Les lendemains d’élections sont parfois ahurissants. Les secousses sismiques provoquent généralement des répliques qui peuvent être parfois aussi destructrices que la première onde de choc. Le film « The Day After » (en français « Le Jour d’après ») est sorti le 25 janvier 1984 en France, juste au début de la « fièvre FN ».
L’image de la classe politique est désastreuse. Le fait que les Français se soient ou abstenus massivement ou déportés pour une grande partie d’entre eux, en tête dans plus des deux tiers des départements, vers un parti comme le Front national montre avant tout que les partis traditionnels, et surtout les deux grands partis de gouvernement, le PS et l’UMP, sont complètement discrédités aux yeux de leur propre électorat.
Le PS et François Hollande ; la déroute
L’effondrement du PS à moins de 14% est un véritable cataclysme, tant sur le plan national que sur le plan européen.
Comment le Président François Hollande pourrait-il avoir de l’influence auprès de la Chancelière Angela Merkel ? Car c’est bien ces relations-là dont il faut parler, alors que cette dernière a derrière elle environ deux tiers des électeurs allemands (la CDU et le SPD sont en grande coalition au sein du gouvernement actuel) et le représentant de la France bénéficie du soutien de moins d’un septième des électeurs français. Et si l’on prend les résultats par rapport aux inscrits, cela signifie qu’il n’y a eu que 6% du corps électoral qui ont daigné soutenir le parti présidentiel aux affiches beaucoup trop roses ! François Hollande se fera-t-il bientôt appeler « Monsieur 6% » ?
En politique intérieure, on peut douter sérieusement de sa capacité à engager (et à réussir) d’ambitieuses réformes de structures, et par commencer, celles des régions et des départements dont les effets sur les finances publiques ne se feraient de toute façon pas sentir avant une bonne décennie (toute réforme de structure aura d’abord un coût pour tout réadapter, et les économies seront visibles bien plus tard).
François Hollande a prononcé une courte allocution télévisée aux Français le soir du lundi 26 mai 2014 et même si elle a été enregistrée (en laissant d’ailleurs un énorme lapsus sur les partis antieuropéens), cette prestation est sans doute l’une des meilleures depuis deux ans dans la forme : cadre très présidentiel dans la bibliothèque de l’Élysée avec les drapeaux tricolore et européen (cela fait plus penser au portrait officiel de Nicolas Sarkozy que de François Mitterrand), assis, bien posé et l’air déterminé, les mains placées comme celles de François Mitterrand. Nettement meilleure, sur la forme, que l’allocution froide et mécanique, robotisée presque, de son Premier Ministre Manuel Valls la veille.
Pourtant, sur le fond, rien de vraiment satisfaisant n’a été dit. Rien qui puisse apaiser, rassurer, consoler les Français, leur redonner confiance en l’avenir, en leur force, redonner espoir. Rien pour ceux qui ont peur d’une telle montée du FN, rien non plus pour ceux qui ont voté pour le FN et qui ne sont, bien sûr, pas d’extrême droite, pas tous du moins !
Car son discours présidentiel est trop rodé, trop connu pour qu’il fonctionne encore. Il a eu de la chance, la seule fois où il a marché, c’était pendant la campagne présidentielle, ce qui l’a fait élire. Dire qu’il demandera au Sommet européen de Bruxelles (de ce mardi) plus de croissance, c’est se moquer du monde : il le disait déjà en 2012 lorsqu’il annonçait qu’il allait renégocier le TSCG et il l’a encore répété souvent à propos de la croissance, de manière tout aussi inefficace, et rien n’en sort parce que depuis deux ans, la France n’a plus aucun crédit politique et économique auprès de ses partenaires qui ont du mal à suivre le cheminement et les tâtonnements hollandiens de la politique française.
De même, cela fait depuis le 14 janvier 2014 qu’il a parlé de grandes réformes, des économies de 50 milliards d’euros (ce n’est pas rien même si, à mon sens, c’est insuffisant), de pacte de responsabilité, et toujours rien, cinq mois plus tard, aucun projet déposé, aucune réalisation amorcée ! Pendant ce temps, le chômage continue à casser des vies, la précarité et la pauvreté gagnent du terrain et l’urgence sociale pourtant tant décrétée ne se manifeste pas sur le plan des actes, du concret.
L’UMP face aux résultats des élections européennes
On aurait pu imaginer qu’avec une telle incapacité à gouverner, un tel effondrement du parti présidentiel, le principal parti d’opposition fût à la hauteur de l’enjeu national dans sa capacité à redonner un peu d’espoir à des citoyens déboussolés.
Eh bien, pas du tout. En chutant de près de 8%, submergeant laborieusement au-dessus de la barre des 20%, l’UMP n’est pas du tout le réceptacle de l’opposition réelle dans le pays. Pour au moins trois raisons.
La première concerne les affaires financières qui se sont précipitées ce lundi 26 mai 2014 : perquisitions au siège de l’UMP mais aussi aveux du côté d’une société de prestation de communication de fausses factures à l’UMP pour éviter de trop charger la barque des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012. Aveux prononcés par un nouvel élu européen (on se demande quel sera son crédit auprès de ses collègues européens), un homme très proche de Jean-François Copé qui avait suscité beaucoup de détestation en 2012 de la part des fillonistes. On peut comprendre en tout cas pourquoi il ne fallait surtout pas que François Fillon présidât l’UMP juste après cette boulimique campagne présidentielle.
La justice dira si Jean-François Copé voire Nicolas Sarkozy étaient au courant ou pas de cette affaire de dépassement de comptes de près de la moitié du plafond autorisé (cela implique des montants très élevés, 10 à 11 millions d’euros). Il est en tout cas assez probable que cette plombera toute velléité de candidature à l’élection présidentielle en 2017 pour ces deux personnalités, quelle qu’en soit leur part de responsabilité.
La deuxième raison est le fait que l’UMP n’a plus de leader incontestable depuis l’échec du 6 mai 2012. La rivalité entre Jean-François Copé et François Fillon ne doit pas non plus cacher les appétits des suivants, François Baroin, Bruno Le Maire, Nathalie Kosciosko-Morizet, Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand, voire d’autres comme Guillaume Peltier, et aussi… Alain Juppé dont la stature politique pourrait rassurer, dans le rôle du « vieux sage ».
Si Jean-François Copé avait finalement gagné la partie (et le parti) en janvier 2013, François Fillon a remporté la seconde manche au cours du bureau politique de ce 27 mai 2014 : la démission de Jean-François Copé et de toute la direction de l’UMP était inévitable dans un tel contexte d’embrasement électoral. Le risque d’être supplanté par le FN dans le leadership de l’opposition est désormais réel.
Voici maintenant François Fillon à la tête de l’UMP, dans une direction collégiale aux côtés de deux autres Premiers Ministres, Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin. L’essentiel se déroulera le 12 octobre 2014 (date qui semble avoir été arrêtée) au cours d’un congrès extraordinaire qui désignera le nouveau président de l’UMP …par les militants (et pas les sympathisants).
Or, Guillaume Peltier a déjà annoncé que la question des idées devrait l’emporter, à ce congrès, sur la question des personnes. À la tête d’un courant qui a obtenu la majorité relative lors du précédent congrès en novembre 2012, Guillaume Peltier serait en mesure de mettre en difficulté les leaders potentiels de son parti grâce à son grand potentiel militant (lui est capable de mobiliser les jeunes de l’UMP).
Et c’est la troisième raison de la déconfiture de l’UMP, raison principale à mon avis, c’est que l’UMP n’a toujours pas de ligne politique claire. Tanguant entre une alliance avec les centristes (Alain Juppé, NKM, Benoît Apparu, etc.) et des thèses très proches du FN (Guillaume Peltier, Thierry Mariani, etc.), c’est l’avenir même de l’UMP qui est en jeu pour ce congrès.
On a trop tendance à oublier que la disparition d’un grand parti (du moins, sa transformation en petit parti) peut se faire très rapidement. Pour en prendre conscience, il suffit de revoir l’histoire politique du Parti communiste français (PCF), mais aussi du Parti radical, principal parti de la IIIe République, du Mouvement républicain populaire (MRP), très en vogue sous la IVe République, etc. La disparition électorale de l’UMP peut très bien s’envisager, coincée entre un FN grossissant et un centre renaissant qui a réussi une petite performance dimanche dernier même s’il n’a pas finalement franchi la barre des 10%.
L’idée d’Alain Juppé, de Jean-Pierre Raffarin, et aussi de François Fillon, c’est de revenir à l’esprit de l’UMP de 2002, à savoir, un véritable rassemblement des gaullistes et des centristes, alors que depuis 2004, avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, poursuivie en 2012 par Jean-François Copé, l’UMP a prôné des idées particulièrement droitières qui ne pouvaient qu’éloigner les centristes et dont le sommet fut le discours de Grenoble du 30 juillet 2010 influencé par un conseiller sulfureux.
Le problème majeur de l’UMP, c’est que les adhérents, très clivés, sont probablement très majoritairement contre cette désarkozysation ou décopéisation de la philosophie générale l’UMP, d’autant plus qu’avec un FN à 25%, la tentation est grande de vouloir faire du zèle sur les thèmes porteurs du FN (ce zèle se traduit cependant par la justification du FN et sa consolidation programmatique et électorale).
Le PS et l’UMP n’ont rien compris !
Que ce soit au PS qu’à l’UMP, les premières journées postélectorales montrent à l’évidence qu’ils n’ont rien compris. « Ils », ceux, de cette classe politique, qui sont tant discrédités que leurs électeurs potentiels ont préféré s’abstenir plutôt qu’éviter la vague FN tant annoncée pendant des semaines et même des mois dans les sondages et les médias.
À tel point que c’est peut-être le seul élément que je retiendrais de ces résultats des élections européens sur le plan intérieur : ce qui est grave, ce ne sont pas les électeurs qui ont voté pour le FN. La France est un pays démocratique et tout vote est respectable puisque tous les partis qui participent aux élections sont légaux. La plupart de ces électeurs (pas tous) ont trouvé ainsi le moyen d’exprimer leur colère, tant contre les partis de gouvernement que contre une Europe dont ils n’ont pas compris l’intérêt pour eux, pour leur famille, pour leur nation.
Ce qui est grave, à mon sens, ce sont tous les autres, pas les électeurs, mais les abstentionnistes qui ne se sont pas mobilisés pour éviter justement que le FN prenne la tête du scrutin. Les sondages l’avaient annoncé, donc, non seulement cette « prophétie » s’est réalisée (pour une fois, saluons les bonnes tendances des sondages), mais elle s’est même nettement amplifiée !
L’unité nationale, plus nécessaire que jamais
Nous ne sommes plus au printemps 2002 où un cordon sanitaire était encore possible et la mobilisation des foules rassurante. Ce large abstentionnisme est, là aussi, la démonstration que Marine Le Pen a réussi en trois ans (c’est court) son premier pari, celui de dédiaboliser définitivement son parti pour en faire un parti fréquentable… sans changer un seul iota de son idéologie !
Et le corollaire est le suivant : quel électeur de l’UMP irait voter en 2017 pour François Hollande s’il affrontait au second tour Marine Le Pen ? Car cette configuration devient désormais plausible avec l’absence de leadership à l’UMP aujourd’hui.
La faille fut dès mai 2002 quand Jacques Chirac, élu par plus d’électeurs de gauche que d’électeurs de droite, n’a pas su écouter la colère ou la peur du peuple en continuant à faire de la politique comme avant, comme s’il ne s’était rien passé.
Ce qu’il manque depuis 2002, et c’est ce que François Bayrou a inlassablement répété depuis plus de dix ans, c’est que toute la classe politique laisse de côté les ambitions personnelles, et se mette à travailler ensemble pour réaliser les réformes structurelles nécessaires au pays de manière concertée, collégiale et durable.
Quand une maison est en feu, on ne cherche pas les responsabilités dans une première urgence (d’ailleurs, on les connaît à peu près). On ne demande pas qu’à une seule catégorie de pompiers d’éteindre l’incendie. On demande à tous les présents de participer à l’effort commun pour que le feu soit contrôler.
Le feu, aujourd’hui, c’est le chômage. Et tous les responsables politiques, parce qu’ils sont responsables, doivent concentrer leur action dans cette unique optique. Hélas, je doute que celui, le seul, qui est en capacité institutionnelle de construire cette unité nationale, François Hollande, ait bien compris que le feu arrive maintenant à son bureau…
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