynchage par les habitants : « Il n’y avait aucun doute sur sa culpabilité. Il était vraiment loquace sur le sujet. Il a dit : Je suis désolé. Je ne voulais pas tuer les filles. ».
Ah… Faut-il le préciser ? Les deux gamines battues à mort avaient la peau blanche, comme les policiers et tous les membres du jury, et le gamin pris pour coupable la peau noire.
George Stinney fut le plus jeune exécuté des États-Unis durant le XXe siècle. Son histoire fut racontée en 1988 dans un roman de David Stout « Carolina Skeletons » qui a reçu le prix Edgar Allan Poe de la meilleure première nouvelle en 1989, roman adapté au cinéma dans un téléfilm « Un coupable idéal » réalisé par John Erman en 1991 et dont l’un des acteurs principaux, Kenny Blank, fut nommé la même année pour le Young Artist Award comme meilleur jeune acteur de télévision.
Cette histoire fait évidemment penser à l’actualité. J’avais alerté sur mon blog la décision des autorités des Maldives d’arrêter le moratoire sur la peine de mort et de permettre la condamnation à mort même des enfants, pour d’obscures considérations islamiques.
Depuis un mois et demi, la « communauté internationale » s’est à peine réveillée et en France, quelques voix, parce qu’elles sont connues, se sont fait connaître pour prôner le boycott touristique, seul levier efficace contre des mesures sordides. En particulier Jacques Maillot, l’ancien patron de Nouvelles Frontières, et Johnny Hallyday.
La réalité, c’est que les Maldives vivent économiquement essentiellement du tourisme (c’est un peu le problème de l’Égypte aussi), et que les étrangers ont donc la capacité d’influer directement sur le gouvernement lorsque le seuil moral des atteintes aux droits de l’homme est atteint. Changer de destination ne paraît pas un acte très difficile pour les touristes prêts à passer une ou deux semaines au loin sur une île de l’Océan indien.
Il ne faut plus qu’il y ait de nouveaux George Stinney, même aux Maldives.