Chaque vendredi, dans l’émission de France Inter Si tu écoutes, j’annule tout animée par Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, il déclenche l’hilarité des auditeurs. De sa voix acidulée, perchée, s’accompagnant à la guitare en donnant l’impression (fausse) d’une perpétuelle improvisation, il égratigne tous ceux qui passent à portée de sa plume acérée. Derrière son physique d’adolescent timide et un peu gauche, mais délibérément malicieux, derrière son sourire désarmant, l’auteur-compositeur-interprète Frédéric Fromet abrite l’un des esprits les plus caustiques de la chanson française.
Là où d’ex-vainqueurs de la téléréalité ânonnent des banAlités bien-pensantes et moralisatrices sur un ton sinistre pour donner l’impression d’être des artistes « engagés » (que l’on préférerait souvent « dégagés »…), cet ancien ingénieur informatique joue la carte de l’impertinence pertinente, de la dérision insolente, avec un talent comique de chansonnier – il passa par le célèbre Caveau de la République -, la subtilité en plus.
Rien ni personne n’échappe à son écriture aussi peaufinée que décapante où abonde le second degré ; il a compris qu’on pouvait rire de tout, que l’on pouvait s’affranchir du politiquement correct qui sclérose le discours et les débats. Observateur de la société et de l’actualité, Frédéric Fromet ne se pose pratiquement aucune limite, au risque de faire grincer quelques dents.
Certains des sujets qu’il traite pourraient sembler classiques : les politiques, quelle que soit leur place sur l’échiquier, les intellectuels, les bobos agaçants, la fête des voisins, le football, la téléréalité offrent des proies faciles. Mais il s’attaque aussi à des thèmes supposés sacrés ou, à tout le moins, objet de consensus et dont il est convenu de s’abstenir de rire, comme les noyades de migrants (Glouglouglou fait le migrant), le récent accident mortel d’hélicoptère en Argentine (Badaboum le péti yélico), la journée internationale pour les droits des femmes (Capitaine femme), les « journées mondiales de… » (La Journée de la gentillesse), la province (Les Bouseux), les Parisiens (Ah si les vaches avaient des mains !), les enfants (Les Morveux), etc.
Parmi les morceaux les plus réussis de ce délicieux concentré de mauvais esprit, figurent une satire des milieux associatifs (Associatif) et deux versions de « Les attentats [du 7 janvier]expliqués aux enfants. » On pourra écouter ce répertoire au vitriol sur la page « Actualités » de son site Internet et consulter quelques vidéos sur une autre page dédiée, car il préfère la radio (mais, France Inter mis à part, qui prendrait le risque de diffuser les eaux-fortes musicales de cet électron libre ?) et les concerts à la publication de disques.
Avec une touche de Brassens et une pincée de Boby Lapointe, l’espiègle barde propose surtout son style personnel, où l’autodérision n’est jamais absente. Ses paroles dérangeantes, chantées sur des mélodies de sa composition ou sur des pastiches d’un répertoire connu (notamment des contines pour enfants) font mouche et emportent l’enthousiasme d’un public dont, cependant, il se moque en permanence, chacun pouvant, au détour d’un couplet, se sentir visé par ses multiples flèches. S’il n’interprétait pas que ses propres textes, on se prendrait à souhaiter qu’il mette en musique le poème féroce de Philippe Muray, « Tombeau pour une touriste innocente » – une référence dans le domaine de la satire de la société contemporaine. Illustration : Frédéric Fromet en concert.