Ce samedi 12 décembre 2015 à 19 heures 26, Laurent Fabius tape sur sa table avec le petit marteau vert ! L’accord de la COP21 a été signé. Un accord que beaucoup disent historique de 195 États sur des objectifs ambitieux pour (dit-on) « sauver la planète ». Les accolades des négociateurs, les expressions de joie des intervenants paraissaient particulièrement sincères car l’issue n’avait rien d’automatique : « Ce texte contient les principales avancées, dont beaucoup d’entre nous pensaient qu’elles seraient impossibles à obtenir, il est juste, durable, dynamique, équilibré et juridiquement contraignant. » (Laurent Fabius, le 12 décembre 2015 au Bourget).
Le Président de la République François Hollande, présent lors de l’annonce finale, tout comme l’ancien Vice-Président américain Al Gore, ne pouvait pas s’empêcher, bien sûr, de parader avec son ministre et Ban Ki-Moon, le Secrétaire Général de l’ONU, mais c’était justifié : « Ce texte sera le premier accord universel des négociations climatiques. Ce sera un acte majeur pour l’humanité. (…) L’accord ne sera parfait pour personne si chacun le lit à la lumière de ses intérêts. Mais il sera parfait pour tous s’il le lit à l’échelle de la planète. (…) Nous ne serons pas jugés sur un mot, mais sur un acte, pas sur un jour, mais sur un siècle. (…) Je suis fier que cet appel soit lancé de Paris. Paris a été meurtri il y a tout juste un mois. » et de conclure : « L’accord décisif pour la planète, c’est maintenant. Il est rare dans une vie d’avoir l’occasion de changer le monde. Vous l’avez ! » (12 décembre 2015).
Un accord peut-être utile
Sur le fond, l’accord porte sur la finalité de ne pas dépasser une augmentation de 1,5°C de la température moyenne de la planète d’ici 2100. Autant dire un objectif hyper-abstrait. Pratiquement tous les habitants de cette Terre l’auront quittée à cette date, sauf les plus jeunes et donc les moins impliqués aujourd’hui dans cet enjeu, et parler d’une température moyenne de la planète est également quelque chose de très abstrait, insaisissable même, tant dans les zones très froides que très chauds. Seules, les îles peuvent avoir une idée plus concrètes de ce que signifient les risques climatiques, comme les Maldives, et aussi des pays quasiment plus bas de le mer, comme les Pays-Bas et le Bangladesh, pour ne citer que quelques exemples.
La décision de transférer une somme de 100 milliards d’euros par an des pays du Nord aux pays du Sud pour les aider à réaliser la transition énergétique paraît plutôt prometteuse mais là encore, 100 milliards semble être un nombre particulièrement abstrait et surtout, cette somme ne sera pas débloquée avant 2020. Il faudra regarder de très près qui paiera quoi exactement, quels projets, et quand.
Je reste plutôt sur la position de l’ancien Ministre de l’Écologie Jean-Louis Borloo qui aurait voulu du concret immédiatement et qui espérait qu’une somme de 5 milliards d’euros soit allouée chaque année dès maintenant au continent africain pour son électrification complète, condition initiale pour tout développement futur. C’est une somme relativement faible au niveau planétaire et elle serait d’un retour sur investissement colossal quand on sait que l’Afrique sera sans doute le continent qui a le plus de potentiel en énergies renouvelables. Cette électrification est urgente pour réduire les risque d’épidémies et de malnutrition.
Un accord certainement historique
L’avenir plutôt à long terme dira donc si cet accord est utile ou pas. Le fait qu’il soit historique paraît en revanche déjà acquis, même s’il faut éviter de tomber dans le triomphalisme assez facile du gouvernement français, surtout à quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote pour le second tour des élections régionales.
Sur la forme, en effet, cet accord est historique parce qu’il est dit « universel ». C’est la première fois que la totalité des pays du monde s’est mise d’accord sur des objectifs ambitieux sur l’énergie. C’était quand même un pari assez fou de réunir entre autres les gros pollueurs du monde comme l’Europe, la Chine, l’Inde, les États-Unis mais aussi le Japon, le Canada, l’Australie, la Russie, le Brésil, etc. ainsi que des pays dont les énergies fossiles sont leur seul gagne-pain, comme l’Arabie Saoudite, sur cet objectif de réduire massivement les émissions de gaz carbonique.
Succès diplomatique incontestable pour la France
La France, qui a accueilli au Bourget cette conférence mondiale, environ 40 000 négociateurs entre le 30 novembre 2015 et le 12 décembre 2015, peut s’enorgueillir de plusieurs réussites. D’une part, elle est l’un des bons élèves du monde en ayant déjà atteint ses objectifs de 2020 pour les émissions carbone, et cela grâce à son large parc de centrales nucléaires qui, au contraire du charbon ou du gaz, évite des émissions massives de carbone pour sa production d’électricité.
Ensuite, la France a excellemment mené cette conférence. Ce n’est pas moi qui le dis, ni un proche du gouvernement qui aurait tout intérêt à embellir son action, mais l’ancien Ministre de l’Environnement Serge Lepeltier, ancien maire UDI de Bourges (et aussi ancien ambassadeur de la France chargé des négociations sur le changement climatique et président de l’Académie de l’eau depuis décembre 2013), qui a insisté à ce sujet. Lui a eu déjà l’expérience de ce type de négociations internationales où les politiques prenaient toujours du retard au cours de la conférence. Au contraire, au Bourget, la France a donné un agenda très strict et surtout, il a été respecté.
La méthode habituelle, c’est que la première semaine, ce sont les experts qui négocient et aboutissent à un premier texte (un draft), puis, la seconde semaine, ce sont les ministres qui négocient et c’est évidemment là que tout se corse. Or, souvent, les ministres qui devaient arriver le lundi de la seconde semaine arrivaient le mercredi, ce qui réduisaient d’autant le temps des négociations. Là, le draft a été présenté dès le samedi 5 décembre 2015, comme prévu, et la négociation politique a pu démarrer dès le début de la seconde semaine. Une journée supplémentaire avait été décidée, pour prolonger les négociations, mais s’il y a eu une dizaine d’heures de retard par rapport à l’agenda (l’accord final aurait dû aboutir à 9 heures et pas en début de soirée), cela reste cependant exemplaire sur la forme.
Sur la forme également, on ne peut pas faire l’impasse sur la journée exceptionnelle du 30 novembre 2015 où cent cinquante chefs d’État et de gouvernement s’étaient réunis ensemble pour donner le coup d’envoi de la conférence et des négociations et apporter leur propre crédit et encouragements. Le nombre était si pléthorique que la photo s’en est trouvée dénaturée, tant les personnages sur la photo étaient minuscules pour tous les faire rentrer dans la case ! Exploit également des services d’ordre deux semaines après les terribles attentats du 13 novembre 2015.
Enfin, c’est évidemment un vrai succès pour le Président de la République François Hollande (« Le monde a écrit une nouvelle page de son Histoire. ») et surtout pour son Ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius. La diplomatie française a été en effet unanimement saluée. J’imagine le bataille dans les antichambres du pouvoir pour avoir cette fonction de Président de la COP21 probablement jalousé par la Ministre de l’Écologie Ségolène Royal. Mais il y a peu de doute que cela n’ait aucun impact sur le résultat des élections régionales.
Fabius consacré
Pour Laurent Fabius, c’est une vraie consécration politique, un bâton de maréchal. Lui qui était déjà ministre au printemps 1981, il y a presque trente-cinq ans ! Lui le plus jeune Premier Ministre donné à la France, à 37 ans ; lui, le jeune ambitieux qui ne pensait qu’à l’élection présidentielle depuis 1984 en se rasant et qui a dû mettre une croix dessus, tant en raison de l’affaire du sang contaminé que de l’échec à la primaire interne de 2006. Il a pratiquement reçu tous les honneurs de la République sauf le plus grand, l’Élysée. Au perchoir, à la tête de son parti, à des ministères essentiels (Budget, Finances, Affaires étrangères), allié à Dominique Strauss-Kahn en 2011, Laurent Fabius a réussi à s’imposer à François Hollande en 2012 alors qu’il ne représentait politiquement plus grand chose, grâce à son expérience gouvernementale qui était d’autant plus précieuse que François Hollande et Jean-Marc Ayrault n’avaient jamais été ministres.
On a comparé souvent Laurent Fabius à Alain Juppé, de la même génération, dans cette capacité à résister malgré tout aux tempêtes politiques mais dans l’incapacité de revenir sur le devant de la scène. Alain Juppé, ministre déjà en 1986 (et au même poste, au Budget), est aujourd’hui parmi les présidentiables les plus populaires et pourraient, au contraire de Laurent Fabius, gravir la première marche. Sans doute faudrait-il le comparer maintenant à Valéry Giscard d’Estaing, qui a fini sa carrière politique avec la Présidence de la Convention européenne qui a rédigé le TCE.
L’élément majeur de la carrière politique de Laurent Fabius sera probablement cet accord de la COP21. Évidemment, tout le monde se moque de la postérité de Laurent Fabius, mais tout le monde devrait être intéressé par l’avenir de l’accord de Paris signé ce 12 décembre 2015 à l’issue de la COP21. La France a voulu maintenir la pression en donnant un agenda de suivi. L’avenir dira si cet accord aura réellement jeté les bases d’une véritable prise de conscience mondiale et universelle.
La victoire la coopération mondiale
Comme je l’ai écrit, il faudra avoir un peu de recul pour faire la distinction entre la part de sérieux et la part de vitrine de cet accord, mais dans tous les cas, cela montre qu’il est possible à l’ensemble des pays du monde de se réunir sur des objectifs communs et cela pourrait s’avérer très utile si des scénarios catastrophes de mauvais films d’anticipation devaient devenir réalité, comme le risque d’une collision d’un astéroïde contre la Terre ou d’autres risques de dimension planétaire contre lesquels l’ensemble des nations devraient faire face solidairement et surtout, efficacement. C’est donc bien sûr aussi la victoire de l’ONU et de toutes les tentatives de fédérer les nations sur des objectifs majeurs.
On est loin du repli sur soi et de l’isolationnisme. L’époque se veut au contraire à la coopération internationale globale. Donc, rappelons une évidence : le globalisme, que certains appellent mondialisme surtout pour le contester, est un élément majeur contre le laisser-faire et donc, contre l’ultralibéralisme, la loi du plus fort, de celui qui pollue et qui se moque des conséquences. Jamais la coopération internationale n’a atteint, ce samedi 12 décembre 2015, un niveau aussi élevé, et malgré les guerres, les massacres qui sévissent encore un peu partout dans le monde, l’annonce de cet accord est donc très prometteuse sur les décennies à venir…