Florian Philippot, Closer et les chiens de garde

Sans s’en rendre compte, ces éditorialistes montrent, en réalité, qu’ils ont quelques difficultés à admettre qu’hétérosexualité et homosexualité se valent, c’est-à-dire qu’il est aussi normal d’être homosexuel qu’hétérosexuel et qu’il n’y a rien à cacher. En l’occurrence, ce n’est pas le fait que Philippot ait été photographié lors d’un week-end privé qui choque nos médiateurs, mais que son homosexualité soit étalée au grand jour. On en veut pour preuve que nos grandes plumes, si promptes à excommunier, restent silencieuses lorsque les amours d’hétérosexuels, politiques (comme celle d’Arnaud Montebourg et d’Aurélie Filipetti dernièrement) ou simplement people, sont chaque semaine étalés dans Voici, Closer ou autre.

La « révélation » de l’homosexualité de Philippot, ce que tout le petit monde médiatico-politique parisien savait parfaitement, comme il savait tout du comportement de DSK, de la séparation entre Ségolène Royal et François Hollande, de la seconde famille de François Mitterrand, etc., constituerait une intolérable atteinte à la « vie privée » voire «  à la démocratie », comme l’affirme Renaud Dély de l’Obs. Tout à son indignation, il n’hésite pas à reprendre à son compte les propos de Jean-Marie Le Pen dénonçant une « police des braguettes », ce qui montre à quel point il est, tout compte fait, bien moins nocif que Closer… Le FN est presque devenu sous la plume de nos éditorialistes indignés, le défenseur des gays et lesbiennes opprimés, un parangon de tolérance, de républicanisme, de démocratie.

C’est beaucoup d’honneur pour un parti d’extrême droite dont la tolérance n’est pas une des valeurs cardinales, tant s’en faut, lui qui n’hésite à stigmatiser et à surfer sur la haine (des immigrés, des juifs, des musulmans, de l’Europe, des élites, etc.). Un parti qui réclame l’abrogation de la loi Taubira sur la reconnaissance du mariage gay et lesbien (dans son programme, le FN affirme « la famille doit se fonder exclusivement sur l’union d’un homme et d’une femme et accueillir des enfants nés d’un père et d’une mère. Nous nous opposerons donc à toute demande de création d’un mariage homosexuel et/ou d’une adoption par des couples homosexuels »). Rappelons aussi que le FN est le principal soutien français du régime ouvertement homophobe de Vladimir Poutine (qui, en échange, lui apporte sa manne financière, le FN prenant la place qu’occupait le PC dans le cœur de Moscou du temps de l’URSS). Savoir que l’un des principaux dirigeants de ce parti, qui se veut le parangon des valeurs familiales traditionnelles, est homosexuel relève, sans aucun doute, du débat public, car cela montre son degré d’hypocrisie et d’opportunisme. Et cela éclaire aussi la politique hésitante de ce parti à l’égard du mariage gay : influencée par Philippot, Marine Le Pen n’a pas pris part aux manifestations anti-gay de la manif pour tous, alors que le banc et l’arrière-ban de l’appareil frontiste s’y pressaient…

L’affaire Philippot montre surtout à quel point une partie des médias est réactionnaire au vrai sens du mot. Les juges arrivent même à se montrer plus subversifs qu’eux, c’est dire. Et cela éclaire d’un jour intéressant la crise de la presse en France : comment faire confiance à des médias (pas tous, heureusement) qui se comportent en défenseur pavlovien de l’ordre établi au profit des politiques ?

Rappelons à nos moralisateurs que le « respect de la vie privée », conçu comme un impératif catégorique, est une invention récente du droit français : c’est une loi de juillet 1970 qui a introduit l’article 9 du Code civil qui proclame que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». À partir de là, les tribunaux français ont appliqué sans nuance et brutalement (saisi de livres et de journaux, amendes records), surtout au bénéfice des puissants qui ont les moyens de les saisir, l’article 9 (constamment renforcé depuis, notamment par la loi Guigou de 2000 visant à préserver la présomption d’innocence), recouvrant d’un voile pudique tout ce qui relevait de la « vie privée » au sens large : famille, mœurs, santé, argent, sans aucun égard pour la liberté d’informer et la liberté d’expression. On est donc loin de la « morale » invoquée par certains journalistes : les politiques ont surtout cherché à se protéger contre l’intrusion des médias. On est aussi très loin du premier amendement de la Constitution américaine qui interdit toute limitation à la liberté de la presse, même si les médias doivent répondre des dommages qu’ils causent, notamment en publiant des informations inexactes ou en harcelant des personnes.

Heureusement, le droit a évolué, notamment grâce à la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a petit à petit fait prévaloir la liberté d’expression sur le droit à la vie privée : l’argent, la santé et même les mœurs, le tout dans certaines limites, sont retombés dans le domaine public. Au point qu’aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose de l’article 9 dont la dimension liberticide apparaît aux juges de l’Europe entière, mais manifestement pas à certains journalistes français. Dans Libération, ma consoeur Sonya Faure, a notamment rappelé un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris qui a estimé que la révélation de l’homosexualité d’un cadre frontiste était justifiée : «L’évocation de l’homosexualité de M. Briois (devenu maire d’Hénin-Beaumont, NDA) et de la supposée influence de cette orientation sur la politique du FN est de nature à apporter une contribution à un débat d’intérêt général […] puisque le FN a montré des signes d’ouverture à l’égard des homosexuelsEn conséquence, le droit du public à être informé de l’homosexualité de M. Briois prime sur le droit au respect de ce pan de sa vie privée.» On n’est donc plus très loin du droit britannique ou américain en matière de liberté d’expression.

Il est donc sidérant de voir que cette évolution du droit depuis 25 ans n’a manifestement pas atteint les salles de rédaction. Invoquer la démocratie pour justifier l’omerta est tout simplement un non sens. Et surtout, il est étonnant de voir des médias « de gauche » défendre contre vent et marée un ordre moral pompidolien imposé sans débat il y a 44 ans… Ajoutons que les politiques ont depuis longtemps instrumentalisé leur « vie privée » et qu’ils n’hésitent pas à l’étaler sur la place publique : il suffit de mentionner le nom de Valérie Trierweiller pour que chacun comprenne ce que je veux dire. La presse n’a pas à attendre le petit doigt sur la couture du pantalon que le pouvoir l’autorise à enquêter dans les domaines qui intéressent le débat public. Prenons exemple sur la presse britannique a enquêté sur la vie privée désordonnée de caciques du parti conservateur britannique au milieu des années 90 lorsqu’il avait fait du « retour aux valeurs » l’axe de sa campagne : l’hypocrisie de ce parti enfin étalé au grand jour, il a ensuite perdu les élections.

Est-ce à dire que tout doit être dit ? Bien sûr que non. Simplement, en matière politique, le dit doit être la règle, le non-dit l’exception. Car tout n’a pas à être sur la place publique. Il faut que l’élément révélé ait un impact dans le débat public. Par exemple, rendre public, comme l’a fait l’Express (et non Closer) en 2013, la véritable filiation de Marion Maréchal-Le Pen n’apporte rien au débat politique. De même, la notoriété de la personnalité mise en cause est importante : savoir que le Président de la République a un cancer est nécessaire, pas s’il s’agit d’un simple conseiller municipal.

Il y a un côté désespérant dans cette affaire : plus de trois ans après l’affaire DSK, il semble bien qu’une partie des journalistes  n’ait rien appris. Entre une conception dépassée du métier, une défense acharnée d’un ordre ancien et les retards pris dans le numérique, comment s’étonner de la chute d’audience des médias traditionnels ?

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