Le choc des reportages, le poids de l’émotion. Les médias européens font mine de découvrir à l’occasion d’un nouveau drame de la mer, la mobilité mondialisée qui constitue avec le dérèglement climatique, la préservation de l’environnement et la démographie l’un des grands enjeux du XXIème siècle. 77 millions de migrants il y a 50 ans, 230 millions aujourd’hui, les chiffres et les images de ces embarcations remplies à ras bord donnent le tournis. Après la compassion, la peur. Par son ampleur, le phénomène migratoire est un thème sécuritaire qui n’a pas fini d’alimenter tous les fantasmes à un moment de l’histoire où la défiance des peuples européens à l’encontre de leurs dirigeants est grande.
Plus d’un esprit posé et serein a de quoi être déboussolé par l’emballement qui saisit la planète. La carte géopolitique du monde et notamment de l’Afrique et du Moyen-Orient n’a plus rien à voir avec celle d’il y a seulement quelques décennies. L’effondrement des Etats, la multiplication des guerres civiles laissent à juste titre un sentiment général de chaos. La guerre des religions et peut être des civilisations semble être le nouveau sel d’une frange de l’humanité déshumanisée.
Pourtant, ce qui caractérise les événements de ces derniers jours, c’est que l’Europe ne doit pas faire face uniquement à de simples réfugiés climatiques ou de guerres civiles. Parmi ces migrants se retrouvent également des individus issus de classes moyennes qui n’ont pas été poussés par un état de nécessité mais par un attrait irrésistible du mode de vie occidental, comme en témoigne la présence récurrente dans leurs maigres effets d’un téléphone portable et de son application Facebook. Il est saisissant à cet égard d’entendre dans le flot des malheureux des jeunes éduqués qui pensent avoir atteint l’eldorado après avoir risqué leur vie et s’être faits délestés de 7 000 € en moyenne par des organisations mafieuses.
L’Europe qui fût pendant longtemps une terre d’émigration notamment vers les Amériques peut comprendre l’aspiration de populations à mettre à l’abri et profiter de conditions de vie décentes. Pour autant, les bons sentiments doivent s’accompagner d’une stratégie géopolitique partagée par les citoyens de l’UE. Pour paraphraser Michel Rocard, si l’Europe ne peut accueillir toute la misère du monde, elle est légitimement appelée à prendre sa part, sans pour autant y perdre son âme.
La grande difficulté, c’est que l’Europe n’est pas aujourd’hui un Etat en capacité de contrôler les entrées sur son sol et ses frontières extérieures. L’ampleur des enjeux qui nous font face appelle à un sursaut dans la construction européenne et à sortir du milieu du gué où nous pataugeons depuis 30 ans. C’est à l’échelle du vieux continent que nous trouverons les ressources et les solutions pour éviter une lente mais inexorable dissolution de la civilisation européenne dans une mondialisation sauvage. La relance d’une construction européenne sur un modèle fédéral est notre bouée de sauvetage, c’est la seule voie possible pour tenter de maîtriser notre destin et renouer avec ce que les migrants viennent chercher sur notre sol : l’espérance.